Mostapha BAHRI
Pour promouvoir son entreprise ou ses produits ou encore pour prospecter de nouveaux marchés, certaines sociétés recourent à de multiples procédés, aux frontières de la loi et qui dans certains cas peuvent être déloyaux. C’est la promesse d’un cadeau ou d’un voyage gratuit à l’étranger qui est utilisée par certaines entreprises, comme moyen parmi d’autres, pour promouvoir les ventes en essayant de doubler leurs chiffres d’affaires ou attirer des prospects.
Parmi les moyens utilisées pour démarcher les consommateurs, il y a l’envoi des emails, les réseaux sociaux, les contacts téléphoniques, l’envoi de courriers avec des catalogues et la publicité sur les lieux de vente. Les cibles visées par de redoutables méthodes marketing, sont les personnes qui sont attirées par le gain, des individus vulnérables comme les personnes âgées ou les gens qui aiment courir le risque ou vivre une expérience. Et nombreux sont ceux qui ignorent que la participation au jeu ne signifie pas automatiquement un gain qui, dans la réalité, reste tributaire du tirage au sort. Et quel tirage au sort et comment et dans quelles conditions est-il organisé ?
Longtemps ignoré par le législateur au Maroc, la loterie publicitaire n’a fait l’objet d’un encadrement qu’avec la promulgation de la loi édictant des mesures de protection du consommateur en février 2011, de son décret d’application de septembre 2013 et de l’arrêté de janvier 2014 relatif au modèle de règlement. L’article 60 de cette loi a défini la loterie publicitaire comme suit (Art. 60) : « toute opération publicitaire proposée au public par le fournisseur, sous quelque dénomination que ce soit, qui tend à faire naître l’espérance d’un gain par le consommateur, quelles que soient les modalités de tirage au sort ».
Avant la promulgation de ces dispositions, et vu le vide juridique, l’organisation de ce jeu était relativement anarchique et restait tributaire de la bonne intention, voire de la sincérité et de la loyauté de l’organisateur. Cela a-t-il été toujours le cas, surtout lorsqu’il s’agit d’augmenter les ventes ou d’attirer de nouveaux clients ?
En l’absence de toute statistique ou affaires devant les tribunaux, ce genre de loterie ne fait pas encore l’objet de débat. De même, les consommateurs dupés n’ont jamais osé dénoncer ces pratiques. D’ailleurs, tout le monde se souvient du phénomène du « Time share » ou vacances partagées apparues vers la fin des années quatre-vingt-dix aussi bien au Maroc que dans certains pays arabes du Maghreb et du Golfe. Appelé également par certains « la plus grande arnaque de l’immobilier », vu le nombre de victimes, notamment des touristes dans certains pays, ayant perdu des sommes très importantes. Au Maroc, certaines victimes ont perdu entre 70 et 100 mille dirhams et n’avaient obtenu aucun dédommagement, ni remboursement des sommes versées, du fait que les contrats signés, ne prévoyait aucun droit de rétractation, à cette époque. Au début de leur apparition, il y avait des commerciaux qui démarchaient les gens dans la rue en leur annonçant le gain d’un voyage à l’étranger pour ensuite les conduire au siège de la société, lieu de conditionnement des consommateurs par des « experts en communication et en marketing ». A la fin de la visite, ces « experts » essayaient de les convaincre pour leur faire signer un contrat d’achat d’un séjour dans une des villes du pays avec la possibilité de l’échanger avec d’autres acquéreurs à l’étranger. L’Administration est intervenue à Rabat, à Marrakech, et ailleurs pour interdire à ces sociétés le démarchage sur la voie publique. Actuellement c’est par téléphone que ces sociétés contactent des gens pour leur annoncer un gain d’un voyage et les inviter à se rendre à une adresse pour récupérer leur cadeau. Et l’opération d’embobinage du consommateur, commence une fois à l’intérieur de la société, pour le convaincre d’acheter un bien immobilier en multipropriété, lui permettant de bénéficier d’un séjour de 15 jours chaque année.
Ailleurs, et particulièrement à l’hexagone, le nombre de victimes de la loterie publicitaire a atteint un niveau inquiétant, à tel point que la chaine télévisée TF1 a consacré à ce jeu une émission le 10 août 2019, préparée par la journaliste Audrey Crespo Mara. Plusieurs entreprises spécialisées dans la vente à distance sont derrières ce jeu et parmi lesquelles figurent, d’après l’émission sus-citée, de grandes sociétés comme « Damart, Willemse et Afidel ». Les victimes de la loterie sont toujours des personnes âgées. Elles recevaient des courriers leur annonçant le gain d’une grosse somme ou contactée par téléphone pour les inciter à envoyer leur commande et à payer leurs achats pour recevoir le gain. Ces dernières dépensaient jusqu’à 900 Euros, soit 50% de leur pension dans l’achat de produits dont elles n’ont pas besoin et des fois à des prix cinq plus chers que les prix pratiqués dans le commerce. Tous ces achats se font pour pouvoir participer au jeu. Une personne âgée, citée par l’émission, a perdu en deux ans, la somme de 300 mille Euro, soit toute l’épargne de sa vie.
Il y a lieu de rappeler à ce sujet, l’article sur « les risques des ventes à distance », paru dans le numéro 1199 de la Nouvelle Tribune, du 19 février 2021, qui a souligné le développement de ce genre de commerce au Maroc. De ce fait, le risque de recourir à des pratiques aux frontières de la loi, pour inciter les gens vulnérables à effectuer des achats pour participer à un jeu et gagner des sommes d’argent, n’est pas à écarter.
Et c’est le rôle des associations de consommateurs de suivre ce genre de pratique, d’être à l’écoute des victimes, de sensibiliser les consommateurs et de dénoncer ce genre de pratique comme le fait l’association « Réseau anti-arnaques », partenaire de « Que choisir » et présidée par Pascal Tonnerre, qui a reçu une centaine de requêtes et ne cesse de dénoncer les entreprises incriminées en mentionnant leurs noms dans une liste noire.
En ce qui concerne le cadre juridique de notre pays, la loi sur la protection du consommateur rappelle que toute opération de loterie publicitaire doit faire l’objet d’un règlement, dont un modèle a été promulgué par un arrêté en 2014. La loi a également imposé à tout organisateur l’obligation de déposer le règlement ainsi qu’un exemplaire des annonces ou documents adressés au public auprès de l’administration compétente qui s’assure de leur régularité et du déroulement de l’opération.
Cependant, cette obligation est-elle suffisante pour protéger le consommateur ?
La réponse est non. Pourquoi ?
Parce que l’administration compétente pourrait être le département du commerce et de l’industrie, ou encore de l’énergie, ou encore du tourisme, etc. De ce fait, les services en charge de l’application de la loi sur la protection du consommateur ne pourront pas être au courant de l’organisation de ce jeu et par conséquent aucun contrôle ne pourra avoir lieu. De même, du point de vue du suivi des jeux organisés, de leur régularité et des éventuelles requêtes, la structure du commerce, initiatrice du texte sur la protection du consommateur, n’aura aucune information sur ces jeux, dont le règlement était déposé auprès d’un département autre que celui du commerce et de l’industrie.
Une autre problématique, est celle de la compétence des administrations habilitées à recevoir ces règlements pour faire un contrôle à priori. Sont-elles suffisamment outillées pour étudier les documents déposés et pouvoir détecter des éventuelles failles de nature à induire le consommateur en erreur ? Les organisateurs de ces jeux ne manquent pas d’imagination, et de ce fait, il faut se doter de structures et de profils à même de savoir séparer ‘le bon grain de l’ivraie’ et de ce fait pouvoir faire le tri ‘entre les bonnes choses et les mauvaises’.
En outre, il est demandé au niveau de la loi sur la protection du consommateur, à ce que les annonces ou documents précisent clairement les conditions de participation aux loteries publicitaires et soient facilement accessibles au consommateur, notamment si ces loteries sont annoncées par voie électronique. Ces documents doivent également comporter un inventaire lisible des lots mis en jeu précisant, pour chacun d’eux, leur nature, leur nombre exact et leur valeur commerciale.
Ils doivent également reproduire la mention suivante : « le règlement de l’opération est adressé, à titre gratuit, à toute personne qui en fait la demande ». Ils précisent, en outre, l’adresse à laquelle peut être envoyée cette demande.
Enfin, la loi prévoit un contrôle à postériori, obligeant les organisateurs de la loterie publicitaire d’envoyer à l’administration un rapport retraçant le déroulement de l’opération, sa régularité, ainsi que la liste des personnes gagnantes et des lots distribués.
Questions aux acteurs institutionnels concernés
Comment faire un contrôle sur papier et par qui ? Et dans quelles conditions les tirages au sort se font et par quels moyens ?
Toutes ces interrogations méritent une attention particulière de la part des administrations compétentes et des associations de consommateurs.
Nos associations sont-elles en mesure de prendre en charge ce genre de pratiques et jouer un rôle pour aider les consommateurs à ne pas tomber dans les pièges de certains revendeurs sans scrupules ?
Les associations nationales des consommateurs peuvent-elles jouer un rôle dans la sensibilisation des marocains sur les dangers des arnaques sur Internet qui ne cessent de se développer et de faire de plus en plus de victimes. Personne n’en parle, comme si ce phénomène n’existait pas. Il y a certes un vide juridique au niveau de tous les pays. Mais, des actions de sensibilisation seraient d’un grand secours pour les personnes non-avisées et vulnérables.
Les administrations sont-elles conscientes de l’enjeu que représente cette loterie pour certaines entreprises et de la nécessité de se préparer à ces jeux et ce, en formant des profils capables de faire face à des éventuelles pratiques déloyales ?
Nos tribunaux sont-ils prêts à traiter ce genre d’affaires, en cas de saisine par des victimes ou par des associations de consommateurs ?