C’est l’histoire d’une Loi, à portée sociale indéniable, qui a été votée, promulguée, dont les décrets d’application ont été approuvés en Conseil de gouvernement et qui, pourtant, n’est pas appliquée …
Comme chacun sait, c’est la Loi du 27 juillet 1972 qui a redéfini et organisé les modalités de mise en œuvre des prestations de la Caisse nationale de Sécurité Sociale, CNSS, pour les travailleurs salariés du secteur privé, en modifiant la Loi du 31 décembre 1959 qui instituait le régime de sécurité sociale.
Dans l’énoncé de cette Loi, vieille désormais de 47 années, figuraient nommément les employés de maison comme étant bénéficiaires de la CNSS, mais son Article 2 stipulait que les modalités d’affiliation et d’immatriculation devaient être définies par décret.
De décret, il n’y eu point jusqu’à l’adoption et la promulgation de Loi n° 19-12 du 10 août 2016 fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleuses et travailleurs domestiques.
Ce texte prévoyait l’adoption de décrets définissant le cadre juridique liant l’employeur de maison et l’employé domestique, c’est-à-dire le contrat de travail, établissait un régime transitoire de cinq ans pour l’employabilité domestique de jeunes âgés entre 16 et 18 ans et évoquait également un dernier décret régissant le cadre de l’adhésion des employés de maison au régime général de la Caisse nationale de Sécurité sociale.
C’est en octobre 2018 que le décret concrétisant le contrat de travail type entre l’employeur de maison et son employé est entré en vigueur tandis que le décret concernant l’assujettissement des employés domestiques à la CNSS a été approuvé en Conseil de gouvernement en janvier 2019.
Mais, à ce jour, il n’a pas bénéficié de sa publication au Bulletin Officiel, condition absolument obligatoire pour son application.
Des acquis virtuels
Voilà l’obstacle majeur qui se pose aujourd’hui, aux salariés domestiques, à leurs employeurs et à la CNSS également qui est en charge d’organiser et d’appliquer la couverture sociale de cette catégorie de salariés.
Et si cette démarche obligatoire n’a pas été effectuée, c’est sans nul doute que des réticences « officieuses » existent sur son applicabilité.
Certes, en effet, le gouvernement a bien approuvé le texte en question, mais dans la pratique, la Loi 19-12 n’est valide que pour une seule disposition, celle qui oblige l’employeur de maison et son employé à s’unir par un contrat de travail clairement défini et établi.
L’absence d’application des dispositions permettant l’affiliation à la CNSS de l’employeur de maison et l’immatriculation à la même caisse de son employé réduisent très fortement la portée de la Loi 19-12, au point où entre octobre 2018, date de la publication du décret sur le contrat type et aujourd’hui, seuls 300 contrats de travail ont été déposés auprès des Inspections du Travail à l’échelle du Royaume !
Nul doute que cette faible performance s’explique notamment par l’extrême volatilité qui caractérise, généralement, les employés de maison ainsi que leur réticence à s’engager durablement faute de convictions sur les « bienfaits » de ce contrat de travail.
Selon des informations fiables, lors de l’adoption de ce décret en Conseil de gouvernement, il a été décidé de surseoir à sa publication dans l’attente des conclusions d’un « groupe de travail » constitué au sein même de l’instance exécutive.
Ceci dans l’objectif d’amender plusieurs dispositions considérées par le Gouvernement comme trop complexes pour son applicabilité.
Parmi les modifications envisagées figure d’abord la volonté d’en repousser l’entrée en vigueur.
En effet, la version initiale propose un délai de trois mois à compter du jour de la publication du décret au BO.
De plus, certains considèrent qu’il est préférable de responsabiliser l’employé au lieu de l’employeur et donc conduire le premier de s’acquitter des cotisations à la CNSS, la charge patronale lui étant versée directement par l’employeur, avec l’obligation du salarié de s’acquitter de son dû auprès de la Caisse.
Cette préférence serait matérialisée par l’achat d’un chèque « CNSS » que le salarié domestique recevrait de ce dernier et verserait à la Caisse pour couvrir la part patronale, à l’instar de ce qui se pratique en France par exemple.
Mais cette proposition se heurte à la difficulté de contraindre le salarié à payer sa cotisation et à celle, encore plus forte, de prendre des mesures conservatoires à son encontre, comme les poursuites judiciaires, la saisie sur son compte bancaire, contraintes encore plus réelles si l’on revient à la volatilité évoquée plus haut.
Telles sont donc quelques-unes des raisons qui font que la Loi 19-12 est, objectivement parlant, encore dans les limbes et que son objectif principal, celui de permettre la couverture sociale complète des employés de maison, n’est pas réalisé.
Et l’absence de publication du décret d’application de janvier 2019 rend tout à fait secondaire, sinon ridicule l’obligation faite par cette loi de la conclusion d’un contrat de travail entre l’employeur de maison et son salarié.
Où l’on voit donc qu’une avancée sociale incontestable reste formelle et virtuelle pour des raisons qui ne sont pas rendues officiellement publiques et qui, in fine, réduisent ainsi fortement les acquis d’un gouvernement qui proclame sa volonté politique de satisfaire les attentes des couches les moins favorisées où figurent, incontestablement, les employés domestiques !!!
Afifa Dassouli