En Italie, la victoire de Giorgia Meloni, la dirigeante de Fratelli d’Italia avec ses alliés Matteo Salvini de la Ligue et Silvio Berlusconi de Forza Italia, a provoqué un séisme de réactions opposées au sein de l’Union européenne. Ainsi, les félicitations ont été de mise pour tous les acteurs européens de l’extrême droite, du Rassemblement national en France au parti VOX espagnol en passant par les autorités polonaises et hongroises, connues pour leurs positions tranchées au sein des Nations européennes sur les questions notamment de l’immigration. A contrario, le ministre espagnol des Affaires Étrangères José Manuel Albarés, déclarait de son côté que « les populismes finissent toujours en catastrophe ».
La montée constante et multiforme des populismes dans le monde témoigne d’un changement de fond dans les clivages politiques qui mobilisent les opinions publiques. De l’affrontement idéologique entre la gauche et la droite, désormais dépassé dans le contexte géopolitique mondial actuel, il ne subsiste que la virulence des extrêmes des deux bords, qui se placent en contradiction de politiques globalement libérales des économies de marché.
Ce qui a fondamentalement changé également dans la configuration politique mondiale et européenne en particulier, c’est que ces fameuses économies occidentales libérales et mondialisées, ne sont plus dans un cycle de croissance forte. Les économies ayant subi de plein fouet les crises successives depuis 2008, pandémie et guerre en Ukraine incluses, peinent à juguler la perte de pouvoir d’achat des populations et la hausse massive des dépenses publiques, ce qui alimente en continu la radicalisation des partis politiques qui y voient une opportunité populiste électoraliste. Une stratégie qui s’est avérée payante de l’expérience Trump à celle de Victor Orban et aujourd’hui de Giorgia Meloni.
L’immigration, vieux marronnier des débats politiques, est de nouveau au centre de toutes les manœuvres politiciennes, parce qu’elle est de nouveau un point clivant pour les populations européennes.
Alors que l’immigration quasi-massive des 30 glorieuses venait répondre à un besoin de main d’œuvre d’économies européennes en pleine croissance, qui avaient la capacité d’absorber les flux de populations, la donne a radicalement changé. Parallèlement à l’amenuisement de la volonté politique et des moyens économiques européens face au dossier de l’immigration, les flux migratoires se sont densifiés, produits des guerres, famines et difficultés économiques multiples que vivent les populations aux portes de l’Europe, de l’Afrique au Moyen-Orient.
Et, si le sujet est si important, c’est que les conséquences de ces changements de paradigme impactent directement le Maroc à différents niveaux. D’abord, comme nous l’avons vu cet été avec la France, la politique même d’attribution de titres de voyages aux ressortissants marocains est devenue un levier de pression politique avéré et assumé, en représailles aux positions du Maroc sur des dossiers spécifiques de gestion des demandes d’extraditions. De même, les épisodes tragiques et dramatiques qui se sont déroulés dans les enclaves espagnoles tout le long de l’année, avec des assauts de migrants massifs et réprimés, témoignent du nouveau scenario dans lequel le Maroc se trouve. En somme, le Maroc est attendu par ses voisins européens sur le dossier de l’immigration pour les soulager de la gestion d’un problème qui désormais braque les opinions publiques, de moins en moins enclins à la solidarité et à l’accueil, dans un contexte économique défavorable. De fait, le Maroc est confronté à une double réalité, il est à la fois le gardien des portes de l’Europe et donc une terre de transit pour les migrants, mais aussi de plus en plus un Eldorado intermédiaire pour certains migrants, obligés d’y faire des escales plus ou moins longues pour préparer leur traversée clandestine vers l’Europe.
Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile de tenir une position dite humaniste vis-à-vis de la question de l’immigration tant le coût devient élevé. Le racisme, comme les populismes extrêmes, prennent justement racine dans ces conditions parce qu’ils s’alimentent des conséquences directes de cette immigration subie sur le quotidien des populations. Montée de l’insalubrité, de l’insécurité, de la mendicité, dégradation des espaces publics (comme à Casablanca aux alentours de la gare routière d’Ouled Ziane par exemple), sont autant de conséquences concrètes et palpables que les autorités marocaines doivent adresser pour préserver les Marocains de ces tentations populistes. La prise en charge, les structures d’accueil, la politique sécuritaire et de régularisation des migrants nécessitent également plus qu’une volonté politique, des moyens financiers colossaux pour un pays comme le Maroc dont les priorités sont déjà axées sur le social. D’autant que la crise climatique qui ne fait que commencer, va encore jeter sur les routes des millions de désœuvrés à la recherche d’une vie meilleure.
Les rapports de force entre l’Europe et le Maroc sont de fait en train de changer durablement et les uns comme les autres seront obligés de définir une nouvelle politique commune d’immigration qui tient compte des liens historiques et des diasporas, mais aussi des nouvelles réalités économiques des deux côtés de la Méditerranée et du coût de la gestion des flux migratoires. Le tabou de l’immigration à gauche et la sévérité habituelle de la droite à l’égard de ce sujet en ont fait le pain béni des extrêmes, il est grand temps que cela change.
Zouhair Yata