Par El Mostapha BAHRI, Economiste
Le Maroc a connu, ces dernières années, une crise hydrique persistante. Les conséquences de cette situation ont impacté l’élevage qui vit des moments très difficiles. Ainsi les prix des viandes rouges sont montés en flèche, depuis le début de l’année 2022[1]. En effet, les prix de la viande bovine s’affichent généralement dans les villes entre 100 et 120 dirhams le kilo, tandis que la viande ovine se négocie entre 130 et 150 dirhams le kilo (en fonction des villes et de la qualité)[2].
A cause de la flambée des prix, les bouchers ont vu leur activité connaître un ralentissement significatif. En effet, ces prix pèsent lourdement sur les budgets des ménages, particulièrement ceux à revenus limités, qui se sont vus contraints de se tourner vers des alternatives alimentaires moins coûteuses[3] ; d’où le besoin urgent d’initiatives concrètes pour stabiliser le marché des viandes.
Devant cette situation, le ministère de l’agriculture a présenté un plan pour enrayer cette hausse incessante des prix des viandes. Il a pris, ainsi, une série de mesures, telles que des aides permanentes à l’alimentation du bétail, le maintien des importations de bétail, ainsi que l’ouverture de nouveaux marchés d’importation, tels que ceux d’Amérique latine, ou encore l’annulation des taxes à l’importation[4].
Néanmoins, toutes les actions menées et les efforts déployés semblent ne pas avoir donné de résultats. Ainsi, et toujours dans le but de juguler les hausses continues des prix des viandes, le département a initié un autre projet relatif à l’importation des viandes.
En effet, et dans ce cadre, l’ONSSA a annoncé le 21 octobre sa décision d’autoriser l’importation de viandes rouges fraîches (congelées ou réfrigérées) de mouton et de chèvre en provenance de l’Union européenne, de la Russie, des États-Unis, et d’autres pays. L’office a également indiqué que « toutes les viandes importées devront être accompagnées d’un certificat sanitaire émis par les autorités compétentes du pays d’origine, ainsi que d’un certificat halal, et que chaque importateur doit disposer de magasins de stockage de viande et que chaque opération d’importation sera soumise à des inspections dans des centres dédiés à cet effet[5]« .
Et s’agissant de cette dernière décision, les professionnels du secteur de l’élevage anticipent que les importations, y compris celles de viande rouge, ne suffiront pas à freiner la flambée des prix sur le marché national. Cette hausse persistante des prix de la viande s’explique en grande partie par la sécheresse sévère qui frappe le Maroc depuis près de six ans, aggravant une crise qui impacte l’ensemble de la filière[6].
En effet, certains experts du secteur jugent que la hausse « prévisible et inévitable » continue en l’absence de mesures pour créer une réelle concurrence et limiter le monopole de grands importateurs. Mohamed Jebli, président de la Fédération marocaine des acteurs de la filière de l’élevage (FMAFE), a expliqué, dans une déclaration, que la viande rouge importée n’aura que peu d’effet sur le marché marocain, car elle est moins prisée que la viande locale[7].
Le président suscité a proposé pour favoriser une diminution des prix, « d’octroyer des autorisations d’importation aux transporteurs », ce qui ouvrirait le marché à davantage d’importateurs capables de distribuer le bétail dans les différentes régions du pays. Actuellement, seuls certains importateurs utilisent des bateaux pour acheminer les animaux, alors que d’autres, équipés de camions, peinent à concurrencer ce mode de transport plus coûteux et centralisé, renforçant ainsi le monopole existant[8].
De ce qui précède, plusieurs décisions ont été prises sans pouvoir arriver aux résultats escomptés. Les raisons résident dans les limites de la mise en œuvre de ces décisions. En deuxième lieu, ce sont des solutions ponctuelles qui ne peuvent résoudre le problème de l’approvisionnement du marché en viandes et stabiliser les prix que temporairement. En troisième lieu, toutes les décisions prises n’ont pas fait l’objet de grandes concertations et ont écarté plusieurs intervenants de la filière de l’élevage. Enfin, il semble que les décideurs ne tirent pas d’enseignements des expériences réussies dans le passé, telle la politique suivie pendant plusieurs années pour encourager la production du lait et ce, par l’importation de vaches et l’encouragement des petits éleveurs à les acquérir, moyennant la prise en charge d’une partie du prix et l’encadrement sanitaire gratuit pendant plusieurs années. Le résultat était très positif et notre pays a assuré l’approvisionnement du marché d’une manière régulière et normale. Malheureusement, ces efforts risquent de ne pas durer vus les problèmes rencontrés par les petits éleveurs, en l’absence de toute action du département de l’agriculture en leur faveur.
En conclusion, la crise des viandes rouges au Maroc met en évidence les défis complexes et persistants auxquels est confrontée la filière de l’élevage, exacerbés par la crise hydrique et la hausse des coûts d’approvisionnement. Les solutions ponctuelles mises en œuvre jusqu’à présent, bien qu’essentielles, ont montré leurs limites face à une situation structurelle nécessitant des réformes profondes et concertées. Pour parvenir à stabiliser durablement le marché, il apparaît crucial d’encourager des mesures à long terme, inspirées de politiques agricoles ayant fait leurs preuves, telles que l’appui aux petits éleveurs et la diversification des acteurs importateurs. Une démarche plus inclusive et stratégique est indispensable pour répondre efficacement aux besoins des consommateurs et garantir la pérennité du secteur.
Quelques suggestions :
Pour contenir la hausse des prix des viandes rouges au Maroc, certaines actions stratégiques et structurantes pourraient être envisagées.
Soutien renforcé aux éleveurs locaux, notamment les petits agriculteurs pour lesquels l’élevage est une source d’appui et complémentaire de leur revenu : accorder des subventions ciblées pour l’alimentation et le suivi sanitaire des animaux, en particulier en période de sécheresse, afin de stabiliser la production locale et réduire les coûts de revient pour les éleveurs. Ce soutien pourrait inclure une assistance technique et des financements pour optimiser l’efficacité des pratiques d’élevage.
Diversification des sources d’importation pendant des périodes limitées pour sauvegarder et préserver le métier d’éleveur : assouplir les procédures d’importation et étendre le nombre de pays fournisseurs pour garantir un approvisionnement constant à des prix compétitifs.
Encouragement de l’élevage extensif et de proximité : développer des programmes visant à encourager l’élevage extensif et les petites exploitations en zones rurales pour augmenter l’offre locale de viandes rouges. Cela inclurait un appui logistique et technique aux éleveurs de petite et moyenne taille, ainsi qu’un accompagnement financier pour la modernisation de leurs infrastructures.
Réduction des taxes sur les intrants agricoles : alléger les taxes sur les aliments pour bétail, les équipements d’élevage et les médicaments vétérinaires afin de diminuer les coûts d’exploitation pour les éleveurs, ce qui pourrait à terme réduire les prix des viandes au détail.
Promotion de la recherche et de l’innovation dans la filière : investir dans la recherche pour développer des pratiques d’élevage adaptées aux contraintes climatiques du Maroc. Cela pourrait inclure le développement de races locales plus résistantes à la sécheresse et des solutions alternatives de fourrage adaptées aux climats arides.
Ces mesures combinées viseraient à réduire les coûts de production, à développer un élevage adapté aux conditions climatiques du pays, à diversifier les sources d’approvisionnement et à assurer une meilleure stabilité du marché, avec un impact positif sur les prix des viandes rouges au Maroc.
[1] Voir évolution des prix de gros des viandes rouges à Casablanca, Media 24, du 27 septembre 2024.
[2] https://fr.le360.ma/ du 7 août 2024.
[3] https://fr.le360.ma/. Op. Cit.
[4] https://maroc-diplomatique.net/ du 8 juillet 2024.
[5] https://www.barlamane.com/ du 21 octobre 2024.
[6] https://fr.hespress.com/ du 3 novembre 2024
[7] Hepress, du 3 novembre 2024. Op. Cit.
[8] Op. Cit. Référence 6.