
S’attaquer au sujet des Libertés fondamentales au Maroc semble relever de la gageure, et nécessite un certain courage, tant l’exacerbation des positions extrêmes terni habituellement tout débat sur le sujet. Les décideurs politiques, conscients de la sensibilité des sujets à aborder, priorisent un discours économique et social, préférant sans doute laisser à d’autres le soin de faire bouger les lignes. A défaut donc d’une prise de conscience politique de l’importance des libertés fondamentales, c’est à l’action civique, associative et à la société civile dans toutes ses composantes, qu’incombe le rôle vacant. C’est dans ce contexte que s’est constitué il y a un an désormais, au printemps 2022, un groupe de travail, le « Collectif Libertés Fondamentales », qui présente aujourd’hui les conclusions des 9 mois de travaux de ces 8 membres. Asma Lamrabet, Driss Benhima, Yasmina Baddou, Jalil Benabbés-Taarji, Khadija El Amrani, Chafik Chraïbi, Monique Elgrichi et Mohamed Gaizi, membres dudit Collectif, manifestent une volonté commune de créer les conditions du débat sur un ensemble de sujets qu’ils considèrent fondamentaux pour l’évolution du pays.
Leur démarche s’accompagne d’ailleurs d’un sentiment relatif d’urgence, du moins d’opportunité à ne pas manquer. La création du Collectif au printemps dernier part du constat fondateur qu’alors que le nouveau gouvernement venait de clôturer 5 mois depuis sa prise de fonction, le Maroc bénéficiait donc d’une fenêtre courte de période non-électorale d’à peine 2 ou 3 ans. Aussi, après une décennie de gouvernance aux mains d’une coalition conservatrice, le pays est désormais doté d’un gouvernement ouvertement moderniste qui a l’opportunité de marquer l’histoire au-delà des aléas de la conjoncture qui occupent son quotidien. Le timing est donc bien choisi pour s’atteler à déblayer la question des libertés fondamentales, dossier ô combien poussiéreux.
Lorsque le Roi Mohammed VI, à l’occasion de son discours du 30 juillet 2022, évoque, avec force et insistance, la nécessaire réforme de la Moudouwana, alors qu’il a lui-même initié celle de 2004, il y a près de 20 ans, la politique de l’autruche n’est plus possible. Ce discours, fondateur d’une mise en action des forces vives, de l’Exécutif au Législatif, en passant par le pouvoir Judiciaire et les partis politiques vers une réforme du Code de la Moudouwana, est aussi un encouragement clair de la démarche du Collectif récemment créé.
De fait, ce qu’apportent les travaux du groupe de travail pour les libertés fondamentales, c’est un « document de travail » – rédigé en Arabe avant d’être traduit en Français – inespéré pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il a le mérite de la transversalité d’une démarche qui couvre un large spectre, en suivant la hiérarchie des normes de Kelsen, de la Constitution à la Moudouwana puis au Code pénal et à son Code de procédure et même jusqu’au Code de la nationalité.
Ensuite, parce que cette même démarche a été de composer « à la marocaine ». Dans la suite logique des propos royaux du discours de juillet dernier où le Souverain déclarait « Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels », le Collectif explicite clairement dans son préambule que l’objectif des propositions formulées, est de concilier les deux visages conservateur et réformateur de la société marocaine, conformément à notre religion, son héritage et nos valeurs. En témoigne le dialogue instauré avec des Oulémas de référence sur chacune des propositions avec des réponses claires formulées par les autorités religieuses.
Enfin, le document produit par le Collectif permet surtout de lancer le débat et d’en poser les termes de manière synthétique, ce qui n’est pas un luxe compte tenu des enjeux. Les propositions présentées ne sont d’ailleurs pas toutes novatrices ou réformatrices, mais catalysent l’essence des hypothèses de travail pour chaque sujet, dans une approche holistique des libertés fondamentales.
En définitive, chaque citoyen pourra surtout lire les propositions et se positionner par rapport à son propre système de valeurs et de croyances, il contribuera ainsi au débat démocratique sur des sujets dont il est le principal concerné. Mais, les partis et les décideurs politiques, les autres composantes de la société civile, le Gouvernement et le Parlement, ont aussi l’opportunité toute trouvée de faire avancer le débat grâce à un document qui après discussions, amendements et consultations, pourrait être l’ossature de réformes concrètes dans un avenir proche. Pour toutes ces raisons, l’essai du « Collectif Libertés Fondamentales » est d’ores et déjà transformé, à chacun désormais de porter sa pierre à l’édifice, en toute conscience. Avec la sérénité et le recul nécessaires à ce type d’exercice.
Zouhair Yata