Le cercueil du pompier Michel Khuzami, tué dans l'explosion à Beyrouth, porté en procession, le 9 août 2020 © AFP/Archives Fathi AL-MASRI
Les Libanais continuent d’enterrer mercredi dans la colère les victimes de l’explosion au port de Beyrouth, tandis que les forces politiques traditionnelles conspuées par la rue abordent la formation d’un nouveau gouvernement, réclamé sans délai par la communauté internationale.
Huit jours après l’explosion dévastatrice, les dirigeants internationaux se succèdent à Beyrouth, qui a reçu mercredi la visite du chef de la diplomatie allemande.
La déflagration, due à une énorme quantité de nitrate d’ammonium stockée depuis six ans « sans mesures de précaution » de l’aveu même du Premier ministre, a fait au moins 171 morts, plus de 6.500 blessés –selon un nouveau bilan– et près de 300.000 sans-abri, alimentant la colère de la rue contre une classe politique accusée de corruption et d’incompétence.
Le gouvernement de Hassan Diab a démissionné lundi mais une grande partie des Libanais réclament aussi le départ du chef de l’Etat Michel Aoun ainsi que du chef du Parlement, des députés et des mêmes politiciens qui dominent la vie politique depuis des décennies, tous jugés responsables de la tragédie de part leur incurie.
Au quartier général des pompiers de Beyrouth, proche du port, les obsèques de l’un des dix pompiers tués lors du drame se sont déroulées mercredi dans l’émotion.
« Dieu est avec toi, notre héros », ont martelé les pompiers en larmes, en portant le cercueil de leur camarade Jo Noun, 27 ans, enveloppé du drapeau libanais.
Le jeune homme faisait partie du groupe dépêché au port pour tenter de combattre l’incendie ayant entraîné l’explosion du nitrate d’ammonium.
Les corps de six pompiers n’ont toujours pas été retrouvés.
Parmi eux, trois membres d’une même famille –Najib Hitti, 27 ans, son cousin Charbel Hitti, 22 ans, et son beau-frère Charbel Karam, 37 ans. Leurs proches attendent désespérément que leurs restes soient identifiés.
« Entiers ou en morceaux, nous voulons nos enfants », a déclaré à l’AFP Rita Hitti qui n’a pas fermé l’oeil depuis le drame, dans l’attente de nouvelles.
« Six pompiers sont toujours portés disparus, nous cherchons parmi les décombres quelque chose que nous pourrons remettre à leurs familles », a indiqué à l’AFP le chef des pompiers de Beyrouth, le colonel Nabil Khankarli.
– Hariri de retour? –
Une diplomate allemande figure parmi les victimes. Le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas est arrivé mercredi à Beyrouth, dévoilant une aide d’un million d’euros pour la Croix-Rouge libanaise.
Une foule, en pleurs et en colère, avait rendu hommage la veille aux victimes, à la minute exacte où l’explosion a dévasté la capitale le 4 août à 18h08 locales (15H08 GMT).
La tragédie a été la catastrophe de trop pour une population déjà brisée par une dépréciation historique de la livre libanaise, une hyperinflation et des restrictions bancaires draconiennes. Sans oublier la pandémie de nouveau coronavirus.
La grande question est désormais celle de la succession du gouvernement. M. Aoun n’a pas annoncé la date des consultations contraignantes avec les blocs parlementaires, sur la base desquelles doit être décidé le nom du nouveau Premier ministre.
Reste à voir également si l’ampleur du cataclysme va inciter à une décision rapide, les tractations prenant d’habitude des mois.
Un responsable politique ayant requis l’anonymat a indiqué à l’AFP que les partis politiques traditionnels, sourds aux demandes de la rue, souhaitaient un « gouvernement d’union ».
Selon lui, deux des principaux chefs politiques du pays, l’indéboulonnable président du Parlement Nabih Berri et le vétéran de la politique Walid Joumblatt, penchent pour un retour de Saad Hariri, qui a démissionné douze jours après un soulèvement populaire en octobre.
Le Hezbollah n’est pas opposé à ce retour, a ajouté cette source.
Le puissant parti pro-iranien rejette « un gouvernement neutre ainsi que les noms qui constituent une provocation », selon le journal al-Akhbar, proche de la formation chiite.
Il refuse notamment l’ancien ambassadeur à l’ONU Nawaf Salam, qui a été évoqué et qui jouit de l’approbation du mouvement de contestation.
Le choix de M. Hariri pourrait redonner une impulsion à la mobilisation, relancée depuis l’explosion.
Pour la quatrième nuit consécutive, des heurts se sont produits mardi soir entre des dizaines de manifestants et les forces de l’ordre près du Parlement à Beyrouth. Dix blessés ont été transférés vers des hôpitaux et 32 soignés sur place, selon la Croix-Rouge libanaise.
Dans ce contexte, le Parlement doit se réunir jeudi pour entériner jeudi la proclamation de l’Etat d’urgence à Beyrouth pendant dix-huit jours renouvelables.
L’ONG Legal Agenda a estimé mercredi qu’une telle mesure reviendrait à « remettre le pouvoir à l’armée et porter atteinte à la liberté de se rassembler et de manifester ».
LNT avec Afp