Pr Karima Echcherki
Mme Karima Echcherki, professeur à la Faculté des Sciences et Techniques de Mohammedia, a publié son premier ouvrage, « Les inconsolées », un recueil de nouvelles dépeignant la situation de la femme et sa piètre évolution durant les récentes générations. Son rôle dans l’enseignement lui a permis de constater que, malgré l’éducation qu’elles ont reçue et qu’elles reçoivent, ses jeunes diplômées restent (trop) souvent enfermées dans des schémas de réflexions patriarchaux qu’elles ont hérités de leurs parents, et qu’elles inculqueront à leur tour à leurs enfants. Même au 21ème siècle, explique-t-elle, on est encore en train de se demander si la femme est un être humain à part entière. Avec la profonde conviction que le Maroc ne connaîtra un vrai changement dans les mentalités que si l’appareil législatif enclenche lui-même cette mutation de manière concrète et tangible. Seulement alors, le temps peut-être d’une génération, voire deux, la population marocaine pourra vraiment prendre l’habitude de ces changements et les intègrera pleinement.
« Les inconsolées », loin d’un essai philosophique complexe, raconte, avec simplicité et pudeur, la vie de femmes mais aussi parfois d’hommes marocains qui souffrent, parce qu’enfermés dans une société qui les brime et les étouffe. À travers une série de nouvelles, dans lesquelles l’avis personnel de l’auteur n’est que très rarement mis en avant, le lecteur est mis devant le fait que malgré quelques changements çà et là, les femmes marocaines, inconsolées tant que leurs souffrances ne seront pas prises en compte, sont toujours les victimes d’un étouffant carcan social qui, s’il est souvent dénoncé, est intouchable et le restera tant que les lois ne contribueront pas à sa disparition. Mme Echcherki considère, comme beaucoup, que les hommes et les femmes du Maroc sont entre deux mondes, ayant perdu leur réponse, et que la société marocaine va devoir choisir, et aller de l’avant plutôt que revenir en arrière. Elle a, pour nos lecteurs, accepté de répondre à nos questions.
La Nouvelle Tribune : Tout d’abord, qu’est ce qui a motivé votre démarche ?
Mme Karima Echcherki : Parce que je suis une femme marocaine et que je subis également des discriminations à cause de l’inégalité en matière de droits. Pour ce premier recueil, il était important pour moi de présenter mon engagement pour cette cause qui me concerne au même titre que plus de la moitié de la population.
Comment avez-vous réuni ces histoires et témoignages ? Comment ont réagi vos interlocuteurs(trices) ?
Ces nouvelles m’ont été inspirées par des faits divers lus dans la presse ou par des histoires qui m’ont été contées, mais les personnages ainsi que les récits sont imaginaires. J’ai raconté ces histoires tel que je les ai ressenties. Ce qui m’indigne c’est que la violence à l’égard des femmes est devenue un fait quotidien, inscrit dans le registre de la fatalité. Toute cette violence autrefois calfeutrée derrière les murs et étouffée dans l’intimité familiale déferle aujourd’hui dans les rues. Le harcèlement des femmes est l’une des différentes formes de manifestation de cette violence.
Vous expliquez que malgré quelques timides avancées, la situation de la femme n’a quasiment pas changé au Maroc. Voyez-vous des espoirs d’avancées dans les années à venir ?
La Moudawana a permis quelques avancées notamment en octroyant des droits supplémentaires à la femme au sein du couple. C’est bien, mais loin d’être suffisant pour prétendre émanciper la femme marocaine. Moi, je souhaiterais que l’on réfléchisse sur l’égalité des droits de la femme en général que celle-ci soit en couple, célibataire, divorcée, mère célibataire…Ce mouvement devrait s’inscrire dans un projet politique et social dans le but de rétablir la femme dans ses droits et dans sa dignité.
Malheureusement, je ne suis guère optimiste concernant le changement à court ou même à moyen terme. À connaissance, l’émancipation des femmes n’est inscrite dans aucun programme politique et les associations qui militent pour les droits des femmes ont de plus en plus de mal à mobiliser autour de leurs projets. Les préoccupations des Marocains restent pour l’essentiel d’ordre économique, mais beaucoup de Marocains ne considèrent pas les mouvements pour les droits des femmes comme un véritable levier de développement à la fois économique et social. Mais, quand je vois la Tunisie qui accorde de plus en plus de droits aux femmes mettant un terme à des pratiques archaïques ancestrales, je me dis qu’il y a peut-être encore un espoir d’être une femme maghrébine libre et émancipée.
Vous dénoncez avec véhémence les sources, pour vous, de la souffrance de ces femmes. Pourriez-vous les évoquer pour nos lecteurs ?
Les origines sont à la fois culturelles et religieuses. Dans nos sociétés arabo-musulmanes, le modèle familial patriarcal tend à soumettre la femme et la religion n’a jamais eu pour vocation de libérer la femme de la tutelle des hommes. Autant dire que nous sommes coincés entre le marteau et l’enclume à moins d’une prise de conscience collective. La littérature engagée peut aider dans ce sens en sensibilisant les lecteurs à une cause et en suscitant la réflexion.
Propos recueillis par Selim Benabdelkhalek