Depuis quelques jours, trois hashtags mettent les réseaux sociaux marocains en ébullition, #Dégage_Akhannouch #7dh_Gazoil #8dh_Essence. Sur Twitter, où le phénomène a commencé, les recherches sur l’origine et l’authenticité de ces hashtags font débat autour de l’analyse au timing fortuit d’un éminent professeur anglais, Marc Owen Jones. Celui-ci cherche à démontrer à travers l’étude qu’il a réalisé sur l’apparition des hashtags en question, que ceux-ci ont été accompagnés d’une création massive de faux comptes Twitter émettant tous le même contenu à peu de choses près.
La Twittoma, connue pour ses personnalités aux commentaires acérés, ne s’émeut pas de cette analyse qu’elle juge biaisée, fausse, incomplète etc., et relève plutôt qu’une fois de plus le Chef du Gouvernement Aziz Akhannouch est au cœur du cyclone. Pourtant, la méthode est belle et bien connue et reconnue, les faux comptes et les bots étant même au centre de l’imbroglio judiciaire entre Elon Musk et Twitter. Les centaines de commentaires qui s’accumulent heure après heure sur toutes les publications des médias en ligne sur Facebook et Instagram, rappellent aussi étrangement la période des boycotts numériques récents qu’a connu le Maroc et personne n’est dupe désormais, la propagande et les fake news sont monnaie courante sur les réseaux sociaux.
[Thread]1/ This one's on #Morocco. A few days ago the trend 'degage Akhannouch' (get lost/get out Akhannouch) was trending. Akhannouch is Morocco's Billionaire PM under fire for (among other things) high fuel prices. This analysis shows lot of fake accounts operating on the #
— Marc Owen Jones (@marcowenjones) July 17, 2022
Mais, ce qui interpelle dans cette histoire de #Dégage_Akhannouch, c’est que quelle que soit l’origine de cette contestation digitale, qu’elle soit organique et reflète les aspirations réelles de la population marocaine qui souffre au quotidien, ou qu’elle soit commanditée, elle fait désormais partie du débat public et appelle des réponses. Parce que comme pour les incendies qui font rage au Maroc, même s’ils sont d’origine criminelle et humaine, le feu se charge du reste. Sur les réseaux sociaux, les hashtags se sont répandus comme une trainée de poudre et les Marocains sont en train d’en faire leurs quatre-heures parce qu’ils correspondent bon an, mal an, à ce qu’ils pensent aussi.
La hausse pharamineuse des prix des carburants, dans un contexte où le Chef du Gouvernement est historiquement l’un des acteurs majeurs du secteur, ne peut qu’être source de critiques de la part de citoyens qui n’ont absolument pas les moyens de supporter ces prix au quotidien alors que leur pouvoir d’achat est simplement réduit à néant. Et s’il parait aberrant pour certains de demander à une entreprise privée de réduire ses marges ou profits, le pouls de la rue marocaine n’en a cure et brandit la morale comme rempart, arguant que « trop c’est trop ».
Ce que révèle également cet embrasement numérique, c’est que quoi qu’on pense de l’état démocratique du pays, aucun consensus n’est acquis et le Chef du Gouvernement est en première ligne face à ses détracteurs, de quelque bord qu’ils soient.
Sur le fond, malgré l’optimisme rassurant du Gouvernement, l’inflation semble installée pour durer, d’autant que la conjoncture internationale, géopolitique et économique, ne semble pas s’améliorer à court terme. Les Marocains, exsangues après trois années de pandémie, alors même que leur niveau de vie était à peine soutenable, ne tiendront pas indéfiniment avec des prix à la pompe deux fois plus élevés que ce que leur budget leur permet de dépenser.
La clairvoyance royale sur l’urgence d’une politique sociale inclusive est la preuve tangible de la prise en compte de ces réalités. Mais, le contexte actuel de crise a accentué l’acuité du problème, même si les chantiers sociaux avancent au pas de charge, parce que la classe moyenne s’appauvrit et que cela rend le malaise social encore plus visible. A l’étranger, des mesures sont proposées, étudiées et implémentées pour tenter de juguler l’impact de la hausse des prix des carburants sur les ménages. Ainsi, au lieu de généraliser un dirham de moins à la pompe, ce qui revient à encore donner le sentiment que l’ampleur du problème n’est pas prise en compte alors que cela coutera 1 milliard à l’État, une tarification graduée et subventionnée pourrait peut-être être envisagée.
Grâce aux outils numériques à la disposition de l’État depuis la crise de la Covid, il ne serait pas difficile de permettre l’identification des personnes et leur classification par exemple sur la base de leur CNSS, de leur secteur professionnel, les familles aux revenus inférieurs à un certain seuil, etc., et leur attribuer des chèques de carburants ou des remises spécifiques à la pompe.
Les propriétaires de 4×4 et de berlines rutilants continueront à payer leur plein au prix fort et tous ceux qui ne peuvent pas se le permettre pourront peut-être même partir en vacances en famille. Oui, les ressources de l’État ne sont pas illimitées et sont mises à mal en cette période de crises multiples. Mais les Marocains clament de plus en plus haut et fort que leur préoccupation du moment c’est #7dh_Gazoil et #8dh_Essence. Il faudra trouver un moyen de répondre à leur désarroi, ou réussir à les convaincre que ce qu’ils ne paieront pas à la pompe, ils le paieront ailleurs.
Zouhair Yata