
C’est à Rio de Janeiro que Malik Lemseffer et Edouard Bettencourt se rencontrent, l’un en stage, l’autre en échange. Ils se découvrent de nombreux points en commun ainsi qu’une sensibilité architecturale proche, ce qui les amène à travailler ensemble sur plusieurs projets tels que des études perspectives sur le thème des favelas de Rio de Janeiro (2012-13), la réhabilitation d’une Villa à Casablanca (2014) ainsi que sur divers concours. Ils sont notamment lauréats du prestigieux concours international AC-CA pour lequel ils reçoivent la mention honorable du jury pour leur proposition d’une école des arts du cirque à Moscou. Ils fondent leur agence en Juillet 2017, LEMB Studio, qui concrétise plusieurs années de collaboration. Dans l’entretien ci-dessous accordé à La Nouvelle Tribune, Malik Lemseffer nous explique sa démarche architecturale, ainsi que les projets en cours de LEMB Studio.
Quelles sont les particularités de LEMB Studio ?
Malik Lemseffer : LEMB studio s’est construit (et se construit encore) autour d’expériences internationales. Edouard et moi-même évoluons depuis quelques années dans différents environnements cosmopolites, ce qui nourrit notre approche de projet et nos références architecturales. Edouard, installé depuis plusieurs années à Londres a une longue expérience chez Serie Architects, une agence internationale dont les projets se développent en Asie, au Moyen-Orient et en Europe. De mon cote installé à Paris, j’ai eu l’occasion de travailler sur d’importants projets, au sein de grandes agences françaises tournées vers l‘international, avec également une activité forte en France. Ensemble, nous dessinons des projets basés au Brésil, au Maroc, en Russie, en France… C’est à cette pluralité que nous devons notre originalité. Nous adorons mêler nos références, partager, débattre, confronter nos points de vue qui nous sont propres et que nous devons à nos parcours respectifs, à notre formation d’architecte issues d’écoles différentes, à nos rencontres et voyages respectifs…
A chaque nouveau projet nous affinons notre tronc commun, notre sensibilité, qui définit petit à petit l’identité de LEMB studio. Puis, on y mêle de nouvelles références londoniennes, casablancaises ou autres, ce qui nous permet de réinventer, d’évoluer toujours davantage…
Vous avez participé à des concours récemment au Maroc, notamment pour le projet CASA ANFA, pouvez-vous nous en expliquer le contexte ?
Le projet de CASA ANFA tient une place particulière au sein de la ville de Casablanca : c’est à la fois une pièce urbaine modeste au regard des immenses territoires ouverts à l’urbanisation, et le projet phare du Maroc appelé à devenir le symbole du renouveau urbain du pays. Ce nouveau quartier devra répondre à des enjeux locaux, des enjeux métropolitains et aux nécessités de la mondialisation. C’est un projet qui a pour objectifs de :
– Favoriser la mixité sociale en reliant, en équipant et en complétant les quartiers existants.
– Construire une nouvelle centralité pour Casablanca autour d’un grand parc métropolitain et d’un nouveau réseau de transports collectifs.
– Concevoir un quartier emblématique du Maroc d’aujourd’hui en termes économique, culturel et environnemental.
Le concept s’inspire des jardins suspendus de Babylone, traduits de manière moderne, où les terrasses vertes réceptacle d’une végétation luxuriante, organisées verticalement, offrent des espaces de nature au sein même du bâtiment. Les logements sont imaginés en cascade, surplombant le futur grand parc urbain de Casablanca.
Le podium, où la partie basse du bâtiment offre des unités commerciales et différents équipements pour les habitants.
Ce projet tramé tire son inspiration des bâtiments casablancais de l’architecte grec disciple du Corbusier George Candilis, notamment le bâtiment le nid d’abeille, icône de l’architecture moderne casablancaise.
Ce projet est un trait d’union entre le passé, le présent et le futur de l’architecture casablancaise. En regardant vers le passé : la médina traditionnelle (toits et terrasse en escalier), la médina réinterprétée des Habous (Galerie commerçante, arches et arcade), l’architecture sous protectorat (trame, modernisme), mais toujours tourné vers l’avenir.
En tant qu’architecte marocain, comment votre marocanité s’exprime-t-elle dans votre travail ?
Dans mon travail au jour le jour, ma marocanité s’exprime à travers toutes les images que j’ai pu voir au cours de mes différents voyages ou lors de mon enfance au Maroc.
Toutes ces différentes expériences enrichissent mon travail. Le Maroc est un pays d’une richesse extraordinaire, il est donc normal pour moi de tirer le maximum des inspirations ou références qu’il a à offrir, en évitant de tomber dans la facilité ou dans les clichés.
Il est important pour moi de s’inspirer sans singer, et les sources d’inspirations aux Maroc sont abondantes, par exemple, de l’urbanisme incroyable des Médinas, les techniques de constructions innovantes des Kasbah, la beauté ou la finesse du détail dans les médersas ou les mosquées.
Originaire de Casablanca, véritable laboratoire de l’architecture mondiale au XXe siècle, je suis fier en tant que marocain de revendiquer un tel patrimoine.
Le Maroc possède un héritage architectural immense, que ce soit l’architecture traditionnelle, ou l’architecture moderne du début du XXe siècle.
Il est important pour moi en tant que jeune architecte marocain de m’approprier les différents pans de l’histoire de l’architecture du Maroc, tout en me projetant dans ce que pourrait être son avenir.
Vous travaillez actuellement sur un projet de tours dans le désert, quels en sont les grands axes ?
Il s’agit d’un projet prototypique : l’Oasis 2.0, Une tour dans le désert marocain. Oasis 2.0 est écosystème autosuffisant qui tire profit des ressources que peut offrir son environnement naturel (Nappe phréatique souterraine non fossile, énergie solaire). A partir de ce prototype, l’ambition est ainsi de créer un réseau de villes verticales indépendantes jalonnant les différentes routes de migration subsaharienne et répondant aux problématiques et aux besoins locaux.
Ce modèle de tours répondra à trois problématiques :
Problématique Environnementale : une Tour auto suffisante développant des modèles de gestion écologiques des ressources naturelles disponibles ; Utilisation de nappes phréatique non fossile avec un Cycle de l’eau complet mis en place au sein même de la tour ; Production d’énergie grâce au solaire ; Utilisation de matériaux locaux.
Problématique Economique : cette tour va permettre d’activer et de générer des activités commerciales pour les habitants de la tour et des environs comme le tourisme, l’agriculture verticale au sein de la tour ou encore un centre de recherche sur l’énergie.
Problématique Sociale : Logement et halte pour les migrants de passage ; Intégration de régions enclavées ; Associations venant en aide aux migrants.
Comment conciliez-vous dans ce projet l’approche architecturale et durable ?
L’approche durable selon moi ne consiste pas en une accumulation de gadgets à la mode, la véritable durabilité selon moi, est de savoir tirer le maximum des ressources naturelles non épuisables disponibles en un lieu donné.
On peut le voir jusque dans l’architecture traditionnelle vernaculaire avec l’utilisation de matériaux locaux, en réduisant les différents circuits d’acheminement, en exploitant au maximum les différentes ressources disponibles localement (ventilation naturelle, utilisation de matériaux isolants efficacement en été comme en hiver).
Propos recueillis par Zouhair Yata