Le secteur maritime, souvent sous-estimé dans les débats économiques nationaux, pourrait bien représenter une des clés de la souveraineté économique et du développement industriel du Maroc. Lors d’une rencontre organisée le 15 octobre 2024 par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), la nécessité de développer une stratégie nationale pour l’industrie navale a été au cœur des discussions. Cette rencontre avait pour objectif de présenter les grandes lignes du rapport annuel du CESE pour l’année 2023, et notamment son chapitre consacré à l’industrie de la construction navale.
Un besoin stratégique : une flotte maritime compétitive
Dans son discours d’ouverture, Ahmed Reda Chami, président du CESE, a souligné l’importance vitale du développement de ce secteur pour le pays. Pour lui, l’industrie navale représente une « pierre angulaire » permettant de bâtir une flotte maritime commerciale nationale robuste et compétitive, un objectif clairement évoqué dans le discours royal du 48e anniversaire de la Marche Verte. La constitution d’une telle flotte est perçue comme un levier crucial pour la souveraineté économique et la réduction de la dépendance aux importations maritimes.
Selon Chami, le Maroc dispose d’atouts prometteurs pour se positionner favorablement dans certaines niches du marché mondial de la construction navale. Toutefois, ces potentialités demeurent largement inexploitées. « Si ces ressources sont valorisées et optimisées de manière adéquate, le Maroc pourrait s’insérer efficacement dans certaines activités et marchés de la construction navale », a-t-il ajouté.
En d’autres termes, le Maroc a la possibilité de se constituer une place de choix dans l’industrie navale, à condition de s’engager dans une stratégie bien définie et de surmonter les obstacles actuels.
Les freins au développement de l’industrie navale
Le rapport du CESE, intitulé « Développer le secteur de la construction navale au Maroc : un enjeu clé pour renforcer le processus de fabrication et la souveraineté économique », identifie cinq principaux obstacles freinant le développement de ce secteur prometteur :
- Multiplicité des intervenants sans coordination stratégique : Le secteur est freiné par une fragmentation des responsabilités entre de nombreux acteurs, en l’absence d’une stratégie intégrée à l’échelle nationale. Cette situation complique l’élaboration de projets cohérents et freine les synergies nécessaires pour maximiser les investissements et le savoir-faire.
- Problèmes d’accès au foncier et aux infrastructures : L’industrie navale nécessite des infrastructures spécifiques et coûteuses, telles que des chantiers navals et des ports adaptés. Le rapport souligne que les problèmes de disponibilité du foncier et les coûts élevés d’infrastructure constituent un frein important au développement du secteur.
- Cadre juridique et fiscal inadéquat : Les régulations actuelles ne sont pas suffisamment alignées avec les besoins spécifiques du secteur. Un cadre juridique et fiscal plus attractif est nécessaire pour attirer les investissements nationaux et internationaux.
- Manque de financements adaptés : La construction navale est une industrie à forte intensité capitalistique et comporte des risques élevés. Pourtant, le rapport constate l’absence de produits financiers spécifiques adaptés à ces particularités, ce qui décourage les investisseurs potentiels.
- Pénurie de ressources humaines qualifiées : L’industrie navale exige une main-d’œuvre hautement qualifiée dans des domaines spécialisés, mais le Maroc souffre d’une insuffisance de personnel formé dans ces secteurs. Sans un effort conséquent en termes de formation professionnelle, il sera difficile pour le Maroc de développer une industrie navale compétitive.
Une stratégie nationale pour l’industrie navale
Face à ces défis, le CESE recommande la mise en place d’une stratégie nationale intégrée pour l’industrie navale. Cette stratégie viserait à fédérer les différents acteurs du secteur autour d’une vision commune, tout en tenant compte des particularités et des opportunités offertes par le marché mondial.
La première étape de cette stratégie consisterait en la création d’un mécanisme institutionnel pour coordonner les actions des différents acteurs impliqués dans le secteur de la construction navale. Il s’agirait d’une plateforme dédiée à la supervision et à la mise en œuvre des initiatives, intégrant à la fois les ministères concernés, les opérateurs privés, et les experts du secteur.
Une approche progressive et ciblée
Le CESE propose également d’adopter une approche progressive pour le développement de l’industrie navale. Sur le court et le moyen terme, l’accent devrait être mis sur des activités qui sont technologiquement et financièrement à la portée du Maroc. Cela pourrait inclure la construction de navires de petite et moyenne taille, notamment des navires de pêche et de transport côtier. L’objectif serait d’abord de satisfaire la demande locale tout en ciblant progressivement les marchés d’exportation.
Sur le long terme, le Maroc pourrait viser des segments de marché à plus haute valeur ajoutée, tels que la construction de navires spécialisés ou de navires de grande taille, nécessitant des technologies plus avancées.
Adapter le cadre législatif et financier
Le CESE insiste également sur la nécessité de réformer le cadre juridique et fiscal afin de rendre le secteur plus attractif pour les investisseurs. Des incitations fiscales, couplées à des mécanismes de financement innovants, comme la création d’un fonds de financement dédié à l’industrie navale, pourraient attirer de nouveaux capitaux dans ce secteur jugé risqué par les investisseurs traditionnels.
Ce fonds, suggéré dans le cadre de la dynamique du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, aurait pour objectif de réduire les risques financiers associés aux projets navals tout en stimulant l’innovation.
Pour répondre aux besoins en compétences du secteur, le CESE recommande de mettre en place des programmes de formation professionnelle spécifiques à l’industrie navale. Ces programmes devraient être développés en partenariat avec des instituts de formation nationaux et internationaux, avec un accent sur le développement des compétences en ingénierie navale, en construction mécanique et en gestion portuaire. Par ailleurs, la création de centres de recherche et développement dédiés à l’industrie navale permettrait de renforcer la capacité d’innovation du Maroc dans ce domaine.
L’industrie navale est un secteur d’avenir pour le Maroc. En misant sur une stratégie nationale intégrée, des infrastructures adaptées, un cadre fiscal favorable et des formations spécialisées, le Royaume pourrait transformer ce domaine en un pilier essentiel de sa souveraineté économique.