Crédits photo : Ahmed Boussarhane/LNT
«Celui dont la maison est de verre doit se garder de jeter des pierres aux autres.» C’est ce qui me vient à l’esprit en m’informant de la prouesse journalistique d’une certaine correspondante espagnole au Maroc, qui a publié un article truffé de mensonge, d’anachronismes et d’inexactitudes sur l’état de santé du souverain marocain et sur le Royaume à l’époque du coronavirus. J’ai pensé aussi au mois d’avril et à ses fameux poissons ; bien que le poisson qui surgit cette fois des eaux ludiques du mois des mensonges est d’un gout morbide et touche aux fondements de la déontologie journalistique.
Franchement, en quoi cela avancerait-il l’opinion publique espagnole de spéculer et de se poser des questions sur l’état de santé du monarque voisin dans cette triste conjoncture ? Être correspondant d’un journal quelconque permettrait-il de faire fi des normes de la déontologie rien que pour le caprice de voir son nom apostillé à un gros titre ?
Au moment où l’Espagne vit son plus viral des calvaires depuis la grippe espagnole de 1918, ne serait-il pas plus bénéfique de chercher le moyen d’aider ses concitoyens meurtris par la pandémie à surpasser cette crise? Le titre d’un article paru le 7 avril dans le journal espagnol El País se demande pourquoi l’Espagne compte le taux de mortalité par coronavirus le plus élevé de la planète. C’est ce qu’on appellerait communément une interrogation pertinente. C’est le genre de question à se poser dans un pays qui entame sa cinquième semaine de confinement et qui connaît le plus haut indice de mortalité par rapport à sa population (l’article en question chiffrait à la date de sa parution lundi dernier 13.055 morts, soit 28 pour chaque 100.000 habitants).
Je n’ai pas pu lire l’article de la journaliste espagnole. Il a été publié le 2 avril sur les pages roses dites du cœur du journal El Español, pour en être retiré le lendemain de sa publication. Déjà un signe significatif d’étroitesse de vision professionnelle ! CPLATAM-Analyse politique en Amérique latine, un observatoire et aussi une plateforme de services spécialisés de conseil et d’analyse sur des questions liées à l’Amérique latine et au Maroc, a pu prendre l’article à chaud et a publié ce mercredi une poignante et pointeuse réaction qui permet d’en avoir une idée assez claire. On y retrouve même la reproduction textuelle de certains passages dans le but d’en souligner les violations déontologiques. Une attitude fort louable de Jamal Mechbal et Clara Riveros, auteurs de cette riposte qui décortique le texte de la journaliste espagnole et passe au crible fin les aspects diffamatoires de ses propos.
Les deux auteurs commencent par une métaphore empruntée au commentateur de la chaîne espagnole Sur qui décrit la pandémie comme un énorme incendie auquel chaque voisin devrait accourir avec son seau d’eau. Quoi de plus expressif et éloquent pour résumer l’éthique du bon voisinage et le devoir d’être solidaire dans les circonstances qu’on traverse ! Notre voisine espagnole, qui de surcroit vit parmi nous, au lieu du seau d’eau, semble accourir toute contente d’attiser le feu du grand bucher, avec un seau d’huile.
Dans son article, elle aurait même eu l’idée d’étaler ces présumées connaissances concernant le Hadith et la Sunna, arguant que le monarque en décrétant le confinement ne faisait qu’appliquer les directives du prophète: «Si vous apprenez qu’une épidémie dévaste une zone, n’y allez pas et si vous découvrez qu’une région est touchée par une épidémie, ne l’abandonnez pas.» Je ne suis pas sûr de bien saisir la raison de cette digression ; car, hormis l’ironie latente du cliché du peuple assujetti aux commandements des vieux textes sacrés, l’allusion à l’application du hadith est à mon sens hors de propos et frôle même le ridicule. Nous avons aussi pris la résolution de traiter les cas d’infection à la chloroquine ; allez donc chercher un hadith ou le prophète parle du traitement à l’hydroxychloroquine… Les auteurs du texte-riposte n’hésitent pas à rappeler à la correspondante espagnole qu’en « professionnelle de l’information qu’elle est » elle a le devoir et l’obligeance d’être dûment et correctement informée. Ce n’est pas le hadith qui donne sa légitimité à la décision du confinement ; c’est une condition sine qua non, imposée en tant que mesure préventive par la communauté internationale parce qu’il n’existe pas trente-six mille façons de stopper l’infectiosité du coronavirus. L’imbécile le plus invétéré sait aujourd’hui qu’en l’absence de traitement antiviral, il n’y a pas de meilleure solution que l’autoconfinement. C’est un devoir de citoyenneté nationale et internationale.
Le Maroc a pourtant démontré une certaine sagesse dans la gestion de sa crise pandémique. Aux abords de l’Espagne, non loin de la France, et avec des ressources précaires et assez limitées, il a su faire preuve d’une vivacité d’esprit et d’un courage que la journaliste espagnole s’efforce de ne pas voir pour mieux se concentrer sur les mensonges calomnieux et autres impactes sensationnalistes. Conscient de ses moyens et ressources, le Royaume a su prendre dans la foulée deux décisions importantes et très courageuses. La première est la décision rapide de confinement, décrétée dès l’apparition des premiers cas d’infection ―venus d’ailleurs― ignorant les lourds dommages collatéraux sur une économie déjà fébrile. La deuxième est la résolution à l’emploi de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine pour le traitement des cas infectés. Alors que l’on continue à tergiverser sur les vertus de la molécule magique, le Royaume a pris une décision souveraine et semble prêt à en assumer les conséquences. Jugées « ambitieuses et judicieuses », les mesures du Royaume face à la pandémie ont étés saluées par la représentante de l’OMS au Maroc. Dans ce sens, par ailleurs, les auteurs de l’article de CPLATAM, tout en s’appliquant à défaire les fils fallacieux des hypothèses infâmes et incongrues de la correspondante espagnole, ne manquent pas de saluer le sérieux et le professionnalisme d’autres plateformes de la presse espagnole, notamment El País, qui observent avec sérénité et objectivité professionnelle les défis, les mesures drastiques et même les trébuchements de l’État marocain dans sa gestion de la crise.
La presse nationale ne s’est pas fait l’écho de l’article retiré. Dans le cadre du suivi du travail des correspondants des médias étrangers accrédités au Maroc, la Direction de la communication et des relations publiques du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports a publié lundi 6 avril un communiqué qui indique que “certains articles et couvertures d’actualités diffusés dernièrement par des médias étrangers comportaient des chiffres et des données imprécis ou partiels, voire des faits amplifiés ou mis hors de leur contexte à des fins d’agitation médiatique”. Le communiqué n’évoque donc pas de façon frontale les infractions de la journaliste espagnole. C’est peut-être ce qui pousse nos deux auteurs à en appeler à une intervention plus engagée et virulente du Conseil national de la presse pour rappeler aux journalistes correspondants le droit des lecteurs à une information de qualité, qui ne prenne pas comme source l’imagination, le mensonge ou encore la désinformation diffusée via les pamphlets calomnieux de l’activisme séparatiste.
Il est certain que nous sommes tous dans le même bain. Nous passons par des moments difficiles où la presse et les médias en général se doivent de se serrer les coudes afin de réconforter, instruire, encourager et sensibiliser les gens aux responsabilités civiles qui leur incombent. C’est aujourd’hui une tâche essentielle pour les intellectuels et journaliste, à travers de leurs tribunes et plateformes, de donner l’exemple de cette solidarité et d’apporter leur grain de sable à la lutte contre l’épidémie et l’infodémie au lieu de se tourner vers la désinformation et fake news qui se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
YOUNES GNAOUI