L’Assurance maladie obligatoire (AMO) a vu le jour au Maroc en 2005, après avoir été instituée par la loi 65.00 portant code de la couverture sociale, en 2002. Elle a connu ensuite quelques modifications, dont les principales ont concerné l’élargissement de la population couverte, ou l’extension de l’AMO à certains soins.
En 2019, seulement 26% des Marocains étaient couverts par l’AMO, un peu plus de 9 millions de personnes. On comprend donc la taille du chantier que représente la généralisation de cette couverture à l’ensemble de la population, annoncée par le Roi Mohammed VI à l’occasion du discours de la Fête du Trône du 29 juillet 2020, et officiellement lancée par le Souverain le mercredi 14 avril 2021, après la publication au BORM du Dahir n° 1-21-30 du 23 mars 2021, portant promulgation de la loi n° 09-21 relative à la protection sociale.
Un calendrier chargé
Ce projet d’envergure, qui bénéficie déjà dans un premier temps aux agriculteurs, artisans et professionnels de l’artisanat, aux commerçants, professionnels et prestataires indépendants soumis au régime de contribution professionnelle unique (CPU), au régime de l’auto-entrepreneur ou au régime de la comptabilité, devra s’étendre, dans un second temps, à d’autres catégories dans la perspective de la généralisation effective de la protection sociale à tous les citoyens.
Parmi les objectifs de la généralisation de la protection sociale, la généralisation de l’Assurance maladie obligatoire de base est prévue durant les années 2021 et 2022, et ce par l’élargissement de l’assiette des bénéficiaires de cette assurance pour inclure les catégories vulnérables bénéficiant du Régime d’assistance médicale et la catégorie des professionnels et travailleurs indépendants et personnes non-salariées, qui exercent une activité libérale, de sorte que 22 millions de personnes supplémentaires en bénéficient.
51 MMDH par an
C’est ainsi qu’environ 22 millions des Marocains, dont 11,4 millions sont adhérents au RAMED, et 11 millions de professionnels, commerçants, agriculteurs, artisans et ceux exerçant une profession libérale, bénéficieront du régime de l’AMO avec les mêmes services et panier de soins dont bénéficient actuellement les salariés du secteur privé. Il est à noter que l’État prendra en charge les frais d’abonnement des 11 millions bénéficiaires actuels du RAMED, avec une enveloppe annuelle de l’ordre de 9 MMDH, soit une augmentation annuelle de 7 MMDH par rapport aux dépenses liées à l’achat de médicaments dans le cadre de l’actuel régime.
A cet effet, une enveloppe de 4,2 MMDH a été allouée au titre de la Loi de Finances pour l’année 2021, et 8,5 MMDH devraient être alloués en 2022. En outre, tous les ménages, en particulier les plus démunis ou ceux en situation de vulnérabilité, avec ou sans enfants, bénéficieront d’une compensation pour se prémunir contre les risques de l’enfance ou d’une indemnité forfaitaire, et ce par le biais d’un ciblage plus efficace en adoptant le Registre Social Unique. Le soutien de ces ménages coûtera environ 20 MMDH, dont 14,5 MMDH seront versés au profit des ménages pauvres au titre des indemnités familiales.
Globalement, selon les déclarations de M. Benchaâboun, ministre de l’Économie et des Finances, la généralisation de l’AMO va nécessiter la mobilisation d’environ 51 MMDH annuellement, à travers deux dispositifs : le premier consiste en un système d’affiliation (28 MMDH) qui concerne les personnes ayant la capacité de participer au financement de la couverture sociale, tandis que le deuxième dispositif (23 MMDH) est basé sur la solidarité et concerne les personnes n’ayant pas la capacité de participer au financement. Ce dernier devra être financé par : le budget de l’État, les recettes fiscales réservées au financement de la protection sociale (par exemple la taxe sur la solidarité de 2021), les ressources dégagées suite à la réforme de la compensation, toutes les autres ressources qui peuvent être mobilisées en vertu de textes législatifs ou réglementaires.
Sur ce dernier point, il faut souligner que le chantier impose également de modifier plusieurs textes existants et d’en préparer de nouveaux. Par exemple, le gouvernement a récemment amendé la loi n° 98-15 du 23 juin 2017 relative au régime de l’AMO de base pour les catégories des professionnels, des travailleurs indépendants et des personnes non salariées exerçant une activité libérale, pour se conformer à la loi-cadre sur la protection sociale, notamment au niveau du temps de cotisation ou encore la couverture retraite.
Les propositions des Conseillers
L’adoption de la loi-cadre est une étape cruciale, vu qu’elle définit un cadre qui restera inchangé, et auquel les autres textes de loi devront se conformer. Une fois votée, les parties prenantes, comme la CNSS par exemple, n’auront plus qu’à l’appliquer.
La couverture sociale a été justement le thème d’un rapport parlementaire présenté mi-juillet, qui propose notamment, au niveau de la gouvernance, la création d’un mécanisme unifié de pilotage multi-représentatif notamment «l’Instance nationale d’orientation de la protection sociale». Cette dernière serait chargée d’assurer le suivi et la mise en œuvre des chantiers de protection sociale.
Et en ce qui concerne le financement de la protection sociale, le rapport préconise notamment l’élaboration d’un mécanisme d’évaluation annuelle du financement et de ses effets sur la stabilité du système de protection, et invite à la réduction du déficit social et la création de moyens innovants de collecte des ressources de la protection sociale et des contributions des assurés.
Mais au-delà de tout ceci, la généralisation de la protection sociale nécessite également de lancer un ensemble de réformes structurelles qui concernent le système de santé, dont la réhabilitation des hôpitaux, l’instauration du respect du procédé de traitement, la promotion des ressources humaines et le développement du système d’information.
Au niveau de la seule CNSS, dont le nombre d’affiliés va exploser, et on estime que la Caisse aura besoin de 6.000 à 7.000 agents par jour au lieu de 1.000 actuellement pour gérer les dossiers de manière efficace.
Selon une étude du Bureau International du Travail de 2019, seulement 29% de la population mondiale sont couverts par des systèmes complets de protection sociale. En Afrique, à peine 17,8% de la population bénéficient d’une couverture sociale. La réussite du chantier marocain hisserait le Royaume parmi les meilleurs exemples en la matière…
Selim Benabdelkhalek
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