M. Hicham Boudraa, DG de l'AMDIE
La problématique des investissements directs étrangers (IDE) dans notre pays est incontestablement l’une des préoccupations majeures des responsables publics, gouvernement et institutions dédiés à l’incitation à l’investissement notamment. Elle a notamment connu un véritable coup d’accélérateur avec la mise en œuvre de stratégie sectorielle de grandes envergures qui donne désormais davantage de visibilité aux investisseurs étrangers.
Le pays confirme en effet aujourd’hui son attractivité et des mastodontes de l’économie mondiale y élisent domicile pour assurer de grosses productions. Comment le Maroc a t’il pu améliorer son attractivité ? Comment évalue-il aujourd’hui la qualité et la quantité des investissements directs étrangers ? Quelle importance accorder aux statistiques ? Et surtout, quelle approche pour maintenir le « trend » des investissements ? Ce sont là autant de questions qui se posent aujourd’hui pour analyser un sujet stratégique pour notre économie nationale.
Des statistiques annuelles sont publiées pour rendre compte des investissements étrangers, au risque d’induire en erreur l’opinion publique sur leur qualité et leur importance.
Un baromètre de l’investissement
Evaluer l’investissement direct étrangers est aujourd’hui un exercice complexe. Les statistiques portent parfois à confusion. Interrogé sur la question, Hicham Boudraa, directeur général par intérim de l’Agence Marocaine … (AMDIE) explique : « La particularité de l’investissement réside dans le fait qu’il ne se détermine pas en cycle annuel. Les plus importants ont un cycle de trois ans en moyenne.
Certains prospects prennent six ou sept ans à se concrétiser, d’autres six mois. D’où la moyenne de trois ans pour convaincre un investisseur potentiel de passer à l’acte, même si ce phénomène est de plus en plus court, à mesure que le Maroc gagne en notoriété, en visibilité, en crédibilité auprès des investisseurs».
Comment évaluer la qualité et l’impact de ces investissements sur l’économie nationale ?
Il s’agit là d’une approche qui consiste davantage à analyser les chiffres de plus près. Pour Hicham Boudraa, il s’agit concrètement de passer outre la simple analyse du montant de l’investissement : « Il n’est pas très indicatif. Des investissements très capitalistiques peuvent se faire sans pour autant assurer une grande création d’emplois ou être stratégique pour le pays.
C’est pourquoi il faut aller davantage analyser les chiffres pour comprendre quel type d’investissements a pu être attiré par notre pays ».
Dans ce sens, dans certains secteurs comme les hautes technologies, l’investissement pourra ne pas être très capitalistique, mais représenter un maillon très fort dans la chaîne de la création d’emplois, complétant notamment une chaîne d’intégration. On en conclura donc qu’il vaut mieux analyser la qualité de l’investissement plutôt que son montant, ce que corrobore l’exemple de Peugeot.
Ce constructeur automobile français est effectivement un grand investisseur, mais sa particularité, c’est qu’il va aller en avançant sur l’écosystème jusqu’à fabriquer des moteurs localement.
De même Renault, dont le taux d’intégration n’était pas important à Melloussa au départ, l’a fortement augmenté et a permis d’affirmer une réputation, d’abord avec Somaca, qui faisait uniquement du CKD, pour monter progressivement en puissance, et établir à Tanger une usine considérée comme la meilleure de ce grand constructeur automobile, favorisant ainsi la notoriété du Maroc.
Ces investissements comme beaucoup d’autres réalisés ces dernières années ont permis à notre pays et à ceux qui travaillent à sa promotion à l’étranger notamment à l’AMDIE, de disposer d’un retour d’expérience et de pouvoir répondre aux questionnements des investisseurs étrangers, équipementiers ou constructeurs, qui veulent comprendre quels seraient leurs gains en s’implantant au Maroc, notamment en termes de coûts de production.
« Attractivité africaine »
Des fondamentaux solides, voilà véritablement ce que le Maroc présente aujourd’hui aux investisseurs étrangers. Hors mis la visibilité donnée à travers le modèle économique ou encore les stratégies sectorielles, le Maroc présente aujourd’hui des gages de stabilité à la fois économique, sociale et politique qui permettent aux investisseurs, de plus en plus nombreux, de se projeter à moyen et à long terme et donc de sécuriser ses investissements.
L’indice de stabilité du Royaume est aujourd’hui beaucoup plus élevé que celui de nombreuses économies avancées.
Le cycle de représentation et de gouvernance publique s’étend sur cinq années en moyenne et avec les instabilités que l’on connaît aujourd’hui, la montée des populismes, la tendance à l’unilatéralisme, la xénophobie, la visibilité n’est pas toujours garantie.
Dans ce contexte, le Maroc se distingue clairement aujourd’hui pour offrir aux opérateurs économiques internationaux une visibilité et une vision très claire, à la fois au niveau local, international et continental.
Conscient du potentiel du continent africain, le Maroc ainsi que ses opérateurs économiques s’inscrivent définitivement dans une approche de co-développement en Afrique, investissant dans les secteurs clés qui assureront l’émergence du continent. « Les entreprises marocaines sont de plus en plus nombreuses à investir sur le continent au regard des opportunités que ce marché présente.
Cependant il faut garder en tête que l’Afrique n’est pas une terre d’investissement réglée comme une montre suisse en ce sens que le continent présente des aléas auxquels il faut souvent faire face », souligne Hicham Boudraa.
En ce qui concerne le flux inverse, l’investissement des opérateurs africains au Maroc, un travail de rapprochement devra encore être effectué afin d’améliorer l’attractivité de ces opérateurs qui ne considèrent pas encore le Maroc comme un destination d’investissement prioritaire, considérant même parfois le Maroc « pays européen ».
Changement de paradigmes…
Les choix économiques, l’attractivité du Maroc, son positionnement sur la scène internationale participent aujourd’hui d’un changement de paradigmes. Le pays est désormais perçu comme un sérieux compétiteurs dans de nombreux pays membres de l’UE.
Cinquante ans plus tôt, la Banque mondiale, l’OMC, l’Union européenne et d’autres pressaient les pays du Sud d’ouvrir leurs frontières au commerce et aux affaires ce qui représentait dès lors un grand risque pour des économies encore assez fragiles.
En relevant ce défi, le Maroc a su faire preuve d’adaptabilité, minimisant l’impact négatif que cela a pu susciter au niveau de plusieurs secteurs industriels tout en s’inscrivant dans ce phénomène mondial du multilatéralisme avec des règles strictes et en développant des zones franches aux normes internationales.
Cette agilité lui permet également de mieux appréhender les changements. Le centre de gravité s’est en effet déplacé vers l’Est et désormais, le pouvoir n’est plus réparti comme il l’était dans les décennies précédentes.
L’Asie émerge avec une puissance incroyable et elle entend s’étendre mondialement, comme le firent les économies occidentales, notamment les États-Unis, en leur temps. Dans cette nouvelle configuration, une question se pose : Quels rapports entretenir avec les partenaires historiques ?
La plupart des investissements étrangers au Maroc continent de provenir de l’Europe. Deux approches se distinguent tout de même. La première consiste à considérer le Royaume comme un sérieux concurrent. La seconde, identifie notre pays comme un réel partenaire complémentaire dans la chaîne de production.
A titre d’exemple, un équipementier qui envisage 60% d’intégration au Maroc pourra bénéficier de 20% de réduction de coût sur les pièces d’une voiture et 40% seront réalisés chez lui, en gardant une technologie très complète et sophistiquée.
Vu sous cet angle, le Maroc est définitivement un atout pour ces investisseurs ». C’est en effet ce qui est en train de se produire avec les investisseurs portugais qui opèrent dans le secteur du textile, en quête de réduction des coûts de fabrication et de main d’œuvre.
Une partie de leur production haut de gamme est désormais confiée à nos industries textiles. Le Maroc est devenu un terrain d’excellence pour des investissements industriels notamment dans les domaines de l’aéronautique, de la construction automobile et de l’industrie textile. Outre les investissements européens, le Maroc a su attirer d’autres investisseurs qui proviennent désormais du continent asiatique pour ne citer que le Chinois Dicastal, leader mondial des jantes automobiles est implanté à Kénitra qui a choisi la destination Maroc aux côtés d’investisseurs sud-coréens spécialisés également dans les jantes alu.
Des équipementiers se positionnent même à 100% sur l’export à partir du Maroc, attirés par la compétitivité du Royaume.
L’effet « locomotive »
Les investisseurs étrangers répondent aujourd’hui à la problématique de la dynamisation du secteur privé au Maroc, qui a encore besoin du secteur public pour réaliser ses projets.
Ainsi, lorsque Renault a voulu s’implanter à Melloussa, alors que la crise mondiale projetait des ombres menaçantes sur l’industrie automobile mondiale, la filiale de la CDG, Fipar, a investi dans la construction de l’unité de Melloussa, et pris une participation dans le capital, mais celle-ci n’a guère duré plus de quatre ans et, comme un capital-risqueur, Fipar s’est retiré en récupérant sa mise.
Une opération identique a été réalisée avec un producteur de yaourts de la région de Beni Mellal, Jaouda, qui, grâce à des investissements judicieux de la CDG, est devenu producteur et distributeur à l’échelle nationale, avec un mode de gestion moderne et des structures de management conformes aux normes juridiques les plus transparentes, tandis que la participation de Fipar a été intégralement remboursée par Jaouda en quelques années.
Mais la CDG n’est pas la seule, c’est aussi le cas des grandes banques internationales multilatéralistes comme la BERD ou la BAD qui s’associent à des projets d’investissements au Maroc, conscientes de la rentabilité de leur portefeuille et de leurs investissements.
Cet effet « locomotive » permet aujourd’hui à des opérateurs marocains de se distinguer. C’est le cas notamment de Hakim Abdelmoumen, ancien président de l’AMICA, qui dirigeait une entreprise familiale dédiée à la fabrication de pare-brises qui a conclu une joint-venture avec une entreprise japonaise, leader mondial dans ce secteur et cela a abouti à une usine à Kénitra. L’investisseur Japonais a apporté son savoir-faire, l’entreprise marocaine, les ressources humaines qualifiées.
La dynamique est donc bel et bien enclenchée, ces « success stories » devraient dans les années à venir se multiplier dans un contexte favorable à l’investissement.
L’AMDIE en aiguilleur
Dans cette dynamique, une des principales missions de l’AMDIE consiste à identifier les opportunités d’affaires pour de potentiels investisseurs étrangers. L’agence met aujourd’hui en contact fournisseurs et producteurs d’un côté, clients et demandeurs de l’autre, dans tous les secteurs d’activité. D’autre part, si l’on constate une matière première abondante, le rôle de l’AMDIE est d’intéresser des investisseurs sur la base d’un potentiel de transformation locale, à des coûts compétitifs et avec une valeur ajoutée intéressante. Pour faciliter ce travail, le Maroc se doit aujourd’hui d’unir ses forces et de définir une stratégie optimale. Il s’agit également de bénéficier d’études de marchés pour l’étranger, notamment sur les produits agricoles, mais aussi d’implantations de représentants dans les pays de consommation afin d’obtenir des commandes pratiquement en flux tendus, avec des livraisons en cinq ou six jours à partir de la date de la commande par des donneurs d’ordre étrangers. Cela permet d’éviter les pertes, les cueillettes tardives ou, au contraire, trop précoces, quand les prix ne sont pas très intéressants, avec des surcoûts pour la cueillette, l’emballage, etc.