Cérémonie de lancement de la marque MOROCCO TECH. Crédits : MAP
Le 14 janvier dernier, Mme Ghita Mezzour, la Ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la Réforme administrative, a lancé la plateforme #MoroccoTech, dont la vocation est de hisser le Maroc en tant que hub digital. Plusieurs constats positifs peuvent d’emblée être faits suite à ce lancement.
Sur la forme tout d’abord, le lancement de MoroccoTech s’est fait dans les règles de l’art : une belle identité visuelle pour la marque dont le logo est inspiré d’une autre plateforme récente dédiée aux investissements #MoroccoNow et qui permet une convergence des différentes stratégies nationales ; un événement organisé en grandes pompes avec un parterre d’invités de référence dans le secteur digital, mais aussi d’institutionnels, avec sujet oblige, une diffusion en live streaming sur différents canaux ; bref, l’ambition est affichée et assumée.
Lorsque la forme est mise, c’est sur le fond que souvent le bât blesse au Maroc et la première critique (hâtive ?) formulée à l’égard de #MoroccoTech est justement la crainte que la plateforme se réduise à un énième effet d’annonce, comme d’autres auparavant, remplissant les objectifs ministériels, mais ne permettant pas l’émergence structurelle d’un secteur digital fort.
Pourtant, à ce stade, l’espoir est permis pour plusieurs raisons. La première relève de la cohérence du champ d’action que s’est donné MoroccoTech qui vise à intervenir pour le développement des secteurs spécifiques du digital que sont le HealthTech, l’AgriTech, la FinTech et la GovTech. Pour les plus novices d’entre nous, cela signifie que les efforts seront concentrés sur des domaines à forte valeur ajoutée pour les Marocains, la santé, l’agriculture, la finance et l’administration. Le digital est utilisé dans ces cas pour les services qu’il permet de créer et non pas en tant que plateforme communicationnelle tel que compris aujourd’hui par la majorité des acteurs. Il s’agit bien de contribuer à l’émergence de services digitaux ayant une vocation d’utilité publique, ce qui correspond parfaitement à la mission du ministère de tutelle en charge de la Transition numérique et de la Réforme administrative, deux faces de la même pièce.
La seconde raison est que MoroccoTech rassemble, certes de manière non-exhaustive comme l’ont relevé les « haters » habituels (ou plus communément appelés les « clous de Jouha » au Maroc), des acteurs majeurs de la transformation numérique nationale dont l’action commune peut être salutaire pour tout le secteur. De l’AMDIE pour le volet investissements à l’ADD, précurseur de la plateforme actuelle issue de l’action dynamique et volontariste du précédent ministère de tutelle, en passant par l’APEBI, l’AUSIM et le Technopark, dont l’expertise cumulée dans le domaine de l’IT et de la digitalisation des services de l’État est non négligeable, ou encore la CGEM qui coagule les entreprises les plus performantes du pays, le tour de table des compétences s’est voulu musclé.
Alors, pourquoi malgré des bases qui semblent solides et un lancement réussi, plane au-dessus de MoroccoTech une épée de Damoclès et le sentiment que l’action ne sera pas à la hauteur des ambitions ? Tout d’abord parce que des absents de taille se sont fait remarqués lors de cet événement, les TelCo, dont le rôle et la place sont pourtant centrales dans tout dispositif de développement technologique. Le développement d’un Cloud souverain national fort et performant, les infrastructures d’accessibilité, les débits et la stabilité des connexions sont autant de préalables qui font des opérateurs télécoms les premiers acteurs de la chaine de développement du numérique au Maroc.
Ensuite, bien qu’une Roadmap ait été prévue (où est-elle ?), la tâche parait colossale lorsqu’il s’agit de mobiliser les capacités d’investissement et les outils de financement ou de créer un cadre fiscal attractif, pour les startups marocaines et l’émergence d’éventuelles licornes nationales. La CCG devenue TAMWILKOM, et dont le business model tend à se rapprocher de celui de BPI France, est une des solutions pour soutenir les écosystèmes d’entrepreneurs mais la FrenchTech par exemple s’est développée grâce à l’apport de financements sonnants et trébuchants d’investisseurs audacieux et visionnaires, qui ont su déceler dans une pléthore de jeunes entrepreneurs, les projets les plus prometteurs qui méritent un accompagnement dans la durée.
La question des ressources humaines et de la formation professionnelle se pose aussi de manière prégnante. Comment pouvons-nous prétendre développer une plateforme comme MoroccoTech alors que la fuite des cerveaux dans le domaine de l’IT est une constante stable que subit l’économie digitale au Maroc depuis de nombreuses années ? A contrario, pourra-t-on compter sur une diaspora marocaine compétente si les garanties et avantages qui existent à l’étranger ne sont pas en place au Maroc ? Quid de la Blockchain, des cryptomonnaies ou de l’accès aux devises ?
Enfin, comment ne pas relever les nombreuses parts d’ombre et couacs qui entourent ce lancement ? Pourquoi le domaine principal de notre nouvelle plateforme n’est pas en .ma et hébergé sur le Cloud marocain plutôt qu’à l’étranger ? A ce stade ce n’est pas un petit détail ! Comment peut-on espérer relever tous les défis sous-jacents à cette stratégie ambitieuse quand certains services actuellement déployés par l’administration peuvent souffrir de bugs techniques des semaines durant ? S’achemine-t-on vers un nouvel échec cuisant comme pour le plan Maroc Numeric, ou vers des compromis a minima comme pour l’ADD ?
Au-delà de l’effet d’annonce, c’est en effet d’une souris que risque d’accoucher la montagne MoroccoTech, à l’image de son site web qui hormis une vitrine de l’événement passé ne contient aucune intention d’actions ou d’engagements concrets.
L’espoir fait vivre, et qui vivra verra.
Zouhair Yata