Des manifestants demandent la démission du président du Guatemala Otto Perez, le 27 août 2015 à Guatemala © AFP/Archives ORLANDO SIERRA
Des bijoux, des shorts de bain, des appareils électroniques: ces achats réglés avec de l’argent public ont forcé le vice-président d’Uruguay Raul Sendic à démissionner, reflet d’une Amérique latine lassée de ses dirigeants malhonnêtes, qui restent pourtant légion.
Le montant qui aurait été détourné serait de quelques milliers de dollars sur cinq ans, mais la polémique a enflé pendant des mois, l’obligeant à quitter son poste le 9 septembre.
L’emblématique ex-président José Mujica a tenté de dédramatiser: « Au Brésil des valises d’argent apparaissent, en face (en Argentine, ndlr) des bonnes soeurs balancent des sacs d’argent, et nous, nous discutons pour des caleçons! »
Il est vrai que la région ne manque pas d’histoires croustillantes en la matière: en 2016, un ex-ministre argentin s’était fait surprendre en train de cacher, avec l’aide d’une religieuse, 160 sacs contenant dollars, euros et montres dans un couvent.
Au Mexique, c’est un procureur général et ex-sénateur qui a sursauté quand une ONG a révélé qu’il possédait une Ferrari domiciliée à une adresse fantôme, une stratégie habituellement utilisée pour échapper à l’impôt.
Au Brésil, un ancien ministre vient d’être écroué après la découverte de 16 millions de dollars cachés dans des valises portant ses empreintes digitales.
– La corruption dans l’ADN –
Raul Ferro, analyste du Centre pour l’ouverture et le développement de l’Amérique latine (Cadal), installé au Chili, n’est guère optimiste: « Malheureusement, la corruption fait partie de l’ADN politique de l’Amérique latine depuis de nombreuses années ».
Mais « aujourd’hui il y a moins de tolérance » face aux scandales, assure-t-il à l’AFP. « Il y a une plus grande diffusion des cas de corruption et la société civile s’est émancipée, donc elle a une vision plus critique ».
« Dans le cas uruguayen », explique Adolfo Garcé, politologue de l’Université de la République à Montevideo, « il y a plus de journalisme d’investigation qu’avant, plus professionnel, moins influencé par les partis politiques, et de nouvelles lois facilitant l’accès à l’information ».
L’affaire Sendic a justement été révélée quand des journalistes ont utilisé la loi d’accès aux informations publiques de 2008 pour connaître ses dépenses effectuées avec les cartes bancaires professionnelles de la société pétrolière d’Etat Ancap, quand il la présidait.
Les politiciens latino-américains font désormais face à une classe moyenne mieux éduquée et plus exigeante envers ses dirigeants, aux réseaux sociaux qui facilitent la mobilisation, mais aussi à une justice plus offensive.
Pour Gaspard Estrada, directeur de l’Opalc, l’observatoire sur l’Amérique latine de Sciences Po Paris, le parfait exemple est le Brésil, où « la justice occupe une place centrale dans le jeu politique ».
« Petit » juge du parquet de Curitiba (sud), Sergio Moro s’est fait un nom en enquêtant jusqu’au sommet du pouvoir: il a condamné l’ex-président Lula à presque dix ans de prison pour corruption.
Le procureur général Rodrigo Janot vient lui d’accuser l’actuel président, Michel Temer, d’être « le leader (d’une) organisation criminelle ».
– « Valises d’argent » –
Mais, « est-ce que ça veut dire pour autant que le pays est moins corrompu? », s’interroge M. Estrada. « Je ne le pense pas, malheureusement ».
« On a beau parler de renouveau des pratiques, d’une prise de conscience par les acteurs politiques, on se rend compte que plus de 10 ans après le +Mensalao+ (méga-scandale de corruption au Brésil en 2005, ndlr), les pratiques de faveurs, de valises de billets, continuent », soupire-t-il.
Il cite le Guatemala où, après des mois de manifestations contre la corruption en 2015, le président Otto Pérez avait démissionné, avant d’être incarcéré. Mais aujourd’hui son remplaçant Jimmy Morales est soupçonné de financement illégal de campagne.
Cette sensation d’éternel recommencement « peut expliquer dans une bonne mesure pourquoi les présidents latino-américains ont de manière générale des cotes de popularité aussi faibles », selon le directeur de l’Opalc.
Les taux d’approbation de Michel Temer, mais aussi d’Enrique Peña Nieto (Mexique) et de Pedro Pablo Kuczynski (Pérou), sont à des niveaux historiquement bas.
Et se profilent, d’ici fin 2018, des élections majeures: Chili, Mexique, Brésil, Colombie.
« J’ai l’espoir que ce qui se passe actuellement en Amérique latine (les scandales de corruption, ndlr) puisse avoir un grand impact sur les prochains processus électoraux », confie à l’AFP le Péruvien José Ugaz, président de l’ONG anti-corruption Transparency International.
Selon lui, deux pays seront cruciaux, pour leur influence dans la région: « Si au Mexique et au Brésil, les citoyens optent une fois de plus pour les corrompus et les partis qui les représentent, la lutte sera beaucoup plus longue ».
LNT avec AFP