Lahcen Daoudi, jusqu’à mercredi soir Ministre des Affaires générales du gouvernement, a-t-il démissionné de son plein gré ou contraint de le faire par ses pairs du PJD qui lui ont vertement reproché d’avoir exprimé sa solidarité avec les salariés de Centrale Danone qui manifestaient devant le Parlement contre les décisions de lock-out ?
A la lecture du communiqué rendu public par le secrétariat général du parti de M. Saad Eddine El Othmani, lequel avait déjà fortement tancé son collègue et « frère » dans la nuit du mardi 5 juin au mercredi 6 juin, on pensera légitimement que le « ministre-militant » a été contraint de se retirer, plutôt qu’il n’a choisi de quitter un gouvernement accusé de mollesse, ( le moins que l’on puisse écrire), dans la gestion de la crise du boycott.
Si cette décision, qui représente la première conséquence politique et même politicienne de la campagne de boycott, n’est pas vraiment surprenante, elle induit cependant un certain nombre de constats qui interpellent les décideurs politiques et les citoyens, tout à la fois.
En effet, un ministre du gouvernement est-il d’abord citoyen et, éventuellement, membre d’un parti politique, ou son appartenance à l’Exécutif lui impose-t-elle un total devoir de réserve ?
Lahcen Daoudi a-t-il été évincé parce qu’il a rompu le contrat moral qui le lie à l’équipe gouvernementale ou bien parce qu’il a exprimé sa solidarité active envers des citoyens marocains salariés d’une multinationale et jetés à la rue au beau milieu du mois de Ramadan ?
A l’aune des insultes que lui ont valu l’exercice de sa liberté de conscience et proférées sur les réseaux sociaux par les « militants » de base du PJD, c’est incontestablement parce qu’il a pris position contre le boycott que Lahcen Daoudi a été exclu de l’équipe gouvernementale…
A un point tel d’ailleurs que le communiqué du parti islamiste demande instamment à sa base de cesser les attaques contre le futur ex-ministre des Affaires générales !
C’est donc une prise de position aussi claire que dangereuse que la direction du PJD et M. Saad Eddine El Othmani tout particulièrement, ont ainsi exprimée et qui énonce clairement que ce parti et sa représentation gouvernementale refusent en réalité de s’opposer au mouvement de boycott lancé le 20 avril dernier…
Les masques sont tombés et en cette occasion, (le boycott), la pratique du double langage est ainsi officiellement reconnue par le chef du gouvernement lui-même !
Daoudi n’aurait pas été exclu s’il n’avait pas apporté son soutien à des centaines de salariés licenciés sans ménagement à la suite d’un mouvement né des réseaux sociaux, aux auteurs qui, de ce fait même du renvoi de ce ministre PJD, ne sont plus aussi anonymes…
Car personne ne voudra croire que la simple expression d’une opinion « différente » devrait valoir à un membre du gouvernement d’être débarqué manu militari en pleine nuit !
Si telle était la raison, alors l’histoire des postures ministérielles de ces derniers mois aurait sans aucun doute décimé l’équipe El Othmani, comme par exemple lors de l’épisode de la « bouderie » des ministres du RNI qui avaient boycotté (déjà !) un conseil de gouvernement et refusé de participer à une tournée du chef du gouvernement dans l’Oriental.
Cette dernière péripétie gouvernementale en dit long, très long, sur l’état de déliquescence qui caractérise désormais la coalition majoritaire.
Le boycott des produits laitiers de Centrale Danone a provoqué une crise systémique au niveau d’un secteur productif stratégique à la fois pour l’économie nationale et pour plusieurs millions de citoyens, essentiellement ruraux.
L’opinion publique, ou du moins celle qui s’exprime sur les réseaux sociaux et qui n’est pas, loin s’en faut, consciente des conséquences dramatiques infligées à 200 000 familles, comme l’a souligné le ministre Aziz Akhannouch devant une commission parlementaire le soir du 5 juin, n’a pas compris à ce jour que le boycott ferait du mal aux plus démunis, aux petits revenus, plutôt qu’à une multinationale qui s’emploierait très rapidement à « limiter la casse », comme on a pu le voir.
Si Centrale Danone a perdu d’importantes parts de marché et vu ses résultats fondre comme beurre au soleil, d’autres producteurs ont pris la relève tandis que fusent déjà à leur encontre des soupçons de tricherie sur la qualité du lait qu’ils ont mis sur le marché !
Alors, qui a raison en cette affaire, Lahcen Daoudi, qui a courageusement pris fait et cause pour des travailleurs en colère, fidèle en cela à son engagement militant, ou le PJD, ses troupes et ses chefs, tenus en otages par les réseaux sociaux, incapables de s’extirper de leur habit populiste, dépourvus de ce courage qui dicte parfois d’aller à contre-courant ?
Le chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, devrait donc demander au Roi Mohammed VI d’accepter la démission de Lahcen Daoudi.
Se pourrait-il que le Souverain la refuse ?
Fahd YATA