Ahmed Raissouni
Alors que la vie politique paraît quelque peu endormie une fois passées les ferveurs et les attentes liées à la constitution de l’équipe El Othmani 2, à l’exception sans nul doute de la présentation officielle du Projet de Loi de Finances 2020, la scène publique est dominée par « des affaires » qui ont fortement interpellé nos concitoyens, mis les réseaux sociaux en état de transe et justifié les gros titres de la presse, écrite et électronique.
Mais, parce qu’il n’est pas convenable de « tirer sur une ambulance », on ne reviendra pas sur la démission de M. Salaheddine Mezouar de son poste de président de la CGEM.
On constatera seulement que l’ancien ministre des Affaires étrangères s’est consciencieusement tiré une balle dans le pied et que cette « blessure » mettra sans doute du temps à guérir.
En état de grâce…
Par contre, « l’affaire Hajar Raissouni » a eu un impact énorme sur l’opinion publique nationale, occasionnant des prolongements peu flatteurs pour l’image du Royaume à l’extérieur.
La grâce royale est venue apaiser les passions et les tensions, et, quoi qu’en pensent ceux qui ont voulu en minimiser la portée, elle a bel et bien constitué un camouflet cinglant porté aux milieux réactionnaires et conservateurs.
En effet, cette grâce, sans porter atteinte à l’indépendance de la Justice, et qui relève du libre arbitre du Souverain, constitue en fait les prémisses d’une avancée sociale largement soutenue par les milieux démocratiques, les associations féministes, l’intelligentsia éclairée, etc.
Elle permet à tous ceux et celles qui militent en faveur des Droits de la Femme marocaine et notamment celui de disposer librement de son corps, qui œuvrent pour la concrétisation de la disposition constitutionnelle proclamant l’égalité des genres, mais aussi pour une approche moderne et libre des relations humaines, de continuer leur lutte avec encore plus de courage et de détermination.
Cette grâce, en effet, atteste amplement que le Roi est à l’écoute de l’opinion publique, dans ses franges les plus avancées, et qu’il leur apporte une compréhension éclairée et bienvenue.
Avec ce geste royal, on a bien compris que « l’affaire Hajar Raissouni » dépasse très largement le cas de cette jeune journaliste, de son compagnon et de l’équipe médicale qui lui avait, légitimement, porté secours.
Elle induit au passage, une évidence qui démonte les affirmations de procès politique fait à la journaliste, car cette initiative du Roi a valeur et portée sociétales globales.
L’on aurait du mal à imaginer que le Souverain s’immiscerait dans une affaire en cours devant la Justice pour le cas d’une seule personne, fut-elle injustement trainée devant les tribunaux !
La grâce a voulu marquer la volonté royale de soutenir toutes les femmes marocaines dans leurs revendications portant sur leurs droits actuels et à venir.
Mais, bien évidemment, il reviendra aux citoyens, notamment par le biais des urnes, mais aussi par la mobilisation, de faire avancer le Droit et la législation.
Opposition frontale
A l’opposé de cette prise de position ferme et non équivoque, un autre Raissouni est sorti de l’ombre, lui qui était resté bien muet et coi dans ses terres qataries tout au long de l’incarcération de sa nièce.
En effet, quelques jours après la libération de notre consoeur, le -vice- président de l’Union internationale des oulémas s’est fendu d’une chronique assassine qui attaque violemment tous ceux et celles qui se sont mobilisés pour la libération de Hajar Raissouni, délivrant au passage sa version (très étriquée) des libertés individuelles et son approche de la Femme, de son statut, de ses droits, mais aussi du comportement qu’il attend des unes et des autres en termes de sexualité.
« Ils ont limité les prétendues « libertés individuelles » à certaines pratiques anormales et actes déchus, tels que l’adultère, l’homosexualité et l’infidélité conjugale.» ou encore «leurs libertés individuelles, et leurs campagnes frénétiques, sont confinées à des tabous sexuels», dit-il notamment dans sa philippique.
On pourrait croire, de prime abord que l’oncle tance sa nièce et réprouve son comportement, alors que nombreux se réjouissent de sa liberté retrouvée.
Mais cette lecture paraît restrictive parce qu’elle obère la personnalité, les fonctions actuelles et le passé d’Ahmed Raissouni.
Car, s’il réagit ainsi, en sortant de la sphère privée et familiale à propos d’une nièce, c’est qu’il agit en tant que théoricien, alem, à la tête d’une union mondiale basée au Qatar, mais aussi en tant qu’ancien dirigeant du Mouvement Unicité et Réforme, le MUR, dont chacun sait qu’il est la matrice originelle du Parti de la Justice et du Développement.
On ne devrait pas oublier, en cette affaire, que le sieur Ahmed Raissouni fut « instamment » prié de changer d’air en 2003, lorsqu’il fit polémique par ses discours sur « Imarat Al Mouminine »…
Voilà pourquoi sa « chronique » sur l’affaire Hajar Raissouni et le large mouvement de protestation qu’elle a généré dépasse largement le cadre d’une simple mise au point rigoriste.
Du Qatar où il se trouve, Raissouni s’immisce dans les questions sociétales nationales, définit ce qui est licite et ce qui ne l’est pas en matière de mœurs et, in fine, critique directement, sans la nommer, la grâce royale dont a bénéficié sa parente.
L’ex-patron du MUR, qui n’a certainement point changé sur ses convictions, s’oppose ainsi ouvertement au Roi.
Là est la véritable raison de sa chronique qu’il aurait pu faire, dans le cas contraire, avant la libération de Hajar, s’il s’était seulement agi de conspuer ceux qui la soutenaient…
Fahd YATA