Si le secteur de la Santé a occupé de tous temps une place majeure dans les débats sociétaux, il était surtout question avant 2020 de l’accessibilité et du coût des soins. La pandémie et son impact ont recentré les débats sur l’importance vitale du secteur, la nécessité qu’il soit robuste, et, bien évidemment, toute l’importance de l’utilisation du digital dans son fonctionnement et son développement. Le suivi des infections, des tests, puis l’organisation d’immenses campagnes de vaccination, le tout dans des temps très courts comparés aux circuits habituels, n’ont été possibles qu’en s’appuyant fortement sur les solutions numériques. L’application Wiqaytna pour le suivi des infections, Sehati pour l’information médicale, et bien sur liqahcorona.ma pour les rendez-vous de vaccination, autant d’outils digitaux que le Maroc a rapidement déployés pour faire face à la pandémie. Plus que tout autre domaine, ou presque, la Santé s’est vue dans l’urgence d’accélérer sa digitalisation, et de nouvelles mutations devraient apparaître dans les années à venir.
À travers le monde, le secteur de la santé connaît une digitalisation massive de ses activités, ce qui transforme profondément la relation entre patients, personnel médical, et tutelle. Consultations à distance, échange rapide d’informations, dématérialisation des documents… sont autant de développements qui touchent le secteur, le tout teinté de la problématique de la protection des données personnelles du patient. Le Maroc n’échappe pas à cette tendance. D’ailleurs, un plan de digitalisation du secteur est en cours, et le digital est largement mis en avant autant dans le Plan Santé 2025 que dans le Nouveau modèle de développement. Les objectifs de l’utilisation du numérique dans le secteur sont notamment le renforcement de la gestion de ses ressources humaines, la simplification des procédures et la facilitation de l’accès des citoyens aux services de santé. Il est vital dans un contexte de généralisation de la protection sociale, pour absorber la masse des nouveaux bénéficiaires et optimiser les coûts d’un chantier très onéreux.
Le potentiel de la e-santé
Bien sûr, le Maroc, comme le monde, n’a pas attendu la pandémie pour mesurer le potentiel de l’utilisation du digital comme levier de transformation et de développement du secteur de la santé. Par exemple, dès 2014, un rapport publié à l’occasion du 2ème colloque national de pharmacoépidémiologie et pharmacoéconomie, intitulé « e-santé au Maroc : état des lieux et perspectives d’avenir », soulignait déjà l’importance du digital dans le contexte d’un Maroc de plus en plus connecté. Le rapport souligne l’existence d’un certain nombre de projets pilotes, parmi lesquels des patrouilles allant faire des échographies auprès des femmes enceintes dans des régions enclavées, avant de les faire analyser à distance par des spécialistes, ou le suivi d’opérations à distance dans le cadre de l’échange d’informations entre praticiens. En 2017, la création de l’Agence de développement du digital (ADD) visait l’accélération de la digitalisation de l’ensemble des secteurs, y compris la Santé. Les premiers axes de développement concernaient la digitalisation du parcours du patient, ou encore l’instauration d’un dossier médical électronique pour une meilleure sécurité et efficience des services.
Dans un entretien accordé à la MAP en 2021, M. Mohamed Idrissi Meliani, DG de l’ADD, explique que l’agence « recommande la mise en place de plateformes digitales intégrées et sécurisées au service des patients permettant l’accès à des informations médicales via un moyen d’authentification unique et proposant des services comme : la prise de rendez-vous en ligne et leur suivi ; la réception des notifications et des alertes pour les suivis à réaliser et les maladies chroniques ; les échanges avec les professionnels de santé via une messagerie sécurisée ; l’accès au dossier médical digital et échange des documents ». Ce dossier médical digital aura pour fonction de partager de manière instantanée des informations avec d’autres prestataires de soins de santé et organisations agréés (laboratoires, pharmacies, centres d’imagerie médicale, centres d’urgence, cliniques privées, etc.), et pourra contenir l’ensemble des antécédents médicaux du patient (diagnostics, médicaments, plans de traitement, vaccination, images de radiologie, résultats des tests de laboratoire, etc.). Des acteurs privés s’activent énergiquement sur ce créneau avec notamment Dabadoc, Docti.ma, Doctori.ma ou encore Med.ma et tbib24.com.
Encore des obstacles à surmonter
Le potentiel de développement digital de la santé au Maroc est donc conséquent, et le Royaume multiplie les initiatives pour réaliser ce chantier. Notons d’ailleurs que notre pays s’est aligné sur les directives de l’Organisation mondiale de la santé qui a fixé 2030 comme date butoir pour la généralisation de la santé numérique dans le monde. Mais, il existe encore de nombreux obstacles. Parmi eux, la non-harmonisation des systèmes de santé, mais aussi les mentalités, qui comme pour de nombreux autres domaines de l’économie et de la société rejettent l’idée de transparence, pourtant fondamentale dans le développement numérique, voulant toujours profiter de pratiques qui seraient appelées à disparaître avec le digital.
On peut imaginer le Maroc de demain, où la blockchain permettra une distribution efficace et transparente des aides sociales, où la big data et l’intelligence artificielle offriront un suivi optimal des épidémies et des maladies chroniques, et où chaque médecin, en recevant son patient, aura un accès instantané au dossier médical de ce dernier, permettant d’éviter de nombreuses démarches et tests, et donc d’optimiser les traitements. Pour cela, en plus des décideurs, il faudra que les patients tout comme le personnel médical adhèrent complètement à cette transformation…
Selim Benabdelkhalek