Parmi les mesures du projet de PLF 20 porté par le Ministre des Finances, M. Benchaaboun, celles qui sont destinées à l’impulsion d’une nouvelle dynamique à l’investissement, se distinguent deux propositions.
D’abord, une régularisation « spontanée » pour des avoirs et liquidités détenus à l’étranger par les personnes physiques ayant manqué à leurs obligations en vertu de la réglementation des changes.
Ensuite, la même régularisation pour des liquidités détenues au Maroc hors du circuit bancaire, dans des coffres forts personnels donc, pour fuir l’impôt.
Le PLF 2020 dispose en effet que les personnes concernées peuvent les rapporter aux banques spontanément moyennant une déclaration libératoire.
Oui, mais…
Ces dispositions, basées sur la volonté de l’État d’assainir le climat des affaires, sont loin d’avoir recueilli l’accueil escompté pour différentes raisons.
D’abord, les acteurs économiques, qui s’attendaient, dès 2020, à la concrétisation des promesses énoncées lors des Assises de la Fiscalité, sont déçus !
De plus, ils voient dans ces amnisties, une contradiction avec l’objectif affirmé de ces Assises d’établir l’équité fiscale.
En effet, par principe, toute amnistie lèse les Marocains qui paient leurs impôts par déclaration et ceux qui sont prélevés à la source.
Ainsi, tous ceux qui sont en conformité avec la Loi, en bons citoyens, sont lésés au profit de ceux qui n’ont jamais acquitté l’impôt des années durant et qui vont profiter d’une amnistie moyennant 5% sur les trois dernières années.
Quant à ceux qui ont des liquidités non déclarées, c’est-à-dire non déposées dans une banque, ils bénéficient tout simplement d’une opportunité de blanchiment de leur argent puisque l’origine de ces fonds ne sera ni justifiée, ni contrôlée.
Big Brother is watching you…
Par ailleurs, si s’impose le besoin de réinjecter de l’argent dans les circuits bancaires face à la crise de liquidités, l’appel de l’État dans ce sens peut être en désaccord avec les engagements internationaux du Maroc avec le GAFI, (Groupe d’Action Financière) du fait de son adhésion au Groupe d’Action Financière du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord – GAFIMOAN.
Ceux-ci, en effet préconisent voire imposent la lutte contre le blanchiment d’argent !
Car de fait, l’opportunité est encore donnée, par ces mesures d’exonération fiscale et de contrôle, de procéder à du blanchiment d’argent sale…
Le système bancaire national pourrait subir l’outrage et ses conséquences concrètes que des banques internationales décident de cesser toute relation de travail avec les banques marocaines, sous l’accusation qu’elles blanchiraient, par cette amnistie, de l’argent aux origines non déterminées.
Selon un banquier de la place, en 2014, lors de la première déclaration libératoire des avoirs des Marocains détenus indûment à l’étranger, le Maroc avait été officiellement apostrophé par le GAFI.
Les autorités marocaines avaient répondu qu’il s’agissait de virements de comptes à comptes et que les diligences avaient été préalablement observées par les banques européennes sur la nature des fonds, avant donc le transfert dans notre pays, sachant que la traçabilité des fonds est une règle difficile à transgresser.
Les deux amnisties du projet de loi de finances 2020, sur les avoirs étrangers ou en dehors des circuits bancaires, pourraient encore provoquer le GAFI et le GAFIMOAN qui sont habilités à se prononcer sur les flux de capitaux non justifiés, y compris à l’intérieur même du pays incriminé.
D’autant que le Royaume a fait l’objet d’une évaluation l’année dernière et que le rapport émis en cette occasion, l’a mis sous observation pendant deux ans, sur la question du blanchiment d’argent…
Blanchir ou ne pas blanchir ?
Le blanchiment d’argent porte sur le fait de recycler des fonds qui proviennent d’opérations occultes et notamment le trafic de drogue et d’êtres humains, la contrebande, la corruption, l’évasion fiscale, le financement du terrorisme, etc.
La lutte contre celui-ci a pour principal objectif d’assurer l’intégrité du système bancaire national qui est connecté à l’international.
Les banques européenne ou internationales peuvent refuser dans ce cadre toute relation avec nos banques en application du « derisking » qui énonce qu’il est impossible d’avoir un échange avec un établissement bancaire qui ne respecterait pas leur législation sur le blanchiment d’argent.
A ce titre, on peut même évoquer l’hypothèse que des banques filiales au Maroc de banques étrangères, refusent de participer aux opérations d’amnisties en question, au profit de personnes physiques disposant de fonds dont l’origine n’est pas indéterminée, parce que les maisons mères pourraient s’exposer à des sanctions dans des pays à la législation très stricte comme les Etats-Unis par exemple.
Pour toutes ces raisons, des voix s’élèvent du système bancaire pour rejeter cette amnistie au profit des personnes physiques pour des avoirs intérieurs non déclarés.
Des milliards à l’ombre…
Et ce, même si des montants très importants ont fui son circuit au cours des dernières années !
Pour en évaluer l’ampleur, Il suffit de comparer le montant de la masse monétaire tel que fourni par la Banque centrale aux liquidités disponibles dans les comptes des banques commerciales, le reliquat étant en circulation hors du circuit officiel.
Ce reliquat aurait augmenté de 18 milliards de dirhams sur les derniers mois de 2019.
Des solutions existent pourtant afin de maintenir les liquidités dans le circuit bancaire.
Le CESEE notamment avait recommandé un ensemble de mesures pour traquer le cash comme la récente tentative d’imposer des factures électroniques, qui a lamentablement échoué parce que le gouvernement a cédé devant la pression de milieux qui opèrent dans l’informel, essentiellement dans les circuits commerciaux.
Chèque, carte ou espèces ?
Pour traquer le cash, il faudrait que la loi, avec des sanctions à la clé, exige, qu’au-delà d’un montant déterminé, le paiement en liquide serait impossible.
De même que, pour le chèque, la réglementation actuelle est devenue totalement obsolète.
Il faudrait imposer des chèques barrés pour tous, en éliminant l’endossement pour renforcer la crédibilité de ce moyen de paiement, ainsi qu’il faudrait revoir les règles du virement.
Idem pour l’effet commercial ! Il faudrait que tous les effets passent par la banque au titre de la compensation afin de supprimer les milliards de transactions qui continuent à être passées de gré à gré au moyen d’un « papier commercial » acheté dans un bureau de tabac, avec carnet à souches et non certifié par une banque.
On peut donc se demander pourquoi ne révise-t-on pas tous ces modes de paiement et pratiques obsolètes peu transparents alors qu’il est connu que la Banque centrale a beaucoup travaillé sur ces thématiques et que les solutions existent !
On comprend encore moins d’ailleurs que lorsque de nouvelles règles édictées par des lois, entrent en vigueur, les anciennes persistent impunément en parallèle…
La volonté de conciliation de l’État envers les tricheurs est un leurre !
Il s’agit tout bonnement de cadeaux non mérités et injustes !
Afifa Dassouli