La Fondation Attijariwafa bank clôture l’année 2020 avec une thématique qui fera date dans son cycle de conférences « Échanger pour mieux comprendre », puisqu’elle est consacrée « à la redécouverte de la culture juive marocaine ».
Ce voyage historique, culturel et artistique s’est déroulé en présence d’un panel éclectique de belle facture, composé de Mme Françoise Atlan, Chanteuse lyrique, spécialisée dans l’interprétation des anciennes musiques traditionnelles arabo-andalouses ; M. Joseph Yossi Chetrit, Professeur émérite de l’Université de Haïfa, chercheur spécialiste dans l’étude des langues juives et de la culture juive en Afrique du Nord ; et M. Ahmed Harrouz, Artiste peintre et Chercheur, Coordinateur de l’association Essaouira Mogador.
Sous la modération de M. Abdellah Tourabi, Journaliste et Chroniqueur, le Professeur Chetrit a procédé à un rappel de faits historiques, démontrant que la culture musulmane et juive sont indissociables, depuis le VIe siècle. « Les Juifs d’Espagne qui subissaient la persécution des Wisigoths effectuaient des va-et-vient permanents entre la Péninsule Ibérique et le Maroc pour s’y réfugier ; par la suite, la conquête de l’Andalousie par les Musulmans aura lieu en 711 avec l’aide active des Juifs d’Espagne afin que ces derniers puissent bénéficier de leur protection. Plus tard, les précurseurs de l’âge d’or espagnol seront issus, pour la plupart, du centre culturel juif de Fès. » Ce brassage culturel et intellectuel doublé d’une liberté de culte cesseront entre 1140 à et 1269, durant le règne des Almohades ; avant d’être rétablis par les Mérinides.
Cette convivance apaisée (capacité des groupes humains différents à cohabiter harmonieusement) trouve aussi son origine dans la complémentarité des rôles des deux communautés, sur les plans économiques et social. « Alors que les Musulmans s’adonnaient à l’agriculture, la pêche et l’artisanat ; les Juifs étaient traditionnellement tournés vers le commerce, la joaillerie et les langues étrangères ».
Sur le plan artistique, Mme Atlan a insisté sur les grandes similitudes entre les musiques judéo-andalouse et arabo-andalouse qui ont permis de faire jouer ensemble les musiciens les plus talentueux, issus des deux communautés. « Ces rencontres constituent, à chaque fois, un moment fort de communion durant le festival des Andalousies atlantiques d’Essaouira dont j’ai assuré la direction artistique. J’ai pris conscience de cette convivance lorsque j’ai chanté pour la première fois ce répertoire et découvert de grandes similitudes avec ce que j’entendais jeune dans les synagogues. Plus tard, ma rencontre avec M. Mohamed Briouel, durant le festival des Musiques sacrées de Fès, m’a permis de découvrir la richesse de ce patrimoine commun ».
Depuis une décennie, nous assistons à un regain d’intérêt témoignant de la volonté des jeunes générations de mieux connaître ce pan de la culture marocaine. Plusieurs documentaires et films cinématographique initiés par la nouvelle vague de réalisateurs marocains explorent cette mémoire pour tenter de comprendre les raisons du départ des Juifs marocains et de mesurer le vide laissé dans leurs localités d’origine.
Enfin, M. Ahmed Harrouz a rappelé la genèse du projet Bayt Dakira dont l’inspirateur est M. André Azoulay, Président d’honneur de l’association Essaouira Mogador. Cette genèse a requis une profonde réflexion sur la portée de l’héritage culturel et artistique judéo-marocain. « Aujourd’hui, Bayt Dakira, est un lieu unique au sud de la Méditerranée, à la fois musée et centre de recherches historiques, culturelles et spirituelles. Il témoigne du passé judéo-musulman d’Essaouira et de la destinée exceptionnelle des Juifs de Mogador dans le monde ainsi que de la richesse de leurs relations avec les populations musulmanes ».
À travers cette dernière rencontre virtuelle de l’année 2020, la Fondation témoigne, une nouvelle fois, de sa volonté de décrypter, selon une démarche académique et sans parti pris, des problématiques complexes qui font notre identité et concernent l’avenir de notre pays, à travers l’écoute et le débat constructif.
Lien de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=uyTO6dQTvp0
Bio Express
Professeur Joseph Yossi Chetrit
Natif de Taroudant, M. Chetrit est professeur émérite de l’université de Haïfa où il a été Doyen de la faculté des Lettres et des Sciences humaines et Vice-Recteur de l’Université. Ses recherches portent sur l’étude des langues juives et de la culture juive en Afrique du Nord sous leurs différents aspects — linguistiques, socio- discursifs, socio-historiques, socio-culturels et littéraires. Il est auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur la poésie hébraïque et la poésie judéo-arabe en Afrique du Nord, sur la langue des femmes juives du Maroc et leurs proverbes, sur les spécificités linguistiques et sociolinguistiques du judéo-arabe et du judéo- berbère et sur les traditions musicales des communautés juives du Maroc.
Mme Françoise Atlan
Native de Narbonne, Mme Françoise Atlan est diplômée des conservatoires de Saint-Étienne puis d’Aix en Provence où elle remporte le premier prix pour le piano et le second prix pour la musique de chambre. Elle étudie la musicologie à l’université d’Aix Marseille et les techniques du chant lyrique à l’Opéra de Paris. Elle se spécialise, ensuite, dans l’interprétation du répertoire des anciennes musiques traditionnelles arabo- andalouse. Mme Atlan intervient à plusieurs reprises dans un répertoire arabo-andalou et soufi, notamment à l’Institut du monde arabe à Paris, au festival de Fès de la culture soufie et au festival des Andalousies atlantiques d’Essaouira dont elle a assuré la direction artistique.
M. Ahmed Harrouz
Natif d’Essaouira, M. Ahmed Harrouz est diplômé de l’université René Descartes Paris 5 en psychologie sociale. Artiste peintre et Chercheur, M. Harrouz est très engagé en service du développement de la vie culturelle et artistique de la cité. Il est, par ailleurs, auteur du recueil poétique «L’essence des sens», et explorateur de l’expression sous toutes ses formes. Il a la capacité de faire revivre un paysage ou des émotions avec des couleurs comme avec des mots. M. Harrouz est coordinateur de l’association Essaouira Mogador qui est à l’origine du projet Bayt Dakira Essaouira composé d’un musée et d’un centre d’études et de recherches hébraïques.