Un graffiti "République du Kosovo" sur un mur de la capitale Pristina, le 13 février 2017 © AFP Armend NIMANI
Plus jeune Etat d’Europe, le Kosovo célèbre vendredi ses neuf ans, mais Nazim Ahmeti n’a pas la tête à la fête: « Je me bats chaque jour pour offrir du pain à mon enfant et ma femme ».
Les tensions avec la Serbie ne sont pas la première préoccupation de ce père de 24 ans qui comme 60% des jeunes est au chômage: il attend des heures dans le froid qu’un commerçant du marché de Pristina loue ses bras pour la journée moyennant une quinzaine d’euros.
En 2008, la population albanaise du Kosovo avait célébré dans la liesse la proclamation unilatérale d’indépendance de la tutelle serbe. Cette région déshéritée de l’ex-Yougoslavie comptait alors sur l’Occident pour mettre derrière elle une guerre livrée par sa guérilla aux forces de Belgrade, qui a fait 13.500 morts dont plus de 10.800 Albanais (1998-99).
Moins de dix ans plus tard, le pays est reconnu par plus de 110 pays, malgré la résistance opposée par la Serbie avec le soutien de la Russie. Mais il est aussi rongé par la misère et la corruption.
A en croire les statistiques officielles, le chômage est tombé à 26%. Pour la population, ce chiffre est minimisé, ce que semble confirmer la Banque mondiale qui avance un taux moyen de 42,6% sur les quatre dernières années. Un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et le salaire moyen est de 360 euros.
– Emigration massive –
Plus que l’islamisme radical (quelque 300 Kosovars ont rejoint les jihadistes en Syrie et en Irak), cette misère nourrit l’émigration vers l’Europe occidentale, plus souvent illégale que légale. La population est estimée à 1,87 million d’habitants contre 2,1 millions en 2008. Un des principaux débats récents dans le pays a été celui sur la demande de libéralisation des visas vers l’Union européenne.
« Regardez leurs visages, pas un sourire », dit le politologue Ramush Tahiri montrant des jeunes dans le centre de Pristina. « Ils ne peuvent être que déçus », dit-il. « Les autorités sont loin d’avoir répondu au attentes des jeunes », renchérit dans un éditorial le principal quotidien kosovar Koha Ditore.
« Le Kosovo doit offrir une perspective économique à ses citoyens pour les convaincre de rester au lieu de chercher ailleurs des solutions », reconnaît le Premier ministre Isa Mustafa, assurant à l’AFP que son gouvernement fait de son mieux pour attirer les investisseurs étrangers.
Une normalisation avec la Serbie semble un passage obligé. Engagées en 2011, les négociations avec Belgrade avancent par à-coups, ponctuées de regains de tensions, comme début 2017 avant que l’UE ne ramène les responsables des deux camps à la table des discussions.
– Fléau de la corruption –
Le développement passe par des relations apaisées avec Belgrade. Kosovars et Serbes n’ont paradoxalement jamais cessé de commercer. En 2016, la Serbie a exporté pour 400 millions d’euros au Kosovo, notamment de la nourriture, sans compter l’importante contrebande. Si le Kosovo exporte beaucoup moins (40 millions d’euros), le chiffre est supérieur à celui des ventes au grand frère albanais (36 millions d’euros).
Autre obstacle, la corruption endémique: le Kosovo figure à la 95ème place sur 175 sur la liste de Transparency International. Le chef du département des Finances du gouvernement, Zahir Bajrami, vient d’être suspendu, soupçonné d’avoir monnayé son intervention pour influer sur une procédure judiciaire.
Pour l’économiste Mehmet Gjata, le Kosovo ne peut devenir « un Etat fonctionnel sans un développement économique pour combattre chômage élevé et pauvreté, les deux principaux défis du plus jeune Etat européen ». « Le fait que l’élite soit anormalement riche montre que le développement économique ne figurait pas parmi ses priorités », a-t-il insisté.
Au marché, Nazim Ahmeti ne cache pas sa désillusion: « Je ne m’attendais pas à ce que le Kosovo devienne l’Amérique du jour au lendemain, mais je me disais qu’au moins je n’aurais pas à craindre pour la survie de ma famille. »
LNT avec Afp