Le Premier ministre japonais Shinzo Abe, le 3 juillet 2017 à Tokyo © AFP/Archives Kazuhiro NOGI
Sirènes hurlantes, trains qui s’arrêtent, écrans de TV couverts de messages d’alerte : la menace nord-coréenne met l’opinion japonaise en émoi et, selon les analystes, cette tension sert les intérêts du Premier ministre Abe qui envisage même des élections anticipées.
« Pour M. Abe, cette crise, c’est comme une aide divine » commente pour l’AFP Shinichi Nishikawa, politologue de l’Université Meiji.
« Un temps miné par des scandales, les gens pensaient qu’il ne durerait pas, mais en utilisant son sens de la crise, M. Abe a réussi à renverser la situation », ajoute-t-il.
Le Premier ministre a, selon la presse, décidé de dissoudre la Chambre basse du Parlement à l’ouverture de la session extraordinaire prévue le 28 septembre, dans le but inavoué d’éviter d’être assailli de questions sur les affaires qui avaient fait plonger sa cote de popularité il y a quelques semaines, avant qu’un remaniement ministériel et la crise nord-coréenne ne l’aident à remonter la pente.
Ses proches considèrent que la période est propice à un scrutin anticipé, un an avant la fin du mandat des députés: il lancerait ainsi un appel à l’unité du pays face à la menace de Pyongyang, tout en profitant de l’état de déliquescence des rivaux.
« C’est le bon moment pour le Parti libéral-démocrate de M. Abe, le principal parti d’opposition est à plat » et les autres prétendants pas prêts, résume Toshihiko Matsuno, analyste de SMBC Friend Securities.
En attendant, le Premier ministre occupe le terrain: il était devant les caméras à l’aube le 29 août lorsqu’un missile nord-coréen avait survolé le nord de l’archipel. Il avait dormi à la résidence attenante à son bureau, tout comme lors d’un précédent test, ce qui, selon les journaux, n’est pas un hasard. Il avait dû être averti.
Ses déclarations — « menace sans précédent », « nous ferons tout pour protéger les citoyens », « nous ne tolérerons jamais les actes provocateurs de la Corée du Nord », « nous appelons à un renforcement de la pression sur Pyongyang » — semblent faire mouche dans l’opinion depuis que la Corée du Nord redouble d’activité.
Lors du passage d’un missile nord-coréen au-dessus de la partie septentrionale de l’archipel vendredi dernier, de nombreux Japonais ont dit avoir peur, comme ce fut le cas moins de trois semaines plus tôt, pour la même raison. Et entre-temps, Pyongyang a même effectué un 6e test nucléaire.
– Appel au calme –
Face à cette crise, « les Japonais pensent qu’ils ont besoin d’un faucon à la tête du pays », estime l’historien Hideaki Kase, tandis que son collègue Masanori Tsujita s’inquiète d’un risque d’utilisation de la peur.
« Compte tenu de la nature même du gouvernement Abe (considéré comme un nationaliste ferme), il est naturel qu’il s’agite, mais les médias et les citoyens doivent réagir avec plus de calme, en particulier en évitant de relayer sans contrôle ni recul l’information des autorités », dit à l’AFP de spécialiste des recherches sur la propagande de guerre.
Le gouvernement Abe en fait-il trop ?
« Non, dans le sens où il s’agit vraiment d’une crise. Oui, dans le sens où le systèmes de sirènes J-Alert lors des tests de missiles apparaît un peu ridicule », répond à l’AFP Robert Dujarric, directeur des études asiatiques à l’Université Temple à Tokyo.
Selon une enquête du quotidien de droite Yomiuri, 50% des sondés apprécient l’action de M. Abe face à la Corée du Nord, contre 37% qui ne la louent pas. Dans le même temps, 51% préfèrent qu’il se concentre sur l’objectif de « renforcer la pression » sur Pyongyang (comme il le fait), quand 38% appellent à privilégier le dialogue.
Lors d’un entretien avec l’AFP, l’écrivain et essayiste Keiichiro Hirano, regrette, lui, qu’il n’y ait pas chez M. Abe une réelle volonté d’utiliser les deux cartes. « Sa seule politique se résume à accentuer la pression, sans rien offrir en échange » au régime de Pyonyang pour qu’il assouplisse sa position.
Mais bien qu’il emploie parfois des mots forts (« pas d’avenir radieux pour la Corée du Nord si elle continue dans cette voie »), M. Abe reste timoré, selon M. Dujarric.
« Le Japon n’a aucun vrai programme pour muscler la défense du pays à grande échelle et, dans le domaine diplomatique, Tokyo garde un profil plutôt bas », précise cet Américain spécialiste de la diplomatie nippone.
LNT avec AFP