M. Ahmed Jamal Bouaichi
M. Ahmed Jamal Bouaichi est un Marocain qui réside aux Etats Unis d’Amérique depuis de longues années. Chez l’Oncle Sam, il occupe le poste de Senior Advisor in Multifamily Housing. Dans cet entretien, nous revenons avec lui sur une question délicate : l’accès au logement à des prix abordables.
La Nouvelle Tribune : Les prix de l’immobilier dans le monde ne cessent d’augmenter. Pourquoi selon vous ?
M. Jamal Bouaichi : C’est une excellente question et mes réponses pour cet entretien reflètent mon opinion personnelle. En règle générale, l’explosion démographique, la pénurie de logements décents sur le marché et des taux hypothécaires bas ont tendance à être des facteurs clés de la montée en flèche des prix de l’immobilier. Cependant, il peut y avoir d’autres facteurs tels que le développement de nouvelles infrastructures (écoles, hôpitaux, routes, grandes entreprises, etc.). Aussi, les gens ne sont pas intéressés par les longs trajets, préférant plutôt vivre à proximité de leur lieu de travail. Aux États-Unis et dans d’autres régions du monde, une modification des lois de zonage à même de permettre une dynamique commerciale pourrait être un autre facteur d’augmentation du prix de l’immobilier. Un autre facteur clé est le fait que les coûts de construction en termes de main-d’œuvre et de matériaux ont tendance à augmenter chaque année. En tant que tel, l’inflation rend les propriétés plus chères. Il est bon de noter que si le prix nominal de la propriété n’augmente pas d’environ 2% à 3% par an, cela indique que le propriétaire perd effectivement de l’argent en termes réels. Cela est dû au fait que l’inflation augmente alors que le prix des propriétés ne le fait pas ! Une fois qu’un emplacement devient attractif et populaire, créant des activités socio-économiques telles que les restaurants, les centres commerciaux, les immeubles de bureaux… ce qui correspond au style de vie préféré de nombreuses personnes, par conséquent, les propriétaires de ce marché résidentiel commencent à négocier avec une prime. Il est clair que plus un emplacement devient développé, plus les gens veulent y vivre et les prix vont continuer d’augmenter.
Ne pensez-vous pas que parler aujourd’hui de prix abordables relève un peu de l’utopie ?
Oui. Je pense que parler de prix abordables aujourd’hui est utopique car cela tend à imaginer une société et un environnement conçus pour être parfaits. Mais la réalité est que nous n’en sommes pas encore là. Il reste encore beaucoup à faire pour promouvoir et développer des communautés avec des logements souhaitables et abordables pour les familles démunies de par le monde. Combien de fois avez-vous entendu parler d’une offre suffisante de logements accessibles à des prix abordables ? Les débats se focalisent généralement sur le coût et prennent rarement en compte les avantages socio-économiques, environnementaux et fiscaux qui en découlent. Je suis convaincu qu’une fois cette question du logement abordable, notamment son impact positif en matière de cohésion sociale, est perçue à sa juste valeur, les décideurs du monde entier vont certainement mettre les bouchées doubles pour se rattraper, rectifier le tir et être à jour d’un défi pareil. Aux États-Unis, il est très clair que le logement abordable est l’une des principales priorités avec comme mission-phare, la création de logements abordables, de qualité, durables et inclusifs pour tous.
Ne pensez-vous pas également que la spéculation reste une pratique qui complique davantage le droit des citoyens à un toit décent à un prix abordable ?
Absolument. La spéculation, qui est une stratégie d’investissement consistant à acheter à bas prix et à vendre à un prix très élevé, complique encore davantage le droit des citoyens à un logement abordable et décent. Veuillez noter que la spéculation immobilière a contribué de manière très significative à la hausse des prix des logements. Elle a aussi et surtout compliqué et contribué gravement et de manière très négative au ralentissement économique de la période 2007-2009. À ce titre, il est très important d’examiner de plus près cette question, car elle présente un sérieux obstacle pour l’accessibilité des citoyens à un toit décent à des prix abordables.
Existe-t-il aujourd’hui un modèle plus ou moins rationnel ?
Oui, il existe aujourd’hui plusieurs modèles adoptés par les pays développés du monde entier.
Comment ça se passe; notamment aux USA ?
Puisque je connais bien le modèle américain, permettez-moi de partager brièvement avec vous l’objectif escompté par sa mise en place. En effet, dans le cadre de la lutte menée par le Président Lyndon Johnson contre la pauvreté, une agence gouvernementale a été créée en 1965. La mission de cette agence était de mettre en place des logements privés à la disposition des familles à faible revenu. Cette initiative a été élargie par la suite pour faire face à d’autres problèmes sociaux en rapport direct avec l’Habitat. Mais il est important de constater que même si les États-Unis ont réalisé des progrès substantiels pour relever plusieurs défis liés à la problématique de l’abordabilité du logement, il est clair que les prix augmentent plus rapidement que les salaires sur de nombreux marchés immobiliers américains. À ce titre, le gouvernement continue de s’attaquer à ce phénomène en mettant en œuvre plusieurs programmes visant à préserver et à rendre le logement plus abordable. Il est important de noter que derrière de telles initiatives en la matière, le gouvernement américain tire des avantages. Par exemple, lorsque des logements abordables sont construits ou réhabilitées aux États-Unis, les fonds vers les villes et les États peuvent être considérables. Les revenus peuvent prendre la forme de frais de permis, de zonage et de services publics… ou encore les impôts fonciers générés par l’activité économique liée à la construction. A noter également que le logement abordable aux États-Unis est le résultat de partenariats solides entre les Etats, les promoteurs immobiliers, les dirigeants communautaires et les institutions financières privées. Un autre point que je voudrais partager est qu’une recherche récente suggère que les ménages à revenu faible ou modéré qui participent à des programmes d’accès à la propriété abordables ont un risque beaucoup plus faible de délinquance et de saisie que les acquéreurs similaires ayant des prêts préférentiels ou subprimes. La réduction des saisies permet non seulement de stabiliser les quartiers, mais génère également des économies importantes pour les gouvernements locaux. Ce qui constitue une source non négligeable de revenus à même d’absorber les coûts liés à l’entretien de la propriété, aux services sociaux et, dans certains cas, à la démolition et la réhabilitation de maisons abandonnées. Les progrès réalisés en matière de logement abordable aux États-Unis ont certainement contribué à réduire les coûts des services sociaux en fournissant des services de santé et sociaux ciblés et contribuent à mettre fin au cycle de la pauvreté dans de nombreuses régions du pays.
En résumé, je crois profondément que tout le monde mérite un logement décent et un cadre de vie correct, pour ne pas dire agréable.
Propos recueillis par
Hassan Zaatit