Dans l’article consacré à la voiture connectée 100% marocaine, les intervenants qui ont joué un rôle déterminant dans la concrétisation de ce projet innovant avaient été brièvement présentés.
Pour connaitre un peu mieux ces acteurs majeurs de l’innovation technologique au Maroc, un article détaillé sera consacré à chacun d’entre eux.
Omar Bencherki est probablement LA personne qui a le plus contribué à l’émergence de la voiture connectée au Maroc. C’est effectivement lui qui a fabriqué le hardware du système, en plus d’avoir développé l’unique cartographie GPS au Maroc qui soit vraiment fiable sur le marché.
Entretien avec ce pionnier de la géolocalisation.
Omar Bencherki est un jeune entrepreneur diplômé en business management de l’Université d’Exeter en Angleterre. Il est le co-fondateur de 2 sociétés : Navcities, créée en 2008, spécialisée dans la production de cartographie et de solutions de géolocalisation et Magnav, créée en 2013, fabricant de matériel multimédia pour les voitures.
Chroniques du Futur : Comment vous est venue l’idée de créer Navcities ?
Omar Bencherki (O.B) : Je suis parti d’un constat très simple : il n’y avait pas au Maroc de cartographie GPS qui soit 100% fiable et qui, en même temps, respecte notre intégrité territoriale. La demande en données géolocalisées était pourtant bien réelle.
Certes Google Maps existe, mais ce service se base principalement sur la remontée de données des utilisateurs (voie communautaire collaborative). Il est donc plus destiné à des particuliers qu’à des entreprises qui, elles, ont besoin de données fiables et complètes. Les deux autres leaders mondiaux, TOMTOM et Here, quant à eux, n’ont pas encore jugé important de s’intéresser au marché marocain qui est, par ailleurs, très particulier !
C.F : Pourquoi très particulier ?
O.B : Il faut savoir que dans des pays développés comme la France ou les États-Unis, les attributs de navigations, comme les numéros de rue par exemple, sont très bien structurées et bien organisés (chiffres paires ou impaires qui se suivent par exemple). Il est donc facile pour les enquêteurs terrains de relever ces données en ne prenant que les numéros compris entre les intersections des rues. Il ne reste ensuite plus qu’à attribuer le numéro à chaque bâtiment qui n’a pas été relevé grâce à une identification par image satellite et à un algorithme mathématique.
« Au Maroc, les numéros ne se suivent pas forcément (le numéro 4 peut être suivi d’un 42 par exemple) et il est donc impossible de faire un relevé partiel et de l’extrapoler. »
Un algorithme ne pouvant être utilisé, nos enquêteurs terrain sont donc obligés de faire un relevé très minutieux (appellé « relevé porte à porte ») pour que le travail soit complet !
C.F: Qui sont vos clients et quels sont leurs besoins ?
O.B : La géolocalisation est aujourd’hui une technique capitale pour les entreprises ou les organismes publics. Elle permet de recevoir des informations stratégiques très précises sur la nature et la quantité des lieux, objets ou personnes recherchées sans avoir à se déplacer. Cela représente donc un gain de productivité et des économies en temps et en argent non négligeables.
Nos clients sont donc aussi bien des entreprises privés de différentes tailles (PME ou grosses sociétés) que des organismes publics (Wilayas, ministères, etc.). Dans notre portefeuille client, on peut citer Maroc Telecom, Wafacash, le ministère de la Modernisation ou encore la Wilaya d’El Jadida.
Les informations stratégiques que nous leur fournissons permettent d’accélérer leur croissance et d’améliorer leurs services. Elles permettent aussi de mieux définir les programmes de développement et d’implantation grâce aux données globales bien ciblées des territoires visées.
De manière générale, les demandes de nos clients concernent des enquêtes sur le terrain, la collecte de données, la quantification du nombre de commerces et de cafés ainsi que la mise à jour régulière ou ponctuelle de certains points d’intérêts des quartiers ou de villes spécifiques. C’est un gros travail qui nécessite une très grande mobilisation de nos ressources humaines.
C.F : Justement, combien de personnes travaillent au sein de l’équipe Navcities ?
O.B : Nous avons une vingtaine de personnes qui travaillent à temps plein au sein de l’entrerpise et qui sont répartis entre nos bureaux à Temara (Rabat) et au Technoparc de Casablanca. L’équipe technique travaille essentiellement sur le terrain pour la récolte de données et pour leur intégration dans les systèmes informatiques tandis que le travail commercial est principalement accompli par moi-même.
C.F : Avez-vous des demandes de clients étrangers ?
O.B : L’un des deux grands leaders mondiaux, Here, a déjà acheté des données chez nous concernant certaines villes régionales du Maroc. C’était au tout début de notre activité. Nous avons mis fin à ce partenariat par la suite car cela pouvait compromettre la pérennité de notre business à plus long terme.
Pour ne pas subir une concurrence qui pourrait arriver dans les prochaines années et aussi pour ne pas reposer toute notre activité que sur la production de données cartographiques, nous avons décidé de diversifier nos services en développant des solutions logicielles innovantes en interne pour nos partenaires. Cela a d’ailleurs rapidement porté ses fruits puisque ces solutions prennent de plus en plus d’importance dans notre chiffre d’affaires aujourd’hui.
Je suis d’ailleurs particulièrement fier d’avoir mis au point pour un de nos clients une solution qui a été récupérée par la suite par le siège de la maison mère pour être développée à l’international.
C’est une solution d’application mobile destinée aux délégués pharmaceutiques et médicaux que nous avons mis en place pour le groupe Danone. Cette innovation mondiale leur permet de connaitre, à n’importe quel moment et pour chacun de leur produit dans chaque pharmacie, tout leur stock en temps réel sur toutes leurs plateformes (ordinateurs, smartphones et tablettes) grâce au cloud!
Au niveau national, nous avons aussi développé, en partenariat avec Saham Assitance, pour la Wilaya d’El Jadida (dans le cadre d’un partenariat public-privé) le premier service de SAMU entièrement normalisé fonctionnant par géolocalisation !
C.F : Étant donné le rôle croissant que joue la géolocalisation dans notre société, n’avez-vous pas peur de ne pas pouvoir satisfaire les demandes de plus en plus nombreuses des clients, vue la taille réduite de votre structure ?
O.B : C’est effectivement un problème auquel nous devons faire face aujourd’hui. Par la passé, nous avons toujours choisi un développement lent mais maitrisé. Cela nous a permis de nous construire une bonne réputation sur le marché. Notre financement a toujours été en propre et nous n’avons encore jamais eu besoin de contracter des crédits auprès d’institutions financières.
Étant au courant du problème de retard de paiement qui fait souvent défaut dans notre pays, nous avons choisi de ne faire affaire qu’avec des partenaires sérieux qui payent selon nos exigences : 30 à 50% à l’avance et le reste à la livraison. Ces règles du jeu étaient acceptées par eux et nous ont permis de ne jamais avoir de problèmes de trésorerie. En contre-partie, nous avons mis un point d’honneur à toujours remettre dans les délais un travail d’une qualité irréprochable.
Aujourd’hui, les clients sont effectivement de plus en plus nombreux et leurs besoins toujours plus importants. Nous avons donc décidé en cette fin d’année d’effectuer une levée de fonds avec un partenaire étranger pour accélérer notre développement afin de pouvoir répondre plus efficacement aux demandes de nos clients.
C.F: Récemment, votre deuxième société, Magnav, a été mise sur le devant de la scène avec l’annonce de la voiture connectée 100% marocaine. Parlez-nous un peu de ce projet et du rôle que vous y avez joué…
O.B : Magnav a été fondé en 2013 avec mon associé Abdallah boumouch qui dirige la société Sonocar, spécialisée en accessoires automobiles. C’est après une première discussion riche et constructive avec Mr Hicham El Oufir, de CFAO Motors, que l’idée de créer une entreprise qui serait spécialisée dans la fabrication de systèmes multimédias pour voitures connectées a germé.
« A l’heure des tablettes et des smartphones, les postes radios traditionnels des automobiles me semblaient complètement dépassés. »
Il fallait offrir aux clients marocains, qui sont très demandeurs en nouvelles technologies, des produits adaptées à leur époque.
De plus, l’écosystème automobile est en plein boum au Maroc et il est appelé à devenir l’un des secteurs clés dans l’industrie de notre pays.
A l’échelle internationale, il y’a aussi un très fort engouement pour les tablettes connectées dans les voitures et Google et Apple se sont déjà positionnés. Ces derniers ont mis en place un environnement qui est fermé à de nombreux développeurs d’applications. En effet, Google et Apple développent eux-même des applications qu’ils vont bien sûr mettre en avant dans leur propre écosystème. Cela se fait donc au détriment d’une libre concurrence qui aura pour effet de ralentir l’innovation !
C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé avec mon associé de créer Magnav en 2013 et de donner suite au rêve de Hicham El Oufir, en créant un écosystème totalement ouvert et gratuit, 100% marocain.
C.F : Quelle a été la réception de ce nouveau système par les autres concessionnaires de voitures ? Se sont-ils montrés aussi enthousiastes que l’a été CFAO Motors ?
O.B: En un an et demi, nous sommes assez satisfaits des partenariats que nous avons réalisés avec les différents concessionnaires au Maroc.
« A ce jour, près de 50% d’entre eux ont intégré le système MAGNAV et nous sommes en discussion avec les autres pour les convaincre de rejoindre le navire. »
Certains de nos clients comme Global Engines, (véhicules Hyundai) ont carrément décidé d’intégrer notre système dans tous les montages en série de leurs véhicules.
Il faut dire que l’argument économique a grandement joué en notre faveur. En effet, il est plus intéressant pour le concessionnaire d’utiliser notre système que celui du constructeur car le nôtre est souvent 50% moins cher tout en offrant beaucoup plus d’avantages technologiques. Le concessionnaire peut donc améliorer sa marge tout en donnant une plus grande valeur ajoutée à ses véhicules.
C.F: Où sont fabriqués vos produits ?
O.B : Nous avons choisi de fabriquer dans un premier temps nos produits en Chine avec un partenaire jouissant d’une très grande réputation sur le marché des systèmes automobiles.
« D’ici 2017, nous envisageons d’ouvrir une unité d’assemblage au Maroc. Cela nous permettra d’avoir la main sur nos produits tout en étant beaucoup plus réactifs à la demande de nos clients. »
La fabrication dans notre pays nous permettra aussi de réduire nos délais d’approvisionnement tout en diminuant nos coûts de transport.
Nous pourrons ainsi conquérir plus facilement le marché africain puisque nous sommes dans une démarche sud-sud que nous pensons justifiée : le savoir-faire marocain commence à être reconnu en Afrique et cela nous sera donc bénéfique pour notre développement futur dans ce continent où tout est encore à faire.
C.F : Où en est le projet d’applications pour le système MAGNAV lancé dans le cadre de la compétition Screendy Cup Maroc 2015 lancé en début du mois d’octobre de cette année? avez-vous déjà eu des propositions ?
O.B: A peine 10 jours après le lancement de la compétition, nous avons déjà compté plus de 20 candidatures pour des applications spécifiques à la voiture connectée. C’est très encourageant pour la suite.
C.F: A Casablanca, le trafic routier est devenu un enfer ! A part les grands travaux d’infrastructures qui peuvent désengorger la situation, il existe des solutions de gestion intelligente du trafic. Avez-vous pensé à utiliser votre technologie de géolocalisation pour en proposer une au sein du système MAGNAV ?
O.B: Tout à fait ! Nous avons une application qui est prête et nous attendons de conclure un accord avec un opérateur télécoms pour la lancer. Celle-ci ne pourra en effet fonctionner que si la remontée de données, qui s’effectue par voie communautaire, est assurée par une connexion internet fiable et permanente.
Interview réalisée par Omar Amrani.