Dans une économie aussi mondialisée que celle de notre époque, l’innovation est devenue un enjeu majeur.
« Startups, accélération, co-working, business angels », tous ces termes sont, de plus en plus, au centre des discussions dans le milieu des affaires et des investisseurs d’aujourd’hui.
Comparé à d’autres pays de la région MENA (Jordanie, Liban, etc.) le Maroc est encore à la traîne au niveau de l’écosystème entrepreneurial innovant.
A titre d’exemple, le montant total des levées de fonds réalisées par toutes les startups marocaines en 2015 ne dépasserait même pas celui qu’une seule startup peut récolter en un seul tour de table en Jordanie !
Quelles sont les raisons de ce retard ? Pourquoi n’y a-t-il pas encore suffisamment de « success-stories » de startups marocaines réussissant aussi bien au niveau national qu’international ? Que faudrait-il faire pour engendrer une dynamique positive qui favoriserait la mise en place d’un écosystème efficace et durable pour les jeunes entrepreneurs marocains innovants ?
Pour répondre à toutes ces questions, j’ai décidé d’interviewer Leyth Zniber, un des acteurs les plus impliqués dans la création de cet écosystème.
Ce jeune entrepreneur est à la tête de Numa Casablanca, une structure d’accompagnement de startups et d’innovation créée au Maroc en début 2016 en partenariat entre Impact Lab, premier incubateur marocain, et Numa, leader européen de l’accélération et de l’innovation.
Chroniques du Futur : Bonjour Leyth ! Pouvez-vous nous présenter Numa Casablanca et son rôle dans l’écosystème entrepreneurial marocain ?
Leyth Zniber : Numa Casablanca est née du rapprochement naturel entre Numa, un accélérateur français de référence qui désirait étendre ses activités au Maghreb et en Afrique et Impact Lab, une structure pionnière au Maroc dédiée à l’accompagnement de l’entrepreneuriat innovant à fort impact social et environnemental.
Les deux structures ont convenu de collaborer étroitement et exclusivement pour répondre à un énorme besoin d’accompagnement chez les entrepreneurs et les innovateurs de notre continent.
Numa Casablanca est donc aujourd’hui une plateforme mettant à la disposition des startups marocaines et africaines les ressources dont elles ont besoin pour se développer dans le cadre d’un écosystème naissant, mais très prometteur.
C.F. : Comment fonctionne concrètement votre programme d’accélération ?
L.Z : Notre programme d’accélération, qui dure 5 mois, comprend des formations, un coaching personnalisé, l’accès à un réseau de plus de 200 experts et de mentors nationaux et internationaux, de clients et d’investisseurs potentiels, et l’accès à une boîte à outils (canevas de travail).
Une partie importante de la démarche se base également sur le partage d’expérience entre start-upers, au sein d’une même saison d’accélération ou avec les alumni de Numa Casablanca.
Les participants à notre programme d’accélération bénéficient également de l’accès à un espace de travail équipé au sein du co-working de Numa Casablanca, et d’un ensemble de prestations de service adaptées négociés auprès de plus de 50 partenaires (conseil juridique, fiduciaire, solutions IT et télécom, etc.).
La participation au programme d’accélération ne requiert pas de contribution financière de la part des entrepreneurs. Nous savons que la trésorerie est souvent une contrainte majeure pour eux. Nous nous rémunérons en prenant une participation de 5% dans le capital de chaque start-up accélérée.
Pour être éligibles à notre programme, les projets doivent être innovants et déployables à grande échelle. Les entrepreneurs doivent avoir au moins développé un prototype et commencé un vrai travail de recherche et de validation de l’idée sur le terrain. Enfin, ils doivent être prêts à se consacrer à plein temps à leurs projets.
Nous avons mis en place une démarche de sélection rigoureuse pour garantir une collaboration professionnelle et productive pour les entrepreneurs comme pour nous :
Appel à candidature
Pré-sélection des projets sur dossier
Demi-finales par vidéo conférence
Passage devant un Jury
Les entrepreneurs sélectionnés participent tous à un mois intensif de diagnostic, au terme duquel seuls les entrepreneurs les plus engagés sont retenus pour participer à la suite de l’accélération.
C.F : Les entrepreneurs marocains acceptent-ils facilement de céder une partie de leur capital ?
L.Z : Notre culture fait que les entrepreneurs sont encore très réticents au concept de céder une partie du capital de leur entreprise.
C’est d’ailleurs pour cela que nous avons fixé le niveau de prise de participation à 5% au lieu des 10%-15% qui sont pratiqués généralement dans les autres pays.
C’est notre rôle, en tant qu’acteur de l’écosystème, de sensibiliser les entrepreneurs à l’apport que peut représenter pour eux un programme d’accompagnement comme celui de Numa Casa, en termes d’accès à la formation, à l’expertise et aux réseaux de clients, prestataires et investisseurs potentiels.
Cette prise de conscience dans l’écosystème se fera aussi progressivement au vu des résultats concrets de nos programmes après chaque saison d’accélération.
C.F : En quoi une structure comme la vôtre, qui, je le rappelle, n’est pas une association mais une entreprise avec une rentabilité à assurer, peut-elle contribuer à nous faire sortir de ce cercle vicieux pour faire émerger plutôt un cercle vertueux qui serait bénéfique à tout l’écosystème ?
L.Z : Notre métier principal reste fondamentalement d’accompagner de jeunes startups innovantes à fort potentiel de croissance. Or, nous sommes dans un écosystème naissant et il y a, aujourd’hui, encore peu de jeunes qui osent se lancer dans l’entrepreneuriat au Maroc.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’intervenir dès le début de la chaîne, c’est à dire au niveau de l’éducation et de l’engagement des jeunes aspirants entrepreneurs.
Nous organisons des Masterclass et des Bootcamps pour donner aux aspirants entrepreneurs les premiers outils pour démarrer leurs projets. Nous organisons aussi des Hackathons, nous intervenons dans le cadre de formations au niveau des universités, nous produisons des vidéos tutoriels sur youtube, etc. Tous ces outils sont là pour faire monter en compétence les futurs start-upeurs marocains !
Nous cherchons aussi à engager plus de monde dans la dynamique entrepreneuriale, notamment des cadres, afin qu’ils puissent nous aider à faire évoluer les mentalités par rapport à la démarche entrepreneuriale. Cet engagement se fait notamment dans le cadre de nos programmes de mentoring.
Enfin, nous jouons un rôle d’intermédiaire de confiance entre les jeunes startups et leurs bailleurs de fonds potentiels, que ce soit les business angels qui souhaitent investir en pré-amorçage et en amorçage, ou les grandes entreprises qui représentent des débouchés commerciaux significatifs.
C.F : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dernier point ?
L.Z. : De nos jours, l’innovation est une obligation pour les grandes entreprises. On ne compte plus les exemples de grosses structures qui ont subi d’énormes pertes, faute de ne pas avoir su innover et s’adapter à temps.
Le mode de fonctionnement d’une grosse entreprise, avec ses process lourds et contraignants, fait qu’il est très difficile pour elle d’être réactive à un changement rapide de son environnement.
La startup, quant à elle, peut, rapidement et à moindre coût, innover et adapter ses produits en permanence, voire même créer des concepts disruptifs qui changent complétement les règles du jeu.
L’association entre une jeune startup agile et frugale et une grande entreprise ayant les ressources financières, l’expertise et l’expérience du marché ne peut donc qu’être positive pour les deux structures.
De plus en plus de multinationales fonctionnent d’ailleurs selon ces nouveaux modèles de partenariat :
General Electric a ainsi mis en place « Ecomagination », une plateforme ouverte aux innovateurs. Le groupe met à leur disposition les ressources de l’entreprise et en contrepartie il devient copropriétaire des innovations qui en résultent. Celles-ci peuvent ensuite être immédiatement industrialisés et commercialisés. En 2015, 20% du CA du groupe GE provient de cette plateforme.
Procter&Gamble, Engie, Orange, IBM, et de nombreuses autres multinationales ont adopté des modèles de partenariat similaire avec les start-ups. Elles ont réalisé que leur pérennité dépend de leur capacité à intégrer l’innovation dans l’ensemble de leurs process, et notamment en coopérant étroitement avec les start-ups.
Malheureusement au Maroc, les grandes entreprises et les start-ups ne se parlent pas beaucoup. Les échanges et partenariats commerciaux ne se font donc que très rarement alors qu’elles ont énormément à s’apporter mutuellement.
C.F : Quelle est la valeur ajoutée de Numa pour ces deux univers (grandes entreprises et startups) ?
Au sein de Numa Casablanca, nous sommes une équipe de 6 managers expérimentés (plus de 10 ans d’expérience en moyenne), aux profils complémentaires qui combinent le monde de la grande entreprise et le monde entrepreneurial.
Nous pouvons donc aider ces deux mondes à se parler et à collaborer dans un climat de confiance pour faire naitre des produits, des services et des process innovants.
Nous pouvons également nous appuyer sur le track-record de Numa Paris dans l’accompagnement des grandes entreprises françaises dans la mise en place de programmes d’innovation.
En 2015, plus de 60 projets ont été réalisés par Numa Paris pour des grandes entreprises françaises, et notamment 17 clients du CAC40.
A Casablanca, nous menons un travail important de sensibilisation au niveau des grandes entreprises marocaines par rapport à la nécessité d’innover, et de s’ouvrir à l’écosystème entrepreneurial pour optimiser la démarche d’innovation.
Nous travaillons actuellement sur la mise en place de programmes d’innovation spécialisés qui permettront à nos partenaires corporates et aux start-ups de l’écosystème de collaborer pour apporter des solutions innovantes à des défis spécifiques.
Nous espérons que ces programmes ouvriront la voie pour une collaboration durable et à forte valeur ajoutée pour ces deux mondes.
Interview réalisée par Omar Amrani.