Director of the Middle East and Central Asia Department Jihad Azour, Morocco Minister of Economy and Finance, Nadia Fettah participate in Governor Talks: Building Resilience Through Structural Reforms, ‘Lessons from Morocco” during the 2023 Spring Meetings of the World Bank Group and International Monetary Fund in Washington on April 15, 2023.IMF Photo/James Mertz
A l’occasion des réunions de printemps, en marge desquelles a eu lieu un évènement en l’honneur du Maroc, après l’annonce de la tenue des Assemblées du FMI et de la BM à Marrakech en octobre prochain, Mme Nadia Fettah, ministre des Finances et de l’économie, s’est entretenue à Washington avec M. Jihad Azour, Directeur du département MENA et Asie centrale au FMI. Dans cet entretien, qui révèle l’état d’esprit autour de cette grande messe annuelle dont le Maroc sera l’hôte, Mme Nadia Fettah dresse un bilan des réformes et avancées du Maroc. Nous publions cette interview pour son éloquente description de la teneur du partenariat qui lie le Maroc au FMI, les propos explicites de Mme Nadia Fettah sur le tournant des réformes économiques, sociales et environnementales pris par notre pays et la résilience du pays face aux crises récentes.
M. Jihad Azour : Nous avons tous hâte d’être à Marrakech en octobre, non seulement pour profiter de cette belle ville et de l’hospitalité du Maroc, mais aussi parce que je pense que ce sera l’une des réunions annuelles les plus intéressantes qui se tiendra dans un pays situé au carrefour des civilisations. Dans un pays qui a entrepris de nombreuses réformes positives et qui nous a montré une histoire très intéressante en termes de mise en place, malgré tous les défis, d’un environnement stable grâce à toutes ces réformes. Le FMI rassemblera donc la communauté internationale à Marrakech, où nous espérons également présenter le Maroc à cette dernière. Le sujet de ma première question porte sur la ligne de précaution et de liquidité modulable que le FMI vient d’accorder au Maroc, je suis sûr que vous êtes satisfaite de cette réalisation. Différentes lignes du genre ont d’ailleurs aidé le Maroc à faire face à plusieurs chocs et vous ont fourni un bon cadre pour accélérer certaines de ces réformes. Sachant que le Maroc est le premier pays du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord, de l’Asie centrale, du Caucase et d’autres régions du monde, à avoir pu bénéficier de ce type de facilité qui reconnaît les efforts que vous avez déployés. Pourquoi votre pays a-t-il demandé cette facilité alors qu’il se porte bien et que vous avez un très bon accès aux marchés des capitaux internationaux ? Comment avez-vous l’intention d’utiliser ce nouveau cadre de relations pour faire face aux incertitudes que nous reconnaissons tous et accélérer vos réformes ?
Mme Nadia Fettah : Tout d’abord, je tiens à vous remercier de l’opportunité que vous me donnez de présenter le Maroc. Lors des réunions de printemps d’avril, nombre de pays géraient leur crise, la négociation de cette ligne de précaution, était notre façon de gérer la nôtre, d’autant que l’on en a eu plusieurs en même temps. Et grâce au partenariat, grâce aux réformes solides entreprises depuis deux décennies, le Maroc a réussi à gérer cette crise de manière assez efficace puisque l’économie a fait preuve de résilience. D’autant que notre objectif n’est pas d’interrompre l’agenda très ambitieux des réformes que nous avons lancées, parce qu’un pays confronté à une multiplication de crises, peut avoir la tentation de reporter les réformes. Le gouvernement, engagé à maintenir cette dynamique de réformes, considère la ligne de précaution comme une assurance pour l’accompagner dans cette voie. Nous sommes donc vraiment très heureux d’avoir obtenu cette ligne de précaution et de liquidité modulable pour poursuivre dans la voie des transformations avec une certaine sérénité, tout en devant maintenir notre discipline de préserver les fondamentaux macroéconomiques de notre pays, un objectif d’importance. Cette ligne reflète également que la relation du Maroc avec le FMI et leur forte coopération ont été couronnées de succès ! Ce qui nous permet de passer à un niveau supérieur avec certes davantage de discipline en matière de politique publique et pour les décideurs publics. Le Maroc est prêt et le FMI veillera certainement à ce que nous maintenions le cap, notamment pendant les 3 ans du plan de stabilisation assorti à la ligne modulable.
M. Jihad Azour : Ma deuxième question porte sur les trois dernières années, pendant lesquelles nous avons tous dû faire face à des chocs successifs et la COVID-19 était l’un d’entre eux, avec des conséquences spécifiques car des vies étaient en jeu, de même que les moyens de subsistance. Le Maroc a dû gérer la crise sanitaire, puis celle de la sécheresse qui a suivi, vu l’importance du secteur agricole au Maroc, mais aussi, les répercussions du conflit en Ukraine. Pouvez-vous nous expliquer la recette de la résilience de votre pays ?
Mme Nadia Fettah : La première recette est d’abord basée sur la confiance, qui se traduit par une vision, un message de leadership et une certaine sérénité dans le dialogue avec toutes les parties prenantes, la population y compris. Ceci est très important car, comme vous l’avez mentionné, pendant la période de la COVID-19, nous avons eu la chance d’avoir des vaccins dès les premiers stades. Ce qui nous a permis de faire face à la seconde urgence, celle de transférer directement de l’argent aux familles les plus vulnérables. Nous avons été agréablement surpris de constater à quel point nous avons pu gérer cela relativement facilement grâce à la numérisation, aux personnes qui ont organisé les transferts, mais aussi à la patience des gens qui se trouvaient dans des zones rurales et qui ont placé leur confiance dans les promesses du gouvernement. Donc je pense vraiment que cette sérénité, ce dialogue social, ont été des facteurs clés de réussite dans la gestion de cette crise sanitaire. Le deuxième facteur de résilience vient du fait que nous avons une économie diversifiée, ce qui nous a permis d’avoir une très forte reprise en 2021, d’environ 8%, et d’affronter la sécheresse sévère que nous avons connue en 2022 qui a réduit le taux de croissance du pays de 3% à 1,5%. D’autant que cette économie diversifiée, avec l’automobile, les engrais, le phosphate, même le textile et le tourisme, a produit des revenus supplémentaires en devises pour compenser le doublement de la facture énergétique mais pas seulement, de pallier également les répercussions de ces différentes crises. Nous avons dû gérer avec précaution les outils fiscaux en prenant des mesures ciblées, tout en refusant de revenir aux subventions du prix du pétrole à la station-service mais tout en maintenant les subventions aux produits dits nécessaires comme le gaz de cuisine, le blé, le sucre et le transport des personnes et des marchandises. Je pense qu’il était important de maintenir ces mesures pour relever le défi de la préservation des fondements d’une économie en croissance. C’est aussi ce qui nous a permis d’accéder aux marchés des capitaux en début d’année à des conditions assez satisfaisantes.
M. Jihad Azour : Mme Fettah en tant que ministre des Finances, quels sont les problèmes qui, selon vous, seront les plus difficiles à solutionner au cours des prochaines années ?
Mme Nadia Fettah : J’espère que l’économie mondiale se rétablira car je ne peux pas imaginer un scénario pire que ce qu’ont été ces trois années de crises cumulatives ! Toutefois, la gestion de l’eau est certainement l’une de nos priorités, c’est une ressource vitale certes nous prenons les mesures appropriées, mais nous devons absolument être prêts pour l’affronter dans le temps, entre temps nous avons encore besoin de pluie. Nous changeons de stratégie en n’acceptant plus de gérer les sécheresses tous les trois ans. Nous optons plus globalement pour la gestion du changement climatique et de la pénurie d’eau ! L’autre volet d’avenir important pour notre pays, relève du maintien de la confiance du secteur privé, des syndicats, de la population. Tout particulièrement, le pays a besoin du secteur privé pour investir et créer des emplois. Nous avons besoin d’avoir un État social pour atteindre la protection de la population. Sachant également que la menace du protectionnisme qui s’installe dans le monde pèse sur notre avenir.
M. Jihad Azour : Pourriez-vous nous en dire plus sur ces réformes, en particulier celles qui sont importantes pour vos citoyens, pour l’inclusion sociale, et comment envisagez-vous de les réaliser ?
Mme Nadia Fettah : Je pense que nous avons été bénis, sous la guidance de Sa Majesté, d’avoir un nouveau modèle de développement avec un calendrier qui s’étend jusqu’en 2035. L’éducation, la santé, la protection sociale, l’exigence d’un État social s’imposait. Aujourd’hui, le gouvernement en a fait sa priorité car la fracture démographique est très importante. Les jeunes ont besoin de nous pour construire un meilleur avenir pour eux. Pour ce qui concerne la protection sociale, nous commençons par la généralisation de l’assurance maladie pour voir comment cela transforme notre pays. Nous avons une agence de sécurité sociale qui en 60 ans a couvert moins de 8 millions de personnes et qui avec la réforme en cours, en une seule année, 2022, a enregistré entre 14 à 15 millions de personnes supplémentaires. Une plateforme adéquate a été mise en place, avec des plans adaptés à tous, en fonction des niveaux de revenu. La population marocaine a compris qu’il s’agit d’une réelle opportunité pour eux que de s’identifier pour bénéficier à l’hôpital de soins de santé appropriés qu’ils méritent. C’est donc vraiment un moment important pour notre pays que cette confiance nouvelle. De même, un tiers du budget public est consacré à l’éducation et à la santé. L’éducation est un sujet clé parce que l’école publique est la seule chance pour la majorité des jeunes de notre pays. Nous avons 300 000 jeunes qui quittent le lycée ou l’école sans compétences. Notre objectif pragmatique est de réduire ce nombre d’un tiers d’ici trois ans. L’éducation est donc l’objet d’une réforme importante. À l’avenir, nous aimerions que les familles choisissent l’école publique à l’école privée. C’est vraiment une réforme majeure sur laquelle nous travaillons. D’autre part, nous mettons également en place une stratégie globale pour stimuler l’économie. Aujourd’hui, le secteur public représente les deux tiers de l’investissement et nous voulons que d’ici 2035, il en représente un tiers au plus. Pour ce faire, le gouvernement marocain met en place tout un ensemble de mesures pour créer un environnement propice en faveur de l’investissement. Le secteur public devra jouer davantage un rôle de facilitateur, car la création d’emplois est essentielle pour tout investisseur. Cela s’accompagnera également de réformes dans la manière dont nous gérons le secteur public, en adoptant une approche plus régionale et en décentralisant les décisions, prises aujourd’hui dans la capitale, grâce à une solide stratégie numérique.
M. Jihad Azour : Au début de notre conversation, vous avez soulevé une préoccupation quenous avons tous, qui est la fragmentation, et nous nous rendons à Marrakech pour lutter contre cette fragmentation. Le Maroc est un pays qui peut clairement revendiquer son rôle de carrefour des civilisations tant sur le plan culturel, historique que géographique. Ce, avec une dimension supplémentaire, celle d’une économie ancrée dans la chaîne de valeur mondiale, dans certains secteurs qui sont des secteurs d’avenir. Êtes-vous inquiets ? Et spécifiquement, comment envisagez-vous ces tensions affecter votre modèle ?
Mme Nadia Fettah : Comme vous l’avez mentionné, nous sommes un pays de tolérance. Nous sommes au carrefour de différentes civilisations. Nous sommes également une porte d’entrée vers l’Afrique, mais aussi vers l’Europe. Le Maroc a très tôt conclu plusieurs accords de libre-échange avec de nombreux pays, même si nos relations commerciales ne sont pas équilibrées ! Cependant, nous croyons fermement que l’ouverture de notre économie a contribué à la compétitivité du Maroc. Par exemple, lorsque nous avons construit le port Tanger Med, personne n’aurait cru qu’il deviendrait le premier port à conteneurs en Méditerranée, apportant beaucoup à l’économie marocaine dans son ensemble et à l’industrie automobile en particulier pour l’export vers certains pays européens, et petit à petit, africains. Toutefois, ce qui reste inquiétant, c’est que les règles transparentes du commerce international se brouillent, et deviennent définitivement injustes. Donc, l’un des obstacles que nous constatons vient de la réglementation du commerce international qui devient de plus en plus complexe et que nous avons du mal à suivre. Je pense que ce double standard dans la réglementation n’est pas quelque chose d’acceptable. Nous voulons simplement un monde qui ne soit pas fait pour dominer, mais pour partager. A ce titre, le Maroc ne demande pas de l’aide mais un commerce équitable. Chaque pays se doit de préserver l’intérêt interne, mais personne ne peut le faire seul. Donc j’espère qu’à Marrakech, nous pourrons porter la voix des communautés mondiales, car nous voulons faire partie de cette conversation mondiale. Il y a probablement beaucoup d’ajustements à faire du côté de la gouvernance pour mieux entendre la voix de l’Afrique, celle des pays émergents et à revenu intermédiaire. J’espère que la déclaration de Marrakech reflètera les priorités de cette partie du monde qui doivent occuper la communauté internationale, et que la nouvelle architecture financière apportera des solutions adéquates. Sachant que la pauvreté est une réalité dans de nombreux pays, que le changement climatique est également une grande préoccupation, tout comme la transformation numérique, nous avons besoin de plus et d’autres solutions, notamment pour le continent africain et tout simplement que le Sud global fasse partie à l’avenir de toutes les grandes discussions mondiales sur les grands sujets.