Madame la Présidente du Tribunal Social Casablanca, Nadia Mzaouir, a été nommée à ce poste en octobre 2022. Titulaire d’une licence en droit et d’un diplôme de l’Institut Supérieur de la Magistrature, elle exerce dans les tribunaux depuis 1993, en tant que juge au tribunal de première instance d’Anfa puis au tribunal social de Casablanca avant d’être nommée présidente du Tribunal de Première Instance de Témara en 2019 et du Tribunal Social de Casablanca en 2022.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli Yata
La Nouvelle Tribune : Mme la Présidente, merci d’avoir accepté de contribuer à notre spécial sur l’évolution de la réforme de la Moudawana. A ce titre, quelle est votre perception de la réforme intervenue en 2004 ?
Mme Nadia Mzaouir : Il est important de rappeler que la Moudawana adoptée en février 2004 avait constitué un saut qualitatif en matière des droits de la Famille marocaine, particulièrement pour les femmes aussi bien adultes que mineures. Ce texte contenait un ensemble de nouvelles dispositions de droits par rapport à l’ancienne mouture du Code du Statut Personnel, destinés à renforcer la position de la femme dans la famille, le plus petit noyau de la société.
Pouvez-vous préciser pour nos lecteurs, quelques exemples de cette évolution ?
Dans le cadre du mariage, première étape de la constitution de la famille, les anciens textes, considéraient la femme comme un objet de l’acte de mariage. La nouvelle Moudawana, elle, par l’obligation donnée à la femme de signer ce dernier, lui rétablit une place entière. Le nouveau Code de la Famille a ainsi apporté une amélioration substantielle de la condition juridique des femmes dans la famille par l’institutionnalisation du consentement de la femme à son propre mariage. Et comme tout acte nécessite la signature des contractants, la femme est devenue dans le cadre de Moudawana une partie prenante de l’acte de mariage.
L’autre nouveauté de grande importance du texte de 2004, réside dans le fait que le législateur a donné la possibilité à la femme adulte de se marier sans tuteur ou de désigner elle-même un tuteur, en la personne d’un proche uniquement par respect des coutumes. A travers ces nouveautés, le législateur a été sage dans la mesure où il a cherché à créer un équilibre au sein de la famille en harmonisant la relation entre la femme et l’homme. Sachant que généralement, des rapports entre deux parties naissent des déséquilibres, voire des conflits. Plus généralement le législateur a voulu, à travers les 400 articles de la Moudawana de 2004, veiller sur la cohésion de la famille, sa stabilité et sa pérennité en mettant les parties contractantes sur le même pied d’égalité en matière de droits et de devoirs. En effet, les articles de la Moudawana ne concernent pas uniquement les droits des femmes, mais ceux des hommes et des enfants, soit les membres constitutifs de la famille.
Mme Mzaouir, qu’en est-il de la vie conjugale, est ce que son cadre a été redéfini par la Moudawana en faveur de la femme ?
Dans le cadre de la famille et pour son équilibre, la femme est devenue un partenaire dans la gestion des affaires domestiques. Elle a des droits et des devoirs, dans le texte de la Moudawana la définition de l’acte du mariage qui les précise, il repose sur un pacte fondé sur le consentement mutuel en vue d’établir une union légale et durable, entre un homme et une femme. Il a pour but la vie dans la fidélité réciproque, la pureté et la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux. L’institution «familiale» est du ressort des deux époux dans le dialogue, la concertation et le respect mutuel des droits et devoirs. Même si l’homme continue à disposer du droit d’Al Qiwama, soit la tutelle des enfants !
Et sur la question du divorce ?
La Moudawana a tranché la décision unilatérale de l’homme de mettre fin à une liaison conjugale. De même qu’il ne lui suffit plus de s’adresser aux Adouls et au juge d’Attawtiq pour évaluer Al Moustahakkates, que sont les droits pécuniaires versés à la femme divorcée.
Tout acte de rupture du lien conjugal, que ce soit Attalak (divorce) ou Attalik (répudiation), doit passer par la voie judiciaire, sous la supervision du juge.
Le tribunal qui entreprend d’abord une tentative de réconciliation car le législateur a prévu l’institution de la réconciliation pour rester dans l’esprit de la Moudawana qui veille sur la pérennisation de l’institution familiale.
La tentative de réconciliation est un procédé fondamental prévu par la loi dans toutes les formes de la rupture du lien conjugal à la seule exception d’Attatlik pour absence du mari qui de fait ne peut pas être présent.
Quels sont les droits des enfants quand intervient le divorce des parents ?
Dans le cadre du divorce consensuel ou par consentement mutuel, une manière civilisée pour mettre fin à une relation conjugale, les époux décident eux-mêmes des droits des enfants. Le juge n’intervient pas considérant qu’il s’agit de personnes majeures et vaccinées.
En cas de mésentente, les droits des enfants constituent une ligne rouge à ne pas dépasser. Car il se trouve que parfois, la femme est tellement déterminée à mettre fin à une relation conjugale, qu’elle est prête à le faire au détriment des droits de ses enfants. Le tribunal ne le tolère que s’il s’assure que ses ressources financières nécessaires sont à même de garantir les droits des enfants. Il doit veiller tout particulièrement à ce que la femme n’accepte pas de faibles montants de pensions pour se débarrasser de son mari, au détriment des droits de ses enfants et donc il intervient fermement pour fixer des montants à même d’assurer une vie honorable aux enfants.
Dans le cas de divorce conflictuel, quels sont les droits de la femme selon la Moudawana ?
Malheureusement en cas de rupture du lien conjugal, les droits effectifs des femmes restent les mêmes, entre le statut personnel et la Moudawana, soit Al Moutâa ou la pension, Al Idda pendant 3 mois et le reliquat d’Assadaq le cas échéant. Mais la Moudawana révisée de 2004, a instauré l’encadrement du divorce par les juges. Le législateur a donné une autorité d’appréciation aux juges, au cas par cas. Par exemple, si la femme a été contrainte de renoncer à ses droits, elle peut toujours devant le tribunal revenir sur son désistement. Le tribunal l’assiste, c’est en ça que consiste la solution pour renforcer la position de la femme.
L’autre exemple porte sur les montants d’Al Moutâa et d’Al Idda et Sakkan Al Idda, qui sont évalués par le juge en fonction de la situation financière du mari certes mais sont fixés aussi sur la base de l’autorité d’appréciation du juge conformément aux normes stipulées dans l’article 84 de la Moudawana qui retrace les raisons du divorce, la durée du mariage et la nature des excès de responsabilité du mari dans le divorce.
Mme la Présidente, reste la garde des enfants. Est-ce qu’elle a évolué avec la Moudawana ?
Certes, la garde des enfants dite Hadana, qui relève de le Charia, revient à la femme ! Mais à des conditions précisées dans le texte de la Moudawana, qui relèvent de la droiture de la femme et sa capacité à assurer l’éducation de ses enfants sachant que la garde s’arrête à l’âge limite de 18 ans des enfants.
La nouveauté, cependant, c’est que dans l’ancien texte, l’enfant objet de la Hadana, avait le choix de vivre avec sa mère ou son père, selon qu’il soit garçon ou fille. Le premier pouvant faire ce choix dès 12 ans et la seconde dès 15. Avec l’actuelle Moudawana, les enfants, quel que soit leur genre sont égaux devant la loi, leur choix d’un des parents pour vivre avec, est fixé 15 ans, pour les deux.
La Hadana, porte aussi sur la question du logement de la femme après le divorce. Elle ne bénéficie d’un droit à un domicile que pendant Al Idda, sur trois mois. Pendant cette durée, elle est logée dans la maison conjugale ou ailleurs à un de loyer équivalent. Passer la durée de trois mois, la femme est considérée comme étant occupante d’un logement de manière illégale. Au-delà de cette durée, elle rentre dans une autre phase qui relève du droit au logement dédié à l’enfant qui est à sa charge dans le cadre de la Hadana.
Dans ce cas, le père doit continuer à assurer un logement, sinon le tribunal fixe une mensualité pour le logement de l’enfant dont profite la mère qui en a Hadana. Le législateur a précisé dans l’article 168 qu’en cas de divorce les frais de logement de l’enfant soumis à la garde de sa mère, sont distincts de la pension. Il est très courant par ailleurs, que les problèmes récurrents sur ces deux points de la pension et du logement, ne soient réglés que devant la Cour de Cassation, qui veille spécialement à ce que les enfants bénéficient de la pension et du logement séparément.
La pension et le logement tombent pour l’enfant masculin à l’âge de 18 ans s’il n’est pas scolarisé et 25 ans s’il entreprend des études. Alors que pour ce qui concerne la fille, la pension continue à courir jusqu’à son mariage où son indépendance économique.
Selon vous, quels sont les points principaux de la Moudouwana de 2004 que la reforme appelée par Sa Majesté, doit faire évoluer ?
En effet, les tribunaux sont face à certaines incohérences de la Moudouwana en question tout particulièrement avec la Willaya ou tutelle, qui est attribuée à l’homme par la Moudouwana de 2004, alors que le législateur a donné la garde des enfants à la mère. Cela se traduit par une incapacité totale de la femme à décider pour ses enfants.
Chaque décision qui concerne les enfants doit être soumise à l’approbation voire la décision de leur père. Le Tribunal de la famille est encombré par les demandes des mères qui ne peuvent ni voyager avec leurs enfants, ni déménager ni leur faire changer d’écoles, ni leur renouveler leurs papiers d’identité carte national et passeport. D’autant que le père peut être absent, difficile à joindre ou encore de mauvaise volonté par abus de pouvoir sur ses enfants. Le législateur doit prendre ces arguments en considération et faire évoluer le texte de la Moudouwana en la matière.