C’est une réalité indéniable, nous les voyons tous les jours, dans la rue, à l’épicerie du coin, chez nos voisins, ou s’attelant à la tache dans les maisons de nos proches. Elles sont maigres, frêles, fragiles et usées par un travail beaucoup trop pesant pour elles.
L’actualité de ces derniers mois nous a rappelé de manière dramatique que certaines sont sujettes à des violences quotidiennes, voire aux pires sévices. Elles subissent en silence, étouffant parfois leurs pleurs contre un matelas défraîchi placé au fond d’une cuisine, tiraillées entre le devoir d’aider leur famille et l’envie d’aller à l’école. « Quand nous avons commencé à travailler avec les mères célibataires, nous avons constaté que 45% des mamans prises en charges par INSAF étaient d’anciennes petites bonnes. C’est ce qui nous a incité à concevoir un programme pour répondre à cette problématique », déclare Meriem Othmani, Présidente et Fondatrice d’INSAF.
INSAF (Institut National de Solidarité Avec les Femmes en Détresse) œuvre depuis des années, au travers d’actions extraordinaires à éradiquer ce phénomène. Pour aborder concrètement la situation actuelle et montrer tout aussi concrètement les résultats que les actions menées sur le terrain peuvent produire, Mme Othmani a réuni autour d’elle de nombreux partenaires engagés dans ce combat.
Selon la première étude nationale réalisée en 2009 par le Collectif pour l’éradication du travail des petites bonnes, elles seraient des dizaines de milliers, âgées de 8 à 16 ans, à être exploitées comme domestiques au Maroc, le nombre exact étant difficile voire impossible à connaître. Aujourd’hui, grâce à loi 19-12 et son article 23, toute personne qui emploie un enfant de moins de 16 ans est passible de 25 à 30.000 dirhams d’amende. En cas de récidive, ces amendes sont doublées et l’employeur est passible d’un à trois mois de prison. Mme Admi, Directrice du travail au ministère de l’Emploi, nous affirme que « le Maroc, de par ses engagements internationaux, a mis en place plusieurs programmes pour se conformer aux normes internationales du travail en matière de lutte contre le travail des enfants ».
Grâce à INSAF, il existe aujourd’hui des programmes pour accompagner les jeunes filles à se réinsérer dans le cursus scolaire. Depuis 2002, l’association a initié une action de parrainage qui consiste à ramener la petite fille dans son foyer, la réintégrer à l’école et la soutenir en lui achetant des fournitures scolaires et en octroyant à ses parents une bourse scolaire mensuelle de 250 dirhams. Le programme déployé à Chichaoua, El Kelâa, Al Haouz et bientôt à Taza a permis à 400 jeunes filles de reprendre leur parcours scolaire.
Omar Saadoune, Responsable de la lutte contre le travail des enfants au sein d’INSAF, nous a présenté deux bachelières, Fatima et Naima, qui, arrachées au travail domestique, l’une à l’âge de 9 ans et l’autre de 7, ont repris leur cursus scolaire. Aujourd’hui Fatima a 22 ans, elle étudie à l’université Caddi Ayad et aspire à devenir journaliste « Maintenant, le plus important, c’est mon avenir. Il est temps que je devienne maîtresse de mon destin », confie la jeune femme. Quant à Naima, elle a obtenu son bac cette année, et vient tout juste d’être reçue aux Beaux-Arts de Casablanca. Elle indique que tout ce qu’elle veut, c’est pouvoir dessiner, peindre, avoir une vie normale, et oublier une bonne fois pour toute cet épisode sombre de sa vie.
Lors de la conférence de presse, Maître Mohamed Oulkhouir, Avocat et Chroniqueur chez Luxe Radio, apporte une précision d’ordre terminologique tout à fait perspicace. Ainsi, le travail des enfants n’existe pas, les enfants ne travaillent pas, ils sont exploités et asservis. Il ajoute : « Je ne connais pas de petite fille qui se réveille un matin en se disant qu’elle aimerait bien faire la vaisselle ou s’occuper des tâches ménagères (…) Pour pouvoir éradiquer cette réalité, il faudrait d’abord éradiquer ce terme de notre vocabulaire ».
Le travail des petites bonnes est une forme abjecte de traite humaine qui perdure, ce n’est rien d’autre que de l’esclavage moderne. Or, une société qui méprise à ce point les plus vulnérables des siens est une société qui va mal. Aujourd’hui, il existe un cadre, des outils sont mis à disposition, et l’article 23 doit être connu par tous. Chacun peut agir, dénoncer et permettre à une enfant de retrouver sa vie, sa liberté et surtout son innocence volée.
Tazi Aicha