
J’aime beaucoup les animaux, mais pas tous les animaux. Chez nous, je dois reconnaître qu’on préfère les animaux utiles. On aime bien le chien mais à la condition qu’il garde bien la ferme, qu’il fasse peur aux visiteurs et qu’il reste dehors. En ville, pas de chien à la maison non plus, parce qu’il risque de souiller les tapis de prière, qu’il sent le chien (!) et que ça fait une bouche de plus à nourrir.
On est indifférent au chat parce qu’il ne montre jamais qu’il est content, un peu hautain à la limite, mais on le tolère tant qu’il fait la chasse aux souris, qu’il fait des petits aux chattes des voisins et qu’il ne ramène pas ses copains à la maison.
Bref, on a un peu plus de considération pour les plus utiles d’entre les animaux mais pas pour tous évidemment. Je crois quant à moi, que je n’hésiterais pas à envoyer en consultation de psychiatrie un muletier que je surprendrais en train de caresser son mulet au lieu de le cogner comme d’habitude avec une barre de fer.
Et règle générale chez nous, on ne caresse jamais les animaux ; on les ignore ou on les violente. Il suffit de voir les clients tâter les moutons ou les poules au marché d’Aït-Ourir avant d’envoyer les plus beaux spécimens à la… cuisine. Et je ne parle pas du cynisme des parents qui apprennent à leurs enfants à bichonner le mouton avant de le supplicier le jour de l’Aïd, et devant ses jeunes amis, qui plus est.
J’ai failli oublier de rappeler que les musulmans aiment beaucoup le pigeon, pour avoir sauvé le Prophète (ASWS) et son compagnon Abu Bakr en faisant son nid à l’entrée de la grotte où ils s’étaient réfugiés, mais aussi pour la pastilla (disons-le entre nous, nous sommes très accommodants pour ces petits arrangements avec Le Seigneur). Mais il y a ambigüité parce que dans le même temps ils détestent l’araignée alors qu’elle a sauvé la vie de nos deux fugitifs, elle aussi, en tissant sa toile au pied levé (!) pour occulter la grotte. Il y a comme une odeur d’injustice, non ?
En résumé, mis à part Sidna Souleymane et Abou Houreyra, on ne peut pas dire que nous sommes vraiment les amis des bêtes ; de manière générale bien entendu.
Reste à faire le lien avec cette découverte des chercheurs (des étrangers bien sûr) par laquelle on apprend que ce coronavirus appelé Covid 19 est transmis à l’homme par deux animaux : la chauve-souris et le dromadaire.
Pour ce qui concerne la chauve-souris, j’ai toujours eu une aversion totale pour cet animal parce qu’un oiseau chevelu et qui allaite, c’est forcément un agent double. On ne peut pas être une souris chauve alors qu’on est un oiseau poilu. Faut choisir ! Je ne suis donc pas du tout surpris par le fait qu’elle soit à l’origine de cette intrusion sournoise du virus, et tant pis si je dois contrarier les amis des chauves-souris et les vendeurs de grigris.
Pour ce qui concerne le dromadaire, c’est plus problématique. Il faut rappeler que c’est notre vaisseau du désert (nous n’en avons pas d’autres et nous ne savons pas toujours en fabriquer). Il faut rendre grâce à Dieu de nous avoir comblé de ce légendaire et emblématique compagnon de nos ancêtres et de nous avoir donné le pétrole aussi. Deux dons du ciel immenses : le vaisseau et le carburant, utiles séparément mais incompatibles ensemble.
Les Salafistes, rois du raccourci et du raisonnement binaire, diront que cela suffit à notre bonheur puisqu’il suffit de vendre le pétrole pour acheter des 4X4 et traverser le désert pour manger le dromadaire et boire son lait (très riche en calcium). Tout comme ils nous expliqueront que ce n’est quand même pas le fait du hasard si, des deux animaux porteurs du virus, seul le dromadaire refuse de le transmettre. S’il agit ainsi c’est pour mieux protéger les plus méritants parmi les habitants de cette planète, c’est-à-dire nous les musulmans. Et à ceux parmi nous qui protesteront que le virus est déjà parmi nous, ils vous répondront que c’est la faute à ces touristes mécréants qui devraient continuer à nous envoyer l’argent et apprendre à se contenter de nous regarder sur Internet au lieu d’introduire insidieusement ce maudit virus chez nous dans le but inavoué de semer la fitna.
Saad Khiari, cinéaste-auteur.