Crédit photos : Ahmed Boussarhane/LNT.
El Mostapha BAHRI, Professeur à HEC_Rabat
L’année 2022, durant laquelle le monde allait à peine entamer une certaine reprise après deux longues années de gestion de la Covid 19, a vu le phénomène de la flambée des prix générale faire surface. Cette flambée a touché toutes les économies du monde. Ce qui diffère d’un pays à l’autre, c’est son impact sur le pouvoir d’achat du citoyen et les mesures prises par les gouvernements pour contrecarrer ces hausses.
En effet, les taux d’inflation enregistrés ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Ainsi, ces taux ont dépassé les 7% en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), plus de 5% en France et au Maroc, etc. D’ailleurs, l’Organisation Internationale du Travail[1] (OIT) a publié un article au mois de mai 2022 révélant que le taux annuel d’inflation dans le monde s’est accéléré depuis janvier de cette année, une situation qui va encore durer selon cet organisme.
Devant cette situation, les gouvernements ont été obligés de réagir et d’adopter des programmes de première urgence pour lutter contre la flambée des prix des carburants et de certaines matières premières, et soutenir certains secteurs ayant connu un marasme à cause de la pandémie de la Covid 19, notamment le tourisme.
Pour le cas de notre pays, depuis l’augmentation du prix du carburant conséquente de la guerre en Ukraine, la hausse des prix est devenue générale, soit à travers la révision des prix à la hausse effectuée par les vendeurs (producteurs, importateurs ou distributeurs), soit à travers la technique de réduction de la quantité, voire de la qualité et qui reste difficilement détectable par la plupart des consommateurs. Et les augmentations apparemment ne s’arrêteront pas, le carburant en est la preuve.
Les difficultés que vivent la plupart des ménages marocains, n’est plus un secret et les inquiétudes sont de plus en plus ressenties et pourrait dégénérer si la situation persiste devant la portée limitée des mesures prises par le gouvernement.
Force est de constater que plusieurs décisions ont été prises dans le sens de réduire l’impact sur le pouvoir d’achat. Il s’agit du maintien de la subvention des prix du gaz butane et du prix d’une catégorie de pain (de la farine nationale de blé tendre), les mesures exceptionnelles pour atténuer l’effet de la hausse des prix et de la rareté des matières premières concernant les commandes publiques, le soutien exceptionnel des professionnels du transport public et routier, ainsi que la suspension des droits d’importation des oléagineux.
- Ces mesures sont-elles suffisantes ?
- L’inflation enregistrée ces derniers mois, a-t-elle comme principale source les prix à l’importation ?
- La révision des droits de douane, est-elle de nature à réduire l’impact des fluctuations à la hausse des prix sur les marchés mondiaux et du transport maritime ?
- L’administration marocaine a-t-elle mis en œuvre tous les mécanismes indispensables dans de telles situations ?
- La réponse à ces questions ne peut être relevée que sur le terrain.
D’abord, les aides octroyées aux transporteurs ne peuvent résoudre tous les problèmes ; d’autant plus qu’avec la persistance des hausses des prix du carburant la portée de ces aides a montré ses limites. D’ailleurs, les professionnels du transport qui réclamaient la révision du montant de ces aides, sont arrivés à obtenir le 28 juin 2022, une augmentation de 40% du montant octroyé. Et il est à craindre que les réclamations ne vont pas cesser, en raison de la tendance haussière des prix du carburant.
Par ailleurs, il a été constaté que certains secteurs réclament la généralisation de ces aides (c’est le cas des distributeurs des bouteilles de gaz butane, dont la marge de distribution est fixée et qui est érodée par les hausses des prix du carburant).
De même, les boulangeries soulèvent la question des hausses des coût de production et la nécessité de répercuter des augmentations sur les prix et ce, malgré les solutions adoptées (imposées) par certains boulangers (augmentations des prix de certaines catégories de pain au niveau de certaines villes, ou la réduction du poids, ou encore l’utilisation d’un produit chimique pour surdimensionner les formes des pains[2]).
A souligner que ce phénomène d’augmentation des prix qui a touché certains secteurs, a constitué une grande opportunité pour des vendeurs malintentionnés de revoir les prix à la hausse, dans un contexte caractérisé par la liberté des prix, sous prétexte que tout a augmenté.
Ensuite, la baisse des droits de douane (2,5%) à partir du 3 juin 2022, ayant touché les oléagineux, n’aura qu’un impact limité. En effet, et selon certains professionnels, la baisse serait de 10 centimes seulement par litre[3].
Enfin, la décision du Conseil de la concurrence d’entamer des investigations n’a été prise qu’au mois d’avril 2022 ; d’autant plus qu’il faut beaucoup de temps pour tirer des conclusions sur cette flambée des prix des intrants et des matières premières au niveau mondial.
Devant de telles situations, le gouvernement est appelé à explorer toutes les pistes, dont certaines sont présentées ci-après. L’objectif est d’atténuer l’impact de ces augmentations des prix et de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs, qui faiblit de jour en jour. Il s’agit des pistes suivantes :
A court terme :
- Il serait plus judicieux d’agir sur les taxes payées à l’importation, qui sont plus consistants que les droits de douane, telles la TVA et la TIC (mesures déjà prises ailleurs, cas de l’Espagne). Une telle décision doit être prise dans cette circonstance exceptionnelle et pour une certaine durée jusqu’à la normalisation de la situation ;
- Etudier l’opportunité de mettre en œuvre les dispositions des articles 3 et 4 de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, concernant les secteurs où les zones géographiques où la concurrence par les prix est limitée…(article 3) et …des mesures temporaires contre des hausses……..soient prises par l’administration, après consultation du Conseil de la concurrence (article 4) ;
- Renforcer les actions de contrôle, notamment concernant la publicité des prix et la facturation qui doivent être systématiques au niveau de tous les commerces et les prestations de services avec une campagne de sensibilisation des consommateurs sur le rôle qu’ils doivent jouer dans une économie dont les prix et les tarifs sont libres ;
- Etudier l’opportunité de fixer les marges des intervenants dans le circuit de distribution des carburants dans cette conjoncture (une marge qui leur permet de dégager des bénéfices et réaliser des investissements) ;
- Inviter le Conseil de la concurrence à accélérer « l’enquête sur la flambée des prix des intrants et matières premières au niveau mondial et ses conséquences sur le fonctionnement concurrentiel des marchés nationaux[4]» ;
- Reprendre le dossier de la raffinerie « la Samir » dont la reprise de son activité pourrait atténuer l’impact de la hausse des cours mondiaux des produits de pétrole raffinés et assurer une certaine sécurité de l’approvisionnement du pays ;
- Renforcer et généraliser le contrôle de tous les instruments de mesure par les services de la métrologie légale au niveau de tout le territoire nationale. Il s’agit des balances électroniques dont l’utilisation est généralisée, ainsi que les volucompteurs des stations de service.
A moyen terme
- Lancer une réflexion pour la réforme de la loi sur la protection du consommateur en introduisant pour le cas de certaines infractions (Publicité des prix et facturation), les sanctions administratives qui ont montré leur efficacité dans les anciennes lois. D’ailleurs, cette procédure est prévue par la loi sur la liberté des prix et de la concurrence (article 93), pour les biens, produits ou services dont le prix est réglementé. Ainsi une commission ad-hoc pourrait se charger de traiter ce genre d’infraction, au lieu du tribunal qui demande beaucoup de temps pour ce genre d’infractions. Une commission de recours devrait être également créée à cet effet ;
- Mettre en place des sessions de formation continue du corps des enquêteurs pour mieux renforcer leurs compétences par des outils théoriques et pratiques, et en faisant appel à des experts nationaux et étrangers.
A long terme
- Evaluer le système de libéralisation des prix des carburants et ses conséquences sur l’économie et étudier l’opportunité de sa révision ;
- Mettre en place des formations des enquêteurs pour professionnaliser ce métier à l’instar de l’expérience du Ministère de l’Intérieur des années quatre-vingts qui a formé des contrôleurs des prix et des contrôleurs-adjoints des prix. Il y a lieu également de renforcer la coordination entre les différentes structures qui interviennent dans le contrôle sur le terrain ;
- Entamer une réflexion pour la réforme des lois qui touchent le pouvoir d’achat du citoyen et sur la nécessité de mettre en place une structure qui regroupe tous les services d’enquêtes à l’instar de l’ONSSA, en charge du contrôle de la qualité des produits.
A souligner enfin, que la flambée des prix est certes générale et a touché tous les pays du monde, mais à des degrés différents. Les revenus ne sont pas les mêmes partout. La situation économique du Maroc, qui vient à peine d’alléger relativement ses charges financières du fardeau de la gestion de la pandémie Covid 19, a connu cette année, une dure sècheresse qui a touché non seulement la production agricole mais également l’approvisionnement de la population en eau potable. Une telle situation nécessite une mobilisation générale et de grands sacrifices, de la part de toutes les parties prenantes (gouvernement, parlement, entreprises privées et publiques et consommateurs) pour relever les grands défis auxquels fait face notre pays. Les défis de l’emploi, de la faiblesse du taux de croissance, des changements climatiques, de la modernisation de l’économie, de la rareté de certaines ressources, notamment énergétiques, de la migration, de la généralisation de la protection sociale, de la hausse des prix, de l’approvisionnement de la population en eau potable, de la gouvernance dans la gestion des affaires publiques et au sein des entreprises et de la compétitivité de notre économie, etc.
[1] Journal « www.témoignages.re » du 12 mai 2022.
[2] Sites « Secrets professionnels » سر مهني))
[3] Journal électronique « Hespress » du 13 juin 2022.
[4] Communiqué du Conseil de la concurrence du 12 avril 20222.