Mme Halima Razkaoui directrice nationale de l’organisation CARE Maroc.
CARE Maroc lance sa campagne de sensibilisation contre les barrières et stéréotypes à l’égard des femmes dans l’accès à l’entrepreneuriat, en particulier dans les zones rurales. Entretien avec Mme Halima Razkaoui directrice nationale de l’organisation CARE Maroc.
La Nouvelle Tribune : CARE Maroc lance sa campagne de sensibilisation contre les barrières et stéréotypes à l’égard des femmes dans l’accès à l’entrepreneuriat, en particulier dans les zones rurales. Parlez-nous de cette campagne, quelles sont vos attentes ?
Halima Razkaoui : C’est une campagne qui abordera la question de l’insertion socioéconomique des femmes rurales et les barrières qu’elles rencontrent sur cette question. Les barrières structurelles sociétales et d’accès aux services seront mises en lumière. La campagne adopte un regard positif tourné notamment vers la participation de l’homme afin de contribuer à lever ces barrières.
CARE Maroc a soutenu 2294 femmes à travers les programmes d’autonomisation des femmes, en 2020. Quelles sont à votre avis les bonnes pratiques pour faire progresser l’autonomisation économique des femmes ?
Dans cette perspective, une démarche pluri-acteur est holistique semble être la principale force pour faire progresser l’autonomisation économique des femmes.
Tout d’abord, le travail structurel sur l’équilibre des pouvoirs entre l’homme et la femme au sein des ménages est essentiel pour permettre un rééquilibre des tâches ménagères et dégager du temps pour la femme à consacrer à ses activités économiques et contrôler ses ressources. Ceci implique une évolution des rôles traduite dans nos projets en masculinité positive.
Ensuite, l’amélioration de l’offre est une bonne pratique au niveau de l’écosystème qui permettrait de transformer les services (publics et privés) en les rendant sensibles au genre, de façon à ce que les besoins spécifiques des femmes, notamment en zones rurales, soient pris en compte.
Enfin, il est important d’insérer des entreprises sociales et coopératives féminines issues des initiatives de ces-dites femmes dans les chaines de valeur de l’écosystème local, national et international. Des efforts doivent être faits pour professionnaliser les produits, les valoriser et les insérer dans le marché existant faisant une place forte à la coopération entreprises – entreprises sociales tournée vers le développement économique INCLUSIF (l’innovation sociale), permettant ainsi une meilleure chance de lutter contre la pauvreté en plaçant le citoyen-ne au centre de la réponse.
Quels sont selon vous les principaux freins et obstacles au développement de l’entrepreneuriat féminin au Maroc ?
Ils ont été abordés sur la question précédente en mettant en perspective les solutions :
Principalement,
– Les stéréotypes femmes-hommes existant dans les foyers et société entravant la confiance en soi pour les femmes entrepreneures, l’autonomie et prise de décision, l’accès aux marchés pour la commercialisation…
– Le manque de programmes permettant de soutenir les femmes désireuses à monter leur projet : celles n’ayant pas d’expérience pas ou peu alphabétisées, ont peu de chance de bénéficier de microcrédits ni d’encadrement suffisamment complet (soft et technique pour correspondre aux besoins des marchés ciblés en prenant en compte l’innovation).
– Le manque de services sensibles au genre (privés et publics) entravant la jouissance du service par les femmes, surtout rurales. Par exemple, des guichets spécifiques pour les femmes venant de loin et devant prendre des transports en commun longs durant la nuit si elles sont servies tardivement.
– La difficulté de faire croitre leurs entreprises sociales par manque de visibilité, de capacité de négociation et de partenariat avec les acteurs de l’écosystème.
Quel rôle pourraient avoir les associations locales et la société civile pour faciliter l’accès des femmes des zones rurales à l’entreprenariat ?
CARE Maroc, reconnue d’utilité publique depuis 2018, a testé avec succès une méthode appelée AVEC (association villageoise d’épargne et de crédit) permettant à des femmes pas ou peu alphabétisées de s’organiser en réseau, se former et épargner leur propre économie afin de définir un projet social économique et le développer. Il s’agit souvent de coopératives ou entreprises sociales innovantes avec un impact direct sur leurs propres revenus renforcé par un impact social sur le développement de leur communauté. A titre d’exemple, Fatima a décidé d’ouvrir une unité préscolaire dans son douar, géré en entreprise sociale innovante mais également bénéficiant au développement de son territoire, dont les enfants de moins de 6 ans, n’allaient jusque-là, pas à l’école et réduisant leurs chances de réussites. Il y a également Khadija dans un douar de Hajb qui a ouvert une petite épicerie, source de revenus stables et dorénavant faisant le bonheur des habitants de son village qui ne doivent plus faire des kilomètres pour les achats du quotidien.
Aujourd’hui, CARE Maroc a pu soutenir près de 200 AVEC faisant participer plus de 14 000 femmes et membres des foyers. L’accès à d’autres financements nous permettra de démultiplier l’impact.
Quels seraient les principaux changements réglementaires et législatifs qui pourraient venir du Nouveau Modèle de Développement et favoriser l’émancipation et l’entrepreneuriat féminins ?
La réactualisation de la loi cadre sur l’entreprenariat social, d’ailleurs actuellement en cours, serait un instrument positif majeur en faveur de la pérennisation, du déploiement de l’entreprenariat féminin inclusif et de l’accomplissement des objectifs de développement durable (ODD).
Entretien réalisé par Asmaa Loudni