Directeur du groupe scolaire Hajrat Nhal dans la région de Tanger, Ahmed Salmi Mrabet a pu créer un modèle inédit d’éducation, accessible à tous. Son école, Hajrat Nhal, propose une pédagogie écologique, avec des horaires adaptés pour les élèves, des cours d’alphabétisation pour les villageois, et des formations continues pour les enseignants… La Nouvelle Tribune est allée à sa rencontre pour en savoir plus.
Comment vous est venu l’idée de fonder une école « écolo » ?
J’ai toujours travaillé sur des projets d’établissements basés sur cette thématique. Le projet Hajrat Nhal a une spécificité, c’est que l’école se trouve au cœur battant d’un site d’intérêt biologique et écologique qui est Tahadarte. De ce fait, il a fallu adapter le comportement des enfants et leur éducation à la région où ils se trouvent et leur faire prendre conscience de ce qu’ils ont comme richesse.
Tahadarte est une zone protégée, une station d’oiseaux migrateurs qui vont vers l’Europe et d’autres qui vont de l’Europe vers l’Afrique ; l’enfant baigne dans tout cela, il doit donc se comporter avec précaution avec son environnement.
On a constaté une dégradation de l’environnement due à l’ignorance des habitants. Il fallait donc casser cette barrière de l’ignorance et faire de ces enfants les propriétaires de leur territoire et de leur richesse.
En 1995, j’avais réalisé le premier projet d’établissement sur la pépinière de l’école. Le thème était : à partir d’une graine, comment faire pousser un arbre et comment le protéger ? Une fois les graines germées, on a planté ce dont on avait besoin et le reste, on l’a offert à d’autres établissements qui n’ont pas d’espaces verts. L’idée d’échange et du transfert du savoir est donc installée.
Après, on a élargi un peu les choses, et travaillé sur un projet de plantes médicinales et aromatiques. Nous avons pu réussir ce projet et avons même écrit un glossaire qui date de 2005 sur les plantes médicinales et aromatiques de la région.
Cette expérience nous a permis de recenser 42 plantes grâce à la collaboration des parents d’élèves qui ont mis à notre disposition toutes les plantes qu’ils conservaient. A partir de là, on a pu réaliser ce glossaire qui sert aujourd’hui au village, notamment dans l’utilisation de ces plantes, qui étaient utilisées avec excès et avaient parfois des effets secondaires.
Comment avez-réussi à avoir le label «éco-école»?
Le jour où le programme éco-école a été créé par la Fondation Mohamed V pour la protection de l’environnement, nous nous sommes présentés avec nos projets. Nous avions travaillé sur le recyclage des déchets solides. Après le passage de la commission, celle-ci a remarqué que nous étions très avancés dans le domaine et nous a donc décerné le label vert international «éco-école».
Cette labélisation nous oblige à former les autres. Nous avons donc contribué à former les écoles de la région qui font de l’éducation à l’environnement. Grâce à cette collaboration, 6 établissements ont aujourd’hui leur pavillon vert. C’est ainsi que nous réussissons à transmettre et partager notre expérience. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup sollicités pour l’organisation d’ateliers au profit d’élèves aussi bien du primaire que de lycéens et même au niveau universitaire. Les thèmes de recherche pour certains étudiants en master sont basés sur une éducation à l’environnement. Il y a déjà deux recherches réalisées grâce à l’école Hajrat Nhal et avec notre contribution.
Avez-vous rencontré des difficultés pour la création de votre projet?
Compte tenu des avantages offerts par la région, nous n’avons pas rencontré de difficultés matérielles ou financières. La région nous offre déjà tout. Je pense que nous n’avons pas besoin de moyens financiers.
Si je n’ai pas les moyens de faire diffuser notre travail sur une revue, je fais en sorte que les revues parlent de nous gratuitement. Par exemple, nous avons invité l’école espagnole de Tanger à venir chez nous. Nous avons travaillé sur des ateliers ensemble et ils nous ont réservé deux pages pour afficher nos travaux. Aujourd’hui, nous avons déjà été publié 5 fois sur la revue de l’école, à travers laquelle les gens commencent à plus nous connaitre.
Comment les élèves et les parents ont-ils réagi à ce projet?
Je pense qu’ils sont très satisfaits. Compte tenu de la relation de proximité que j’entretiens avec les habitants du village, je suis amené à me rendre chez eux parfois pour différentes occasions. J’ai pu constater que l’école était transférée chez l’habitant. Tout ce que nous réalisons à l’école, les aménagements environnementaux, etc., sont disposés de la même manière dans les maisons des élèves. L’enfant prend l’initiative de reproduire ce qu’il a fait et appris à l’école, cela veut dire qu’il est satisfait, heureux, qu’il aime ce qu’il fait et sa famille aussi.
Vos élèves sont satisfaits de leur école et heureux. Qu’est-ce qu’il manque à votre avis à l’élève pour qu’il soit heureux dans son milieu scolaire?
Un enfant aimé et dont le travail est apprécié, quelle que soit sa nature, est un enfant heureux. Il faut qu’il se sente protégé à l’école. Il faut l’accepter avec ses défauts et ses erreurs. Il faut qu’il ne se sente pas soumis à une loi autoritaire. Aujourd’hui, l’ouverture des enfants sur les réseaux sociaux et le monde virtuel fait en sorte qu’ils n’acceptent pas l’oppression et l’autorité. Ils veulent être accompagnés par les adultes et non pas être battus et forcés à travailler. Un enfant qui travaille sous la pression ne garde pas ce qu’il a acquis. Il faut qu’il aime ce qu’il fait. Avant de savoir il faut vouloir, et c’est valable aussi bien pour l’enseignant que pour l’enfant. Il y a aussi le pouvoir faire. Vouloir et pouvoir faire sont deux choses essentielles pour faire aimer le travail aussi bien à l’enfant qu’à l’enseignant. On n’incite pas l’enseignant à travailler, il faut qu’il aime cela et qu’il veuille le faire. Je passais un jour devant une classe et j’ai vu que l’enseignant criait sur les élèves. Je lui ai demandé de sortir, lui ai préparé un thé et repris la classe jusqu’à ce qu’il se soit calmé. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne s’agit pas de faire des reproches aux gens, mais il s’agit aussi de les comprendre, les aider, les orienter pour qu’ils puissent bien travailler.
Propos recueillis par Asmaa Loudni