Guerre Russie-Europe : « Quelle idée saugrenue ?! »
Une grille de mots croisés générée à partir de cet articles.
Il y a une idée qui revient avec insistance dans le débat public européen, Vladimir Poutine serait sur le point de déclencher une guerre totale contre l’Europe, comme un remake de la Seconde Guerre mondiale. D’ailleurs, ce n’est pas simplement une idée puisque de la bouche même du Président russe, « la Russie n’en a pas l’intention mais est prête ».
Sauf que cette guerre est séduisante pour ceux qui veulent mobiliser l’opinion par la peur, mais elle ne repose pas sur une analyse sérieuse des capacités réelles de la Russie. Le régime russe, même avec Poutine a sa tête, n’a pas réussi à faire plier Kiev, malgré une offensive censée durer trois jours, et n’a ni les moyens humains, ni les moyens industriels, ni les moyens logistiques de s’élancer demain matin vers Berlin, Varsovie ou Paris.
Pour autant, cela ne signifie pas que la Russie ne représente pas bel et bien une menace pour la paix européenne. Simplement, pas la menace fantasmatique qui s’impose aujourd’hui dans les discours alarmistes.
Ce que Poutine veut avant tout depuis le début de son offensive contre l’Ukraine, c’est empêcher qu’un État limitrophe ne tombe entièrement dans l’escarcelle occidentale. Une Ukraine membre de l’OTAN porterait l’Alliance jusqu’aux portes de la Russie, tandis qu’une Ukraine membre de l’Union européenne réduirait dramatiquement la dépendance européenne au gaz et au pétrole russes. Pour Moscou, c’est donc une question existentielle, presque de principe, perdre Kiev, c’est perdre un glacis stratégique, perdre un débouché vers les mers chaudes, perdre un levier économique. Et cela, Moscou ne peut l’accepter.
La guerre russe, depuis le départ, a donc un objectif clair, celui de maintenir l’Ukraine dans une zone grise. Pas « conquérir l’Europe ».
Ceux qui affirment que Poutine s’apprête à fondre sur le continent projettent une lecture du XXe siècle sur un monde qui n’a plus grand-chose à voir avec 1939. Staline pouvait sacrifier cinquante millions de Soviétiques, Poutine lui ne le peut pas. Il a déjà perdu plus d’un million d’hommes dans sa guerre contre l’Ukraine et son économie est sous perfusion. Son appareil militaire se bat à flux tendu et la valse des généraux depuis le début du conflit avec l’Ukraine en est une preuve patente. Et surtout, il connaît parfaitement les lignes rouges face à la France, au Royaume-Uni et derrière aux États-Unis, qui disposent de l’arme nucléaire d’une part et d’autre part l’OTAN qui garantit qu’aucune aventure terrestre d’envergure n’est envisageable.
L’Europe ne risque donc pas une guerre frontale avec la Russie. Mais en réalité, elle subit déjà sa guerre, sous différentes formes. C’est là que réside l’aveuglement européen, ou du moins d’une partie de ses membres et de ses opinions publiques, qui semblent comme Tartuffe, vouloir que l’on leur cache cette réalité qu’on ne saurait voir. On continue à penser que la guerre, c’est des divisions blindées traversant le Danemark ou la Pologne. Sauf que Poutine mène une autre guerre, celle qui ne dit pas son nom, qui exploite les failles des démocraties et le train-train confortable des sociétés occidentales.
Il suffit d’observer ce qui s’est passé il y a deux semaines, des drones pilotés par un acteur étatique ont bloqué les aéroports de Bruxelles et de Copenhague. Il ne faut donc pas s’y méprendre, ce ne sont pas des gestes symboliques mais des actions militaires concrètes, menées sur le territoire européen, contre des infrastructures critiques, et visant des nœuds civils aussi bien que militaires.

Selon l’analyse de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), l’Europe subit depuis six ans plus d’une centaine d’opérations offensives attribuables à la Russie. Sabotages, drones, espionnage, vandalisme, GPS jamming, attaques contre infrastructures d’énergie, de transport, de communication, tentatives d’assassinat, désinformation, opérations terroristes. La carte publiée par l’IISS, couvrant la période de 2018 à juin 2025, montre une Europe constellée de points d’impact. Ce n’est pas un climat pré-guerre, c’est une guerre active, diffuse et permanente à coups de drones, de hackers, de services clandestins, de proxys, de mercenaires, de ruptures d’approvisionnement, d’intoxication informationnelle et d’ingérences politiques.
Et si les Européens n’ont pas réagi plus tôt, c’est que les précédents étaient lointains. Quand Moscou brutalisait les républiques caucasiennes ou muselait son voisinage d’Asie centrale, personne en Europe occidentale n’a jugé nécessaire de s’émouvoir. Résultat aujourd’hui, ce laissez-faire se paie. Car la Russie, isolée, affaiblie, voit son flanc oriental guetté par une Chine qui attend son heure et profitera tôt ou tard de l’affaissement russe. Pour se maintenir, le Kremlin doit projeter sa puissance ailleurs, et l’Europe est son terrain le plus vulnérable.
La vraie menace n’est donc pas celle d’un assaut frontal, mais celle d’une déstabilisation progressive et méthodique. Une guerre de mille entailles, destinée à éroder les institutions, fragiliser les opinions publiques, provoquer le chaos, ralentir les prises de décision, faire douter les Européens de leurs alliances, et surtout affaiblir le soutien à l’Ukraine. Car tout l’enjeu pour Poutine est là, en réussissant à diviser les Occidentaux et à épuiser leur patience en instillant la peur.
Et cette guerre-là, si toute l’Europe refuse de la voir avec les mêmes yeux, elle la perdra bien avant qu’un seul tank ne traverse une frontière.
Zouhair Yata
