Quitter un job valorisant et bien rémunéré, dans un secteur où l’on évolue depuis de nombreuses années, voilà le choix radical fait par Ghita Kittane qui, sans filet, mais avec assurance (sic !), a abandonné le salariat pour vivre sa passion, celle des bijoux. Une passion qui l’a amenée à découvrir les merveilles de la joaillerie qui est sortie des normes et des marques connues de tous pour celle de créateurs imaginatifs et originaux. Car pour Ghita Kittane, le seul bijou qui compte vraiment est celui qui vous différencie des autres…
La Nouvelle Tribune : Mme Ghita Kittane, quelles ont été les principales étapes de votre parcours de vie qui vous ont amenée à ce que vous êtes aujourd’hui ?
Mme Ghita Kittane : J’ai effectué mes études supérieures à la Sorbonne, à Paris, en Gestion, spécialité Marketing.
Après un stage étudiant à l’ex-BCM, à mon retour au pays, j’ai été contactée par une compagnie d’assurance pour un poste en marketing.
Je ne connaissais rien de ce métier. Le secteur se modernisait et s’ouvrait sur le marché du Particulier, j’avais alors pour mission d’accompagner cette nouvelle orientation à travers une stratégie de communication et marketing.
A partir de là, j’ai passé plus de dix ans années dans le secteur des assurances où j’ai eu l’opportunité de contribuer au développement de la bancassurance qui qui en était à ses premiers balbutiements en parallèle de mes fonctions de marketing et communication.
J’ai commencé par la Compagnie Africaine d’Assurance, du groupe ONA où j’ai passé plusieurs années pour ensuite rejoindre RMA du Groupe FinanceCom où j’ai mis en place la direction de la communication.
J’ai eu la chance de participer à la grande opération de fusion entre RMA et Al Watanya, un projet très enrichissant, sur tous les plans et plus spécialement sur les aspects humains.
Vous aviez beaucoup d’intérêt et d’engagement dans votre travail. Pourquoi avez-vous choisi de changer?
Oui, vraiment et je bénéficiais de la confiance de ma hiérarchie, ce qui me stimulait car je devais être en permanence à la hauteur pour la mériter.
Toutefois, en 2006, mes 10 années d’assurance bouclées, j’ai voulu changer de secteur d’activité.
J’ai alors intégré Wana qui démarrait à l’époque en tant que troisième opérateur de télécommunications au Maroc.
C’était quasiment une « start-up » et tout était à mettre en place. J’ai découvert un autre métier, une autre façon de fonctionner.
Après cette expérience, j’ai choisi de m’orienter vers le conseil en marketing et communication, en me mettant à mon propre compte, ce qui m’arrangeais parce qu’à l’époque, mes enfants étaient en jeune âge.
J’ai sauté le pas en travaillant en tant que free-lance.
Ce qui m’a le plus plu dans cette étape, c’est le fait d’avoir eu des missions dans différents secteurs d’activité et à traiter de différentes problématiques et de rencontrer des décideurs de profils différents.
Puis, pour élargir mon offre de prestations, j’ai commencé à me former en animation d’équipes en montant des conférences à forte valeur ajoutée pour des cadres dirigeants d’entreprises.
On a ainsi conçu des cycles de conférences en géopolitique, en géostratégie, mais aussi sur des thèmes relatifs au management, la philosophie ou encore l’Afrique, le tout pour offrir une ouverture intellectuelle aux cadres supérieurs, les sortir de leur quotidien professionnel.
D’ailleurs, nous avions signé une convention avec Sciences Po pour recourir à leurs conférenciers.
Et le destin a fait que 5 ans après, en allant présenter à Moulay Hafid Elalamy un cycle de conférences, j’ai accepté son offre et suis revenue au salariat en reprenant mes responsabilités en communication au niveau de sa holding, avec, en sus, la responsabilité de l’animation et la gestion des cadres dirigeants du Groupe.
Après cinq années de travail soutenu, pendant lesquelles j’ai pu contribuer au développement du groupe, je me suis de nouveau posée des questions sur l’orientation que je voulais donner à ma carrière pour les prochaines années.
Quelles étaient ces questions ?
Je me demandais essentiellement si je devrais continuer à travailler à ce rythme, même si le travail en tant que valeur m’a été inculqué lors de mon éducation de base et que la charge de travail ne me fait pas peur.
Je ressentais le besoin de faire quelque chose qui me fasse vraiment « vibrer » !
Et, bizarrement, deux ans auparavant, j’avais pris connaissance d’une annonce sur une école de joaillerie de la célèbre maison Van Cleef.
Il s’agissait de modules de formation « à la carte », sans valeur diplômante, mais ouverts à tous ceux que ce métier intéressait.
J’ai donc suivi plusieurs modules, car inconsciemment sans doute, je voulais conforter ma passion pour le bijou, sachant que j’ai toujours aimé les bijoux et j’ai même dessiné beaucoup de mes bijoux.
Alors même que je n’avais jamais pensé pouvoir me réaliser entièrement dans ce domaine, l’idée de me tourner vers la joaillerie s’est imposée petit à petit quand j’ai commencé à penser décrocher de nouveau du salariat.
J’ai voulu un concept qui me soit propre, sans ressemblance avec ce qui se faisait ailleurs.
D’où la création de la marque « Neyleen » à partir des prénoms de mes deux enfants, Neyla et Inès.
A ce stade, bien sûr, il m’a fallu démissionner.
Vous vous êtes lancée dans le vide ! Comment vous êtes-vous organisée ?
C’est en janvier 2018 que je me suis réellement lancée dans ce projet après avoir profondément réfléchi au cours des 6 mois précédents.
J’ai commencé par aller démarcher les bijoutiers créateurs et j’ai opté bien entendu pour un local, (une ancienne bijouterie), dont l’emplacement se devait être stratégique, à côté de tous les grands joailliers de la place.
Mon concept est de proposer à la clientèle marocaine des marques internationales qui ne sont pas connues dans notre pays.
Ce qui représente un vrai challenge à plus d’un titre car il fallait d’abord les choisir, connaître leur parcours, relever leur originalité et faire de sorte qu’ils soient différents de par la variété de l’offre. Et enfin, les faire connaître au Maroc…
Je voulais des créateurs reconnus à l’international, audacieux dans leur créativité et que leurs bijoux soient originaux, distinctifs et surtout facilement portables.
Il fallait aussi que les matériaux utilisés soient de qualité et éthiques quant aux pierres utilisées, sans oublier la technicité de leurs pièces.
Pour faire ces choix, j’ai sillonné le monde et me suis appuyée sur les réseaux sociaux.
En définitive, j’ai fait une sélection d’une trentaine de marques de différents styles de bijoux et catégories pour une palette d’offres intéressantes.
Pouvez-vous nous présenter cette palette.
De la trentaine sélectionnée, j’ai aujourd’hui un partenariat avec une dizaine de très grands créateurs joailliers qui étaient intéressés par mon projet, et ont bien voulu me faire confiance.
Parmi ces derniers, il y a Selim Mouzannar, gemmologue de formation.
Sa famille, libanaise, a toujours été dans le métier de la joaillerie et fournissait l’Empire ottoman depuis plusieurs siècles.
Il a lancé sa gamme, il y a quelques années, mais il est dans une phase de développement incroyable.
Il est venu au Maroc pour une exposition, ses bijoux plaisent beaucoup parce qu’ils sont d’inspiration orientale, revisités par de nouvelles pierres, entre autres.
Du Liban toujours, on a une autre marque qui s’appelle Yeprem, c’est la famille Chakardamian.
Ce sont des Arméniens basés au Liban qui travaillent le diamant depuis plus de 60 ans et qui sont très connus pour leur travail de sertissage. Leurs bijoux sont portés par les stars occidentales et orientales.
Puis j’ai dans ma sélection, deux marques british. L’un est Stephen Webster, un designer reconnu, présent à travers le monde avec plus de 150 points de vente et qui est dans une approche très rock.
C’est un expert en la matière et je suis très fière de sa confiance à mon endroit.
L’autre est Tomasz Donocik, d’origine polonaise.
Basé à Londres, il a été primé par la Chambre des joailliers de cette ville. C’est un créateur très talentueux qui s’inspire beaucoup de l’Art déco en des pièces très géométriques.
J’ai également convaincu la créatrice française de la marque « La Brune et la Blonde », Véronique Tournet. C’est une jeune marque qui a une dizaine d’années d’existence et qui travaille le diamant non serti.
Ce sont des bijoux très fins, dits bijoux de peau.
A tous ces créateurs confirmés, j’ai vendu, outre mon enthousiasme et ma détermination, le Maroc, son développement et ouverture.
Ce choix d’importer des créateurs bijoutiers au Maroc est–il définitif ? Ne comptez vous pas créer vos propres bijoux ?
En effet, dans un premier temps, j’ai voulu m’appuyer sur ces choix, mais mon rêve reste celui de créer mes propres bijoux.
Et si je ne le faisais pas, je connaîtrais une autre frustration, à l’image de celle que j’avais ressentie toute jeune quand mon père s’était opposé à ma volonté de faire une carrière dans la danse.
Cette fois-ci, je compte bien pleinement développer mon sens artistique et c’est pourquoi, je n’aurais de cesse de créer mes propres bijoux.
Si je suis sortie de ma zone de confort, c’est pour m’épanouir, réaliser ma passion et, surtout, ne jamais tomber dans la norme.
Je veux contribuer à faire évoluer le goût des bijoux et accompagner les jeunes dans le dépassement des bijoux traditionnels et des codes classiques.
Pour moi, le bijou doit être en adéquation avec la personnalité de chaque femme et contribuer à la mettre en valeur et non pas pour faire comme tout le monde !