Le cofondateur de "Who targets me?" ("De qui suis-je la cible") Louis Knight-Webb montre des données sur les élections de 2017 sur son ordinateur portable dans un café de Londres, le 31 mai 2017 © AFP Justin TALLIS
Dans un incubateur londonien, un entrepreneur de 19 ans tente de faire la lumière sur l’usage dans la campagne des élections législatives britanniques de publicités ciblées sur Facebook, inquiet qu’elles puissent dénaturer la démocratie.
Des milliers de personnes ont téléchargé le module informatique créé par Louis Knight-Webb. Il surveille les publicités ciblées qui s’affichent en naviguant sur internet, élaborées à partir de données collectées en ligne et qui visent un public spécifique, jusqu’à l’échelon individuel.
« C’est un problème qui parle à beaucoup de gens… Ils cherchent à comprendre comment ils sont manipulés », explique le jeune Britannique à l’AFP depuis ses bureaux situés près du Parlement.
Louis Knight-Webb a créé son logiciel dans les jours qui ont suivi la convocation de législatives anticipées par la Première ministre Theresa May. Il a ainsi créé un groupe de recherche, intitulé « De qui suis-je la cible ? » (« Who targets me? »), avec Sam Jeffers, un conseiller d’affaires.
Plus de 6.500 personnes ont téléchargé le petit logiciel, dans 630 des 650 circonscriptions du Royaume-Uni.
« A ma connaissance, c’est la plus vaste étude de ce type jamais menée », indique Louis Knight-Webb, qui souhaite désormais étendre le projet en Allemagne pour les élections de septembre, au Brésil, en République Tchèque et en Italie.
Il espère que le projet aidera les électeurs à être « critiques par rapport aux publicités qu’ils reçoivent, qu’ils sortent de leur bulle et comprennent les différences avec ce que voit le reste du pays ».
– ‘Facebook change la donne’ –
Le micro-ciblage, le fait de viser des groupes définis d’internautes avec des publicités spécifiques, fait l’objet d’une attention accrue depuis qu’il a été utilisé dans les campagnes, victorieuses, du Brexit ou de Donald Trump.
Comme le montrent les rapports sur les dépenses électorales publiés au Royaume-Uni, la campagne pour la sortie de l’UE a consacré 40% de son budget, soit 2,7 millions de livres (3,10 millions d’euros), aux services du groupe canadien AggregateIQ, spécialiste du marketing en ligne.
Leave.eu, un site internet qui a aussi fait campagne pour le Brexit, a lui été obligé de démentir avoir signé des contrats avec Cambridge Analytica, une entreprise qui s’était impliquée dans la campagne de Donald Trump, affirmant que les contacts pris étaient restés informels.
Pour Gerry Gunster, qui avait participé au développement du site Leave.eu, Facebook peut vraiment « changer la donne » dans une campagne.
« Vous pouvez demander à Facebook ‘J’aimerais cibler les pêcheurs dans telle région du Royaume-Uni’ et leur dire ‘Si vous votez en faveur du Brexit, alors vous pourrez modifier la façon dont sont établies les règles en vigueur dans l’industrie de la pêche' », a-t-il expliqué sur la BBC.
« Maintenant, vous pouvez faire exactement la même chose pour les gens qui vivent dans les Midlands (centre de l’Angleterre, ndlr), et qui vivotent après la fermeture d’une usine. Je peux leur envoyer un message spécifique sur Facebook, qu’ils seront les seuls à voir », a-t-il détaillé.
– Dépenses de campagne –
Les autorités chargées de contrôler les campagnes électorales au Royaume-Uni, en retard sur les avancées technologiques, peuvent difficilement contrôler ces publicités ciblées.
« Elles ne peuvent pas voir ce que nous voyons », affirme Louis Knight-Webb.
Mais elles tentent d’accélérer le pas. Le commissariat à l’Information, l’organisme public chargé de la protection des données personnelles, a lancé le mois dernier une enquête sur le recours à l’analyse de données à des fins politiques.
« Ces outils ont un impact potentiel important sur la vie privée des individus », a déclaré le commissariat dans un communiqué, « il est essentiel qu’il y ait plus de transparence quant au recours à ces techniques ».
Le groupe Facebook a refusé de commenter ses stratégies de ventes d’espaces publicitaires dans la campagne électorale britannique, mais a confirmé avoir embauché d’anciens responsables des partis travailliste et conservateur.
Une grande partie des données collectées dans le cadre du projet « De qui suis-je la cible ? » ne seront pleinement analysées qu’après l’élection, dans un travail réalisé en partenariat avec la London School of Economics et le Bureau of Investigative Journalism.
Mais déjà, Louis Knight-Webb explique qu’une tendance se dessine: le recours à la publicité sur Facebook a connu une progression phénoménale depuis les dernières élections en 2015.
Dans cette campagne, le Parti conservateur a dépensé 1,2 million de livres (1,4 million d’euros) en publicité sur Facebook, contre seulement 200.000 livres pour tous ses concurrents réunis.
« Tous les partis ont réalisé le potentiel du numérique, et investissent davantage dans ses outils cette année », conclut-il.
LNT avec AFP