Un portrait du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, Nobel de la paix, le 11 octobre 2019 à Oslo, en Norvège © NTB Scanpix/AFP Stian Lysberg Solum
Confronté à des vents contraires dans son pays, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed reçoit ce mardi à Oslo le Nobel de la paix lors de festivités réduites au strict minimum et purgées de toute conférence de presse, au grand dam de ses hôtes.
Plus jeune dirigeant d’Afrique, le leader de 43 ans va se voir formellement remettre le prix lors d’une cérémonie qui commence à 13H00 (12H00 GMT) à l’Hôtel de Ville, en présence notamment de la famille royale norvégienne.
La prestigieuse récompense lui avait été attribuée le 11 octobre pour saluer tout particulièrement ses efforts de paix entre son pays et l’Erythrée voisine.
Le 9 juillet 2018, à l’issue d’une rencontre historique à Asmara, la capitale érythréenne, Abiy Ahmed avait, trois mois seulement après sa prise de fonction, mis fin avec le président érythréen Issaias Afeworki à 20 ans d’état de guerre.
Réouverture d’ambassades et de postes-frontières, rétablissement des liaisons aériennes, multiplication des rencontres: le rapprochement entre les deux ex-frères ennemis avait été mené tambour battant.
Au-delà de cette réconciliation spectaculaire, M. Abiy a, sur le plan régional, joué un important rôle de médiation dans la crise politique soudanaise et essayé de revitaliser le fragile accord de paix sud-soudanais.
Le début de son mandat a aussi été marqué par un élan de démocratisation sur le front intérieur. Rompant avec l’autoritarisme de ses prédécesseurs, il a levé l’état d’urgence, libéré des milliers de prisonniers politiques, créé une commission de réconciliation nationale et levé l’interdiction pesant sur certains partis.
Si son côté réformateur et visionnaire a séduit au-delà des frontières, le jeune dirigeant se heurte aujourd’hui à de graves difficultés. Sa promesse d’organiser en mai prochain les premières élections « libres, justes et démocratiques » depuis 2005 est compromise par un regain de violences intercommunautaires.
Des manifestations anti-Abiy déclenchées moins de deux semaines après l’annonce du Nobel ont débouché sur des affrontements ethniques et sur la mort de 86 personnes.
« La situation en Ethiopie a (…) ses défis mais sans défi, on ne peut rien faire de neuf », a déclaré M. Abiy à la chaîne NRK lundi soir, peu après son arrivée à Oslo. « Nous considérons ces défis comme une grande opportunité de faire quelque chose de positif ».
– « Hautement problématique » –
A l’approche des élections, le dirigeant éthiopien pourrait être contraint, selon les experts, d’accorder moins d’attention au processus de paix avec l’Erythrée, qui piétine. Les postes-frontières entre les deux pays sont aujourd’hui de nouveau fermés, et la question du tracé des frontières reste en suspens.
Avec ces difficultés en toile de fond, M. Abiy a considérablement écourté le programme Nobel: il ne reste à Oslo qu’un jour et demi.
Surtout, l’ancien officier, ex-chef d’un service d’espionnage, a sabré toutes les occasions où les médias auraient pu lui poser des questions.
Exit la conférence de presse traditionnelle à la veille de la cérémonie, ainsi que le point de presse après sa rencontre prévue mercredi avec son homologue norvégienne, remplacé par une simple déclaration. A la trappe aussi la séance de questions des enfants sous l’égide de Save The Children.
« Hautement problématique », a déploré le directeur de l’Institut Nobel, Olav Njølstad, interrogé par l’AFP. « Aux yeux du comité (Nobel), une presse libre et la liberté d’expression sont dans une démocratie des conditions essentielles pour une paix durable, et il est donc étrange qu’un lauréat du prix de la paix ne veuille pas parler avec la presse ».
Mais « c’est lié à la situation dans son pays et à sa personnalité: il est religieux (pentecôtiste, ndlr) et ne veut pas se mettre en avant pour ce qu’il a fait », a-t-il ajouté.
Les services de M. Abiy ont rétorqué qu’il était « assez difficile » pour un dirigeant en exercice de consacrer plusieurs jours à un tel événement, en particulier quand « les problèmes intérieurs sont urgents et requièrent l’attention ».
« Sur le plan personnel, l’humilité du Premier ministre enracinée dans notre culture n’est guère compatible avec la nature très publique du prix Nobel », a expliqué son attachée de presse, Billene Seyoum.
Le Nobel consiste en un diplôme, une médaille d’or et un chèque de 9 millions de couronnes suédoises (environ 850.000 euros). Les autres prix (littérature, physique, chimie, médecine et économie) seront aussi remis dans la journée à Stockholm.
LNT avec Afp