Forum sur la Stabilité Financière Islamique : appel à des réformes structurelles pour une finance plus résiliente
Organisé en marge des Assemblées Annuelles de l’IFSB, le 23ᵉ Forum sur la Stabilité Financière Islamique s’est tenu jeudi 3 juillet à Rabat sous le thème : « Surmonter les difficultés : remédier aux vulnérabilités structurelles et renforcer la résilience face aux chocs futurs ». Accueilli par Bank Al-Maghrib, ce rendez-vous de haut niveau a réuni gouverneurs de banques centrales, autorités de supervision, experts internationaux et professionnels du secteur afin de dresser un état des lieux des fragilités du système financier islamique et d’esquisser les voies d’une réforme durable.
Inauguré par le Wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, le Secrétaire général de l’IFSB, Dr Ghiath Shabsigh, et le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Dr Ahmed Toufiq, le Forum a mis l’accent sur la nécessité de renforcer les fondations réglementaires et opérationnelles d’un secteur en croissance, mais encore confronté à des obstacles structurels.
Une vision marocaine fondée sur l’inclusion et la prudence
Dans son allocution d’ouverture, M. Jouahri a rappelé que la finance islamique, au-delà de son cadre religieux, constitue une réponse crédible aux exigences contemporaines en matière d’éthique, de résilience et d’inclusion. « La finance islamique n’est pas un simple recueil de règles sacrées, mais un cadre vivant, en constante évolution, qui repose sur une conscience éthique et des principes de durabilité », a-t-il affirmé, insistant sur l’importance de l’innovation et de la supervision dans un contexte de transformations rapides.
Il a souligné le rôle de Bank Al-Maghrib depuis 2015 dans la mise en place d’un cadre adapté au développement de la finance participative au Maroc, saluant au passage la contribution du Conseil Supérieur des Oulémas à l’encadrement des produits conformes à la Charia. Malgré une part encore limitée dans le total des actifs bancaires, le secteur connaît une croissance soutenue et pourrait, selon lui, jouer un rôle structurant dans la stabilité financière à moyen terme.
Prenant la parole à son tour, le ministre des Habous, Dr Ahmed Toufiq, a tenu à replacer le développement de la finance participative dans le contexte particulier du Maroc. Il a rappelé que le Royaume, tout en admettant la légitimité d’autres formes de transactions, a opté pour une approche graduelle et éthique, privilégiant le terme de finance participative afin d’éviter toute confusion doctrinale. À ce jour, le Comité en charge de la conformité religieuse a émis près de 200 avis, à l’issue de plus de 400 réunions scientifiques et études approfondies.
« La finance participative, telle que nous la concevons au Maroc, est un projet ouvert, ancré dans les valeurs islamiques, mais également attentif aux réalités économiques et sociales du pays », a-t-il indiqué, insistant sur le rôle intégrateur de ce modèle dans la construction d’un tissu financier plus juste.
Des vulnérabilités persistantes et des chantiers prioritaires
Le Forum a été l’occasion de présenter les conclusions du Rapport 2025 sur la Stabilité de l’Industrie des Services Financiers Islamiques. Selon l’IFSB, malgré une reprise de la croissance post-pandémie, le secteur reste confronté à plusieurs vulnérabilités, notamment dans les segments non bancaires, tels que l’assurance (Takāful) ou les fonds d’investissement.
« Le développement d’un écosystème solide exige la diversification des instruments, le renforcement des marchés de sukūk en monnaie locale, et la mise en place d’infrastructures juridiques et financières adaptées », a déclaré Dr Shabsigh, soulignant le rôle essentiel des régulateurs dans la supervision proactive et la gestion des risques.
Les intervenants ont notamment insisté sur la nécessité d’approfondir les marchés de capitaux islamiques, de renforcer la liquidité et d’élargir la base d’investisseurs. Le manque de produits secondaires et d’instruments de couverture adaptés freine, selon eux, l’intégration de la finance islamique dans les architectures financières nationales.
Alors que le Maroc poursuit la structuration progressive de son écosystème participatif, d’autres pays affichent une croissance plus rapide du secteur. Mais pour Dr Shabsigh, ce décalage ne constitue pas un handicap. « Nous saluons la prudence marocaine. Dans les dix prochaines années, la finance islamique atteindra une taille systémique dans l’ensemble de la région », a-t-il affirmé, soulignant l’intérêt croissant de l’Afrique et de l’Asie centrale pour ces modèles alternatifs.
M. Jouahri, pour sa part, a confirmé que les discussions autour de nouvelles émissions de sukūk sont bien engagées avec le ministère des Finances. Après l’échéance de l’émission précédente en 2023, l’enjeu actuel réside dans le choix des formats les plus pertinents pour répondre aux besoins du marché. Les réunions tenues en marge du Forum ont permis d’approfondir cette réflexion.
Des institutions appelées à jouer un rôle moteur
Parmi les messages-clés du Forum figure également le renforcement du rôle des autorités nationales dans la mise en œuvre des standards élaborés par l’IFSB. Les participants ont insisté sur la nécessité d’une coordination transfrontalière plus étroite et d’un accompagnement des juridictions en phase de développement, afin de prévenir les risques systémiques liés à une croissance rapide mais insuffisamment encadrée.
L’IFSB a profité de l’événement pour lancer sa nouvelle application mobile « IFSB Pulse », facilitant la gestion de ses événements, ainsi qu’un nouveau portail de données destiné à améliorer l’accès à l’information réglementaire.
Au cours de la conférence de presse organisée en marge du Forum, M. Jouahri a répondu aux interrogations sur la lente montée en puissance du secteur participatif au Maroc. Il a rappelé que « le chantier est encore jeune, et le Royaume avance avec méthode, afin de garantir la solidité et la cohérence de l’écosystème ». Il a également évoqué les avancées en cours sur le Takāful (assurance islamique), appelant à une mobilisation accrue pour combler les retards en matière d’innovation financière.
En conclusion, les travaux du 23ᵉ Forum sur la Stabilité Financière ont mis en évidence une convergence croissante autour de l’importance d’une réforme en profondeur, tant réglementaire qu’institutionnelle, pour garantir la résilience et l’inclusivité du système financier islamique. La prudence marocaine, adossée à une démarche éthique et participative, pourrait bien s’imposer comme un modèle de référence dans une région en pleine mutation.
Selim Benabdelkhalek