L’industrialisation a toujours joué un rôle fondamental dans le développement économique d’un pays. L’Afrique, avec 1 milliard de jeunes âgés de moins de 19 ans en 2050, a plus que jamais besoin de s’industrialiser pour s’assurer une croissance inclusive et résiliente.
C’est sur ce sujet que s’est penchée la 6ème édition du Forum Centraliens Supélec, qui s’est tenue les 18 et 19 février sous le thème «l’Afrique industrielle, pour une co-émergence inclusive», et qui a réuni un parterre de décideurs et de personnalités africaines.
Présent à la conférence plénière, Mustapha Bakkoury, président de la région Casablanca-Settat, a déclaré qu’avec 2 milliards d’habitants en 2050, l’industrialisation est primordiale pour l’Afrique, et que pour ce faire il fallait des porteurs de visions et des personnes convaincues, qui pensent aussi bien à l’intérêt de leur continent qu’au développement de leurs propres affaires.
M. Bakkouri, par ailleurs président du directoire de Masen est également revenu, durant son intervention, sur l’expérience du Maroc au niveau des énergies renouvelables, affirmant que c’était un choix «pertinent» qui permettra au Royaume d’accompagner le dévoilement de son économie.
Il a également souligné que le Maroc est arrivé aujourd’hui à une certaine maturité dans ce secteur. «Cette maturité nous autorise à aller vers d’autres ambitions notamment aider d’autres pays à adopter ce chemin, surtout en Afrique», a-t-il déclaré, soulignant que dans ce sillage, le Maroc a approché plusieurs pays africains en 2017 et a été sollicité par près de 15 autres pour partager son expérience et son expertise en matière d’énergie verte.
Pour sa part Hammadi Jebali, ancien chef du gouvernement de Tunisie, a concentré son analyse sur son pays, qui selon lui ressemble à d’autres pays africains qui sont passés «d’une économie dirigée à l’anarchie libérale dictée par les forces étrangères pour des raisons idéologique et politique.»
M. Jebali a, lors de son intervention, insisté sur l’urgence pour l’Afrique de subir une transformation structurelle afin de relever une série de défis étroitement connectés.
En effet, plusieurs données déclenchent la sonnette d’alarme selon M. Jebali : 600 millions d’Africains vivent en-dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollar par jour; le taux de croissance de l’économie africaine a chuté de 3,7% en 2015 à 1,7% en 2016; la partie subsaharienne de l’Afrique est la région la moins industrialisée dans le monde à l’exception de l’Afrique du Sud; les prix des matières premières sont en chute libre alors qu’ils sont la première ressource de l’Afrique; la valeur industrielle mondiale n’est que de 1,6% pour l’Afrique contre 44,6% pour l’Asie; les changements climatiques; l’instabilité politique, etc.
« L’Afrique doit en finir avec la mendicité vis-à-vis des donateurs. Nos pays et nos peuples ont une histoire et une civilisation et nous ne sommes pas condamnés au sous-développement… Nous avons la possibilité de transformer ces échecs en facteurs de succès et relever les défis du progrès», a-t-il déclaré.
M. Jebali a appelé à arrêter la sous-traitance sans valeur ajoutée et l’exportation des produits en vrac. «Nous devons trouver notre propre modèle de développement, fixer les domaines prioritaires dont l’énergie, l’eau, l’agriculture, les transports et les technologies et apporter des réformes structurelles à nos économies», a-t-il affirmé.
Selon lui, cette transformation structurelle repose sur plusieurs points, à savoir l’engagement politique du travail sérieux, ne rien attendre des «autres» et compter surtout sur les ressources africaines, inculquer aux jeunes la culture de l’excellence et du travail bien fait, encourager l’entreprenariat et la prise de risque, etc.
L’industrialisation par l’électrification
De son côté, Mohamed El Kettani, Président du groupe Attijariwafa bank, a, pour son intervention, apporté le point de vue d’une banque qui est sur le terrain au quotidien.
Pour lui, l’industrialisation du continent passe fondamentalement par l’électrification.
«Comment adopter une politique d’industrialisation d’un pays où il y a des coupures électriques 6 à 7 fois dans la journée?» s’est-il interrogé. Et d’ajouter : «Vous ne pouvez pas attirer des investisseurs nationaux ou internationaux parce que les ruptures de chaines coutent très cher».
Outre ce problème d’’électrification, l’Afrique souffre aussi du manque d’infrastructures de base et de capacités logistiques (ports, aéroports, zones industrielles…), de l’instabilité politique, de problèmes sociaux… qui découragent les investisseurs.
«La première chose qu’évalue un entrepreneur lorsqu’il veut investir dans un pays, c’est la stabilité politique et sociale, l’état de droit, le classement dans le «doing business» et les évaluations des société internationale de notation financière», a affirmé M. Kettani, ajoutant qu’il y a aujourd’hui une course contre le temps pour gravir les échelons sur tous les systèmes de notations, ce qui nécessite une accélération de l’institutionnalisation des pays, parce que celle-ci est nécessaire pour rassurer les investisseurs.
Comme tous les intervenants, le président d’Attijariwafa bank a également soulevé la problématique du capital humain et l’inadéquation de la formation des jeunes avec les besoins du continent.
«L’industrialisation est très importante, puisque nous avons 12 millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. Si on ne fait rien, cet atout formidable qui manque cruellement au vieux continent peut devenir un grand handicap», a-t-il affirmé.
Par ailleurs, un même refrain était sur les lèvres de la plupart des intervenant : aujourd’hui, pour son développement, l’Afrique ne peut compter que sur elle-même.
A l’issue des travaux du Forum Centraliens Supélec, un livre blanc devrait synthétiser les conclusions des ateliers et de la conférence plénière ainsi que les principales recommandations émises par les participants, pour être ensuite remis aux décideurs.
A. Loudni