
C’est la rentrée. Pourtant, les discussions de l’heure ne portent ni sur le retour de l’anarchie des embouteillages devant et aux abords des écoles, ni même sur l’actualité politique qui pourtant se voudrait chargée compte tenu des annonces de remaniement du gouvernement. Non, toutes les bouches ne parlent que de l’arrestation pour avortement présumé de la journaliste Hajar Raissouni.
Bien que la propension de nos compatriotes à se mêler avec délectation des affaires privées des autres soit avérée, il n’est pas étonnant que ce fait divers fasse couler autant d’encre. Le sujet est grave, mais pas pour les raisons qui semblent admises de tous.
Ce n’est pas l’application de la Loi (et même des lois) par les forces de l’ordre ou le procureur que l’on doit contester.
Ce n’est pas le fait que la clinique aurait été surveillée et que le couperet serait tombé par hasard sur la journaliste qui inquiète.
Ce n’est pas non plus le fait qu’elle soit voilée ou qu’elle soit la nièce d’un des plus grands prédicateurs du MUR qui doit nous indigner.
Le fait le plus grave est que dans le Maroc de 2019, qui explique à qui veut bien l’entendre que ses 20 dernières années témoignent des avancées réalisées, certaines lois soient aussi liberticides et qu’en plus elles accablent systématiquement les Femmes.
Les arguments des uns et des autres se contemplent avec la satisfaction affichée de ceux qui se félicitent que le camp adverse ait tort. « L’État marocain est une dictature » vaut autant que « bien fait pour les Islamistes qui montrent encore une fois leur vrai visage » ou que « elle a sûrement avorté, donc c’est une femme facile, donc elle mérite ce qu’elle vit ».
Pourtant, personne n’est épargné, toutes les femmes sont concernées, vos mères, vos sœurs, vos filles et vos épouses. Toutes dépendent bien trop du bon vouloir des hommes pour décider de ce qu’elles doivent faire de leur corps et cela doit cesser, quel qu’en soit le prix. N’y a-t-il aucune empathie pour nos femmes, harcelées, battues, violées, mariées de force à leur violeur, répudiées d’un revers de manche et en plus persécutées par la Loi qui ne leur garantit aucune protection ?
Il ne s’agit ni de défendre la journaliste, ni la nièce de Raissouni, ni de crier au complot, ni de faire du féminisme militant, mais de s’ériger en défenseurs de la dignité humaine, des valeurs universelles portées par notre religion également, de protéger les plus faibles, surtout lorsqu’ils le sont par la force de lois archaïques.
S’il y a hypocrisie, c’est surtout sur les conséquences de l’application de lois qui ne protègent pas les citoyens de manière égalitaire. Soyons clairs, qu’il y ait adultère, relation sexuelle hors mariage, avortement, c’est toujours la femme marocaine qui en subit les conséquences les plus concrètes, y compris la marginalisation de la société.
Si les réactions sur le web sont aussi nombreuses et de voix si différentes, force est de constater qu’encore une fois ceux qui devraient prendre la parole, les partis politiques et leurs dirigeants, sont muets comme des carpes, drapés de leur lâcheté habituelle.
Mais, de grâce, à ceux qui ont compris il y a quelques années que la Moudawana devait être amendée, qui ont sollicité l’inclusion du patrimoine judaïque dans notre constitution ou la reconnaissance de l’Amazigh, attaquez-vous à ce fléau qui ronge notre société, à cette insécurité de tous les instants pour nos femmes qui accentue le pouvoir de coercition des hommes.
Nous ne voulons pas de ce Maroc « moderne » s’il peut faire autant de mal à celles à qui il doit tout.
Zouhair Yata