Dominique de Villepin, « l’homme du discours de l’ONU », comme il est régulièrement introduit, et qui a toujours gardé un certain attachement envers le Maroc, ayant passé son enfance à Rabat, était l’invité d’ESSEC Alumni, au sein de la galerie Prestigia de Casablanca, le 19 septembre, pour une conférence autour du thème « Paix et instabilité en Afrique et dans le monde : comment vaincre les déterminismes ? ».
Une « thématique retenue pour montrer à quel point l’Afrique est ancrée dans le devenir des autres continents », selon Mamoun Guedira, Président d’Essec-Alumni Maroc, avec « une génération qui profite d’un virage technologique salutaire ».
Pendant environ 1h30, M. De Villepin a livré ses appréciations sur l’environnement international et ses perspectives, dans une soirée riche en échanges et devant une audience venue nombreuse. L’ancien premier ministre français considère que « nous sommes dans un monde d’une très grande instabilité, volatilité », mais sans « les extrémismes qui sont nés dans les années 30 ». La crise de 2008 a été suivie par « un sauve-qui-peut généralisé que nous continuons à vivre aujourd’hui ».
Dans ce contexte, « il faut se mettre à la place du citoyen, à qui l’on a promis des bénéfices de la mondialisation, et qui voit l’herbe lui être retirée sous ses pieds ». Trois éléments, selon M. De Villepin, sont à prendre en considération : des cycles « extrêmement sensibles qui sont dans l’immédiateté », une « perte de confiance du citoyen », et « la perte de référence des modèles », dans le sens où « nous assistons à une rupture du modèle politique, la démocratie libérale est en difficulté ».
« C’est aussi une économie monolithique », a-t-il ajouté, « les géants disposant de fortunes qui peuvent faire vaciller les états souverains. Cette économie dérive très loin des intérêts du citoyen ».
Les USA, puissance descendante
« Nous sommes dans un système international de type transitoire », selon M. de Villepin, « monopolaire, avec encore l’hégémonie américaine, mais aussi bipolaire, avec les USA et la Chine, avec la puissance descendante qui veut combattre la montante ». Nous avons aussi une « multipolarisation avec l’avènement de certaines économies émergentes, et l’apparition d’états-civilisations ». Ainsi, « la confrontation des Etats se fait aussi sur les valeurs ».
« Dans le moment particulier où nous sommes, c’est la confrontation entre les USA et la Chine » qui prédomine, et il faut s’organiser pour que « cette confrontation ne puisse pas nuire à l’équilibre mondial. Les autres puissances, comme l’Europe doivent veiller à cette stabilité, comme l’Europe », selon lui.
« Dans ce modèle de la mondialisation, les dirigeants manquent d’imagination », a-t-il critiqué, déclarant penser « que l’OTAN a fait son temps, et que l’Europe gagnerait à renforcer ses relations à la Russie et la Chine », évoquant même « l’idée du G4 avec France, Allemagne, Chine, et Russie ».
Pour « avancer sur d’autres domaines qui peuvent créer des intérêts fédérateurs », a expliqué M. De Villepin, « les européens devraient avancer vers un partenariat Europe-Afrique pour soutenir l’Afrique », si cette dernière « arrive à passer le cap important de successions difficiles ». Pour cela, l’idée de créer « une relation d’égalité, par exemple de manière triangulaire avec la Chine, serait une façon originale de sortir de la difficulté ».
Et, selon l’ancien ministre, « c’est là que le Maroc a des atouts à jouer », car il « dispose de grands réseaux, mais il faut que cette stratégie soit jouée jusqu’au bout : plateforme financière, plateforme technologique, mais avec une dimension et une vision pour fonctionner ». « La constitution d’un très grand pôle culturel est une possibilité pour le Maroc de rayonner et faire rayonner sa culture », a-t-il ajouté, et « il faut parier sur les arts, la culture, les grandes industries. Il faut de l’imagination et de pousser les projets jusqu’au bout ».
Selim Benabdelkhalek