BOUCHRA-BENHIDA
Mme Bouchra Rahmouni Benhida est professeure de l’enseignement supérieur à l’Université Hassan 1er de Settat. Spécialiste en géopolitique et géo-économie, elle a un parcours et un cursus universitaire des plus éloquents, avec des acquis impressionnants en termes de recherches et de publications.
Elle est également une spécialiste de l’entreprenariat social et féminin et nous livre ci-après ses réflexions sur son parcours et ses analyses.
La Nouvelle Tribune : Mme Rahmouni, nous vous sollicitons dans cette interview pour notre spécial du 8 mars, pouvez-vous présenter à nos lecteurs votre parcours ?
Bouchra Rahmouni Benhida : Je suis titulaire d’un Doctorat en Economie Internationale de l’Université Mohammed V Rabat-Agdal et Professeur de l’Enseignement Supérieur à l’Université Hassan I, à Settat.
J’ai démarré dans l’enseignement supérieur en 2001 en tant que Professeur assistante à l’Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Tanger, avant de rejoindre 4 ans plus tard l’Université Hassan I de Settat où j’exerce depuis 2004. En 2007, je suis devenue Professeur habilitée à encadrer des travaux de recherche, et en 2014 Professeur de l’Enseignement Supérieur.
Par ailleurs, depuis 1996 je cultive une passion pour la Géopolitique et la Géo-économie. Ce sont deux de mes professeurs, feu Driss Benali et Mohammed Ennaji, que je tiens à saluer à travers cette tribune qui ont contribué à me donner le goût de la recherche en m’intégrant dans le cadre des travaux menés au sein du Groupe de Recherche en Economie Internationale de l’Université Mohammed V, et en m’associant à l’organisation d’événements prestigieux organisés en partenariat avec des organisations et institutions mondiales.
De ce fait, vous êtes aussi une chercheuse, pouvez-vous nous exposer ce second aspect de votre vie professionnelle?
Mon expérience universitaire m’a permis d’acquérir un savoir faire et une méthodologie de travail que j’ai ensuite exploitée et approfondie sur les dix dernières années. Pour ce faire, j’ai effectué différents séjours dans des centres de recherche internationaux : le Centre de Recherche en Analyse des Organisations (CIRANO)de Montréal en 1997, l’Université Complutense de Madrid en1998, où j’ai contribué à des projets de recherche traitant de l’internationalisation des entreprises et de l’analyse des agrégats macro-économiques.
Par contre, mon passage au Centre d’Etudes Stratégiques de l’Université Mohamed V (1996-1999) de Rabat m’avait permis de participer à des études socioéconomiques.
De ce fait, mes travaux de recherche portent sur la responsabilité sociale de l’entreprise et son impact géoéconomique, mais aussi sur l’émergence économique et la géopolitique.
Résultat de votre implication, vous avez reçu de belles distinctions universitaires à l’étranger. Quelles sont-elles ?
Oui, depuis mai 2010, je compte parmi les Distinguished Professors de Géopolitique de l’Ecole de Management de Grenoble, laquelle figure dans les 10 meilleures des écoles de commerce en France.
Je suis également professeur associé à l’Université de New York (Polytechnic Institute of New York University). Et, depuis mai 2015, j’ai rejoint l’équipe de l’International Trade and Law Institute en tant que visiting professor. Avec le Président de cet institut, nous essayons de développer la recherche et les relations bilatérales pour encourager les investissements entre nos deux pays. Des formations, des voyages d’affaires et la fourniture de matériel pédagogique, constituent des actions concrètes de mon implication avec cet institut.
Je fais partie aussi du conseil scientifique de l’AMIE – Center for Policy, un think tank marocain d’Intelligence Economique et je suis vice présidente de l’Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX), chargée du développement des compétences. Pour ne citer que cet évènement, j’ai procédé en février dernier, à la Signature d’un MOU entre ASMEX et l’Université de Brawijaya situé à Malang, East Java, Indonésie.
Il s’agit d’une université qui a plus de 50 ans d’existence, doublement accréditée et qui compte plus de 64 000 étudiants . L’objet de ce partenariat est de renforcer et promouvoir la coopération dans le domaine de la formation à travers la mise en place d’un centre de formation et de recherche pour la très petite et la moyenne entreprise
Deuxième objet de ce partenariat est d’Implémenter des programmes de développement du commerce halal à travers
• des échanges d’expériences
• de travaux de recherche
• d’organisation de conférences et
• d’accompagnement de la PME en matière de certification.
Qui dit chercheuse, dit publications des résultats de vos études, quelles sont vos principales publications ?
Tout d’abord, j’ai contribué à plusieurs ouvrages collectifs tels :
«L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions ELLIPSES, Paris, octobre 2011,
«Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions PEARSON, Paris, novembre 2012, ce livre est souvent cité comme référence lors des forums mondiaux consacrés à l’entrepreneuriat féminin.
«Gouvernance, risques et crises», Editions l’HARMATTAN, décembre 2012.
Je suis également co-auteur de «Géopolitique de la Méditerranée», Editions PUF, Paris, avril 2013, ce livre a été publié dans la collection “Que Sais-je” et traduit en japonais et en arabe.
J’ai aussi participé au livre «Géopolitique de la condition féminine», Editions PUF, Février 2014.
J’ai dirigé l’ouvrage “Le Maroc stratégique: «Ruptures et permanence d’un Royaume”, paru à Paris en décembre 2013 aux Editions DESCARTES en tant que membre du conseil scientifique du think tank AMIE Center for Policy.
Et enfin, j’ai dirigé le livre «Afrique : Nouvelle frontière de la croissance – Comprendre, Investir et Entreprendre» paru aux Editions Technip & Orpfys, Paris, octobre 2015.
Cet ouvrage est en cours de traduction en anglais.
Mme Rahmouni, en tant qu’universitaire chercheuse et donc intellectuelle, vous êtes un exemple pour la promotion des compétences féminines. A ce titre, que pensez-vous de l’évolution de la condition actuelle de la Femme dans notre pays?
Dans une même société, la condition de la femme dépend aussi bien de l’éducation acquise que de l’éducation apprise qui sont parties intégrantes du capital humain de chaque personne. Elle dépend aussi du niveau de l’assimilation correcte de la place accordée par l’Islam à la femme.
Quand toutes ces conditions sont réunies, la femme est considérée comme un être à part entière et non pas comme un «sous homme» ou une geisha.
Je rajouterai aussi, qu’il existe une forte corrélation entre la participation sociale, politique et économique des femmes et des rôles que nous leurs attribuons dans l’espace domestique et des stéréotypes existants par rapport à leurs caractères et à leurs capacités.
Quand la femme et considérée comme une personne pensante et agissante c’est un indicateur de l’avancée démocratique d’une société.
Le Maroc dispose certes, d’un principe constitutionnel et d’un code de la famille qui est à ce jour un cas exemplaire de législation fondée sur l’Islam et qui met en partie en oeuvre les idées de justice sociale et d’égalité des genres défendues par l’universalisme démocratique. Cependant, le code pénal comprend des articles qui sont porteurs de discrimination à l’égard des femmes et vont à l’encontre du principe constitutionnel d’égalité des sexes.
Cela fait près de 100 ans que le 8 mars est entièrement dédié aux femmes. À l’origine, cette journée servait à manifester pour le droit de vote des femmes. Depuis 1910, les revendications ont changé.
Au niveau mondial, l’une des revendications sur laquelle il va falloir insister c’est « l’égalité des capacités ».
En ce 21è siècle, les femmes souffrent toujours d’un accès limité à des moyens comme les équipements, les infrastructures, les actifs financiers, le temps disponible, l’adhésion aux réseaux sociaux…
Depuis le début des années 2000, plusieurs rapports signalent une «féminisation de la pauvreté». Sur les 1,3 milliard de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté́ absolue, 70% sont des femmes. En outre, malgré́ le fait que les femmes représentent la moitié de la population mondiale et effectuent les 2/3 des heures de travail, elles ne gagnent qu’un dixième du revenu et possèdent moins d’1% de la fortune mondiale.
Elles effectuent 2/3 des heures de travail, un fait qui demeure invisible et non reconnu étant donné que leur travail est considéré comme un ensemble de tâches naturelles et non productives, il n’est pas mis en valeur. Contrairement à celui réalisé par les hommes qui est valorisé, soit directement au moyen d’une rémunération, soit indirectement à travers un certain statut.
Dans plusieurs parties du monde, les femmes sont encore derrière les hommes en matière de contrôle des ressources fondamentales comme l’argent, la propriété, la terre, la richesse et l’accès aux biens matériels.
Le nouveau combat, serait d’obtenir le droit à l’égalité économique, plusieurs instances internationales ont reconnu explicitement l’importance de garantir un tel droit aux femmes, afin d’encourager un développement équilibré des sociétés.
Le sujet de notre dossier l’entreprenariat social peut-il servir à cette cause?
Justement, une des armes pour mener un tel combat serait l’entrepreneuriat social. En ce qui concerne le Maroc, les formations que j’ai assurées en dialecte marocain dans le cadre de l’INDH, m’ont permis de côtoyer plusieurs coopératives et associations féminines créées dans le cadre de cette initiative. J’ai ainsi pu constater comment des femmes du monde rurale et urbain grâce à des activités génératrices de revenus ont pu gagner en autonomie, s’en sont sorties dignement de la pauvreté, ont créé des emplois autour d’elles. Aujourd’hui, elles ont des perspectives d’évolution économique de leur structure car il s’agit de formidables autodidactes dotées d’un potentiel énorme. Compte tenu des besoins en matière d’égalité des droits économiques des genres, l’entreprenariat social se révèle être un des axes d’actions et de collaboration pour construire une économie intégrée inclusive et durable.