M. Hamid Tawfiki, Président du CA de la Bourse de Casablanca
Après la première réunion du Comité du marché des Capitaux, présidée par le ministre de l’Économie et des Finances, M. Mohamed Boussaid, la Bourse des Valeurs de Casablanca a fait présentation publique de sa feuille de route, qui précise les missions et les objectifs de celle-ci pour les années à venir.
Mais cette feuille de route n’est, en quelque sorte, que la face émergente d’un iceberg constitué par l’ensemble des modalités et actions d’une réforme pendante, celle du marché des capitaux.
Dans l’entretien qui suit, M. Hamid Tawfiki, Président du Conseil d’administration de la Bourse et M. Karim Hajji, son Directeur général, en expliquent exhaustivement les diverses articulations.
La Nouvelle Tribune :
M. Tawfiki, vous présidez le Conseil de la bourse et menez une grande réforme dont vous avez annoncé la feuille de route tout récemment. Pouvez-vous nous préciser, avant de rentrer dans le vif du sujet, le rôle du Comité du marché des capitaux créé par décret en octobre 2017 et dont la première réunion s’est tenue lundi dernier sous la présidence du Ministre des Finances ?
Hamid Tawfiki :
Le Comité du Marché des Capitaux (CMC) figurait dans la loi de la Bourse de Casablanca, il était donc prévu avant l’arrêté publié au bulletin officiel en octobre 2017, qui l’a instauré.
Le CMC est un organe de concertation et d’échange où les autorités publiques et les intervenants peuvent réfléchir ensemble sur les questions et thématiques qui vont forger les orientations stratégiques de la place. Le CMC a été institué par la loi sur la Bourse, ses prérogatives couvrent toutes les questions liées au marché des capitaux.
Le CMC va s’atteler particulièrement aux questions en relation avec le développement du marché et de ses institutions. Son rôle est certainement de réunir l’ensemble des acteurs de ce marché pour instaurer une concertation harmonieuse entre eux afin que le développement du marché se décline de façon effective.
De ce fait, le Comité du Marché des Capitaux intègre les acteurs, les opérateurs, les émetteurs, les investisseurs et les différentes autorités concernées. La Bourse de Casablanca n’est qu’un acteur parmi tant d’autres dans l’espace du marché des capitaux.
Le Comité du marché des capitaux, ainsi constitué, va marquer un réel tournant dans la redynamisation du marché en question qui n’est autre que le second canal de financement de l’économie après le crédit bancaire.
La première réunion était dédiée à (i) la présentation de la feuille de route de la Bourse et (ii) la création de groupes de travail thématiques au sein du comité conformément à la législation qui le régit.
Quel est le lien entre la démutualisation de la Bourse de Casablanca et la réforme annoncée ?
Pour bien vous expliquer, je vais situer la démutualisation dans une juste perspective.
La première réforme du marché des capitaux s’est attachée en 1993 à la modernisation de la bourse de Casablanca, la création de sociétés de bourse et des organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM), ainsi que l’instauration d’une entité de contrôle, le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM).
La réforme de la bourse de Casablanca a coïncidé en 1996 avec l’informatisation du système de cotation, la dématérialisation des titres et la création d’un dépositaire central, MAROCLEAR, ainsi que la création d’un fonds de garantie pour les clients.
En 2006 et 2007, les réformes introduites ont eu pour objectif de renforcer la transparence des OPCVM et les pouvoirs de contrôle du CDVM ainsi que d’améliorer le système de sécurité des transactions.
La libéralisation des changes, entamée en 1993, a connu des développements, avec l’ouverture grandissante et l’intégration progressive de l’économie nationale dans son espace régional et international.
En 2007, il y a eu l’adoption de nouvelles mesures. Comme par exemple : l’assouplissement des conditions de placement des banques marocaines à l’étranger, la libéralisation des placements hors Maroc pour les OPCVM à hauteur de 10 % de leurs portefeuilles, la suppression de l’autorisation préalable pour le placement par les compagnies d’assurance de 5 % de leurs actifs à l’étranger.
C’est ainsi que notre marché boursier s’est construit et s’est développé. Des sociétés publiques et privées ont été introduites en bourse. Le marché de la dette privée s’est développé. La titrisation a vu le jour et a réussi à répondre à des besoins bien spécifiques en offrant des alternatives de financement.
Ce passé fut donc une période très riche et importante qui a permis à l’État, aux banques (qui représentent 37% de la capitalisation boursière), et à des entreprises de se financer. On ne doit donc pas ignorer ce chemin parcouru et le développement réalisé depuis.
Cependant, depuis les 5-6 dernières années, on a commencé à constater que la mécanique commençait à faiblir : une forte baisse des volumes de transactions boursières, une forte baisse des introductions en bourse, un marché de dette privée ankylosé, une faible liquidité s’est installée, des investisseurs particuliers tétanisés, une confiance diminuée, une anémie s’est produite…
Toutes les parties prenantes s’accordaient à dire que notre marché avait besoin d’un nouveau souffle, d’une relance voire d’une importante réforme pour le porter à un niveau supérieur.
A l’aube de son 25ème anniversaire en tant qu’entreprise privée, la Bourse de Casablanca s’apprête ainsi à vivre une des plus importantes réformes de son histoire, tout aussi importante que celle de 1993.
La démutualisation de la Bourse devrait, dans un sens, marquer un vrai tournant dans le développement du marché.
En quoi consiste la démutualisation ?
La démutualisation de la Bourse de Casablanca SA est intervenue le 17 juin 2016 sous l’emblème d’une grande réforme et s’accompagne d’une série de changements.
Tout d’abord, un nouveau tour de table. Le changement d’actionnaires qui a consisté à remplacer les sociétés de bourse, SDB, par les parties prenantes du marché des capitaux que sont les banques, les sociétés d’assurance, la CDG et CFCA.
Ces nouveaux actionnaires ne sont autres que les acteurs financiers, opérateurs et intervenants du marché boursier. La composition de ce nouveau tour de table tient compte de la nécessité d’impliquer les acteurs concernés capables de contribuer au développement du marché.
La démutualisation a introduit un nouveau cahier de charges qui a donné de nouvelles missions à la bourse de Casablanca et a ainsi élargi son champ d’action. Elle doit maintenant assurer :
1/la gestion de l’ensemble des entités constitutives de l’infrastructure du marché organisés sous forme de Holding dans le respect des lois et réglementations régissant ces institutions ;
2/le développement de l’infrastructure du marché, nécessaire à la bonne exécution, à la compensation et au dénouement des transactions sur Instruments financiers
3/la contribution au développement du marché boursier à travers notamment la structuration d’instruments financiers à admettre sur le marché boursier et de façon plus globale, l’enrichissement continu de l’offre de produits et services relevant de l’objet social de la société et ce, dans les meilleures conditions de coût et de qualité
4/ le développement et le déploiement d’une stratégie globale, cohérente, commune aux différentes composantes du marché boursier tant sur le plan national, régional, qu’international
Ces nouvelles missions avec le nouveau tour de table s’accompagnent de la mise en place d’une Nouvelle Gouvernance qui se reflète dans la séniorité des nouveaux administrateurs couplée avec l’introduction d’administrateur indépendants qui allient « indépendance/compétence » et la création de trois comités issus du Conseil d’administration (Stratégie, Gouvernance, Audit & Risques).
Enfin, une nouvelle vision pour la Bourse Casablanca a été définie. Il s’agit pour celle-ci d’être une plateforme intégrée, solide, ouverte, attractive, aux meilleurs standards internationaux de marché, qui mobilise l’épargne locale et attire l’épargne étrangère, et ce pour assurer un meilleur financement de l’économie du Maroc et de l’Afrique.
Cette vision vise à réaliser les objectifs stratégiques suivants :
- Construire une infrastructure de Marché performante ;
- Contribuer au financement de l’économie ;
- Réussir un rayonnement national, régional et international.
En conclusion la démutualisation permet ainsi à la bourse d’être de facto la colonne vertébrale du marché des capitaux !
Vous présentez donc une feuille de route pour la bourse de Casablanca 2.0, pouvez-vous en parler à nos lecteurs ?
La feuille de route de la Bourse de Casablanca fait partie des exigences de son nouveau cahier des charges. Elle comprend la liste des actions et des projets à mettre en place pour exercer correctement ses nouvelles missions, assurer la sécurité et l’efficience du traitement des opérations et permettre in fine de libérer le potentiel du marché.
La construction de la feuille de route a commencé dès le 17 juin 2016, date d’entrée en vigueur de la nouvelle mouture de gouvernance. Depuis cette date, nous avons eu 10 réunions du conseil d’administration, 11 réunions du comité de stratégie et 13 réunions du comité de gouvernance.
Nous avons aussi créé des groupes de travail pour lancer les réflexions et construire des propositions comme mots d’ordre : Implication, Concertation et Alignement.
La construction se voulait résolument fédératrice : Ce sont 9 groupes de travail, 43 ateliers, incluant une quinzaine d’institutions et une cinquantaine de personnes qui ont été impliqués.
Cette profonde implication de tous a permis de mesurer l’intérêt porté par les participants pour cette réforme, et d’apprécier leur envie réelle de bâtir ensemble un avenir meilleur à notre marché.
Cet exercice a également montré que les idées et les propositions étaient très nombreuses. La feuille de route est donc le résultat ordonné de la compilation de tout ce travail de propositions et d’implications issues de la concertation.
En effet, tout ceci nous a permis de dégager une vision commune, de définir des priorités et d’établir des plans d’actions.
Pouvez-vous nous présenter donc cette feuille de route ?
M. Karim Hajji :
Si Hamid Tawfiki a parfaitement expliqué comment on est arrivé à construire cette feuille de route. Et l’objectif de cette dernière est de répondre naturellement au Cahier des charges que nous avons signé avec le ministère des Finances en 2016.
La feuille de route s’articule autour de trois axes principaux.
D’abord, construire une infrastructure de marché qui soit à la fois performante, mais aussi capable de traiter tous les instruments financiers, au comptant ou à terme, dans les meilleures conditions de gestion du risque et d’optimisation des coûts. Une telle infrastructure implique plusieurs composantes, d’abord les plateformes de négociation (cash et dérivés) où s’effectuent les échanges et les transactions.
Ensuite, il y a une chambre de compensation, CCP, qui est une nouvelle entité prévue par le cahier des charges et qui n’existait pas auparavant. Son importance est capitale. La CCP est l’infrastructure de gestion des risques. Elle gère les risques associés : (i) pour les valeurs mobilières : entre le moment de la négociation et la livraison; (ii) pour les produits dérivés : tout au long de la durée de vie du contrat. En particulier elle requiert des dépôts de garantie pour assurer que les engagements des parties aux transactions seront bien honorés en cas de faillite de l’une d’elle à la transaction.
L’infrastructure doit être robuste et intégrée, avec un bon système d’informations, un cadre solide de gestion des risques, mais il faut également qu’elle soit pérenne.
M. Tawfiki :
On a mesuré l’importance de la chambre de compensation à l’étranger après la crise financière de 2008 où la défiance s’était installée entre les différents opérateurs. L’existence d’une structure pareille qui s’intercale entre deux opérateurs a permis de restaurer la confiance, et partant de là sécuriser les flux transactionnels.
Ainsi, une telle structure dans notre système d’infrastructure de marché marocain inspirera une grande confiance aux investisseurs étrangers qui retrouveront à Casablanca ce qui existe au niveau des autres places financières. En outre, il faut savoir que la chambre de compensation est supervisée à la fois par la Banque centrale et par l’Autorité marocaine des marchés de capitaux, AMMC.
Quid des autres axes de la feuille de route ?
M. Karim Hajji :
Le second axe stratégique fixé dans la feuille de route consiste en la contribution de la bourse au financement de l’économie. Il se décline en trois directions majeures.
Primo, agir sur l’offre de papier, sur le marché actions ou sur le marché obligataire, en encourageant l’appel public à l’épargne notamment en intensifiant la prospection à l’endroit des opérateurs privés et de l’Etat et en développant l’accès des PME au marché. C’est ce que nous avons accompli avec la mise en place du programme ELITE qui comprend quarante-huit entreprises dont quatre ont déjà indiqué leurs intentions de s’inscrire à la cote casablancaise. Mais, nous aurons aussi à activer le marché dédié au PME, le marché alternatif, prévu par la nouvelle Loi sur la bourse et par le Règlement général.
Nous allons revoir les compartiments actuels de la bourse, pour avoir, in fine, quatre compartiments. Un compartiment principal, un alternatif pour les Pme, un troisième pour les fonds thématiques côtés, tels ceux qui pourraient être dédiés aux financements infrastructures, et un compartiment dédié aux investisseurs qualifiés.
Secundo, mobiliser davantage les investisseurs locaux en élargissant la palette des produits cotés (ETF, OPCI, les dérivés, etc.) et en développant une variété d’indices (secteurs, thèmes, ESG, Sharia…). Nous devons aussi attirer les investisseurs étrangers en organisant des Road-Show (Londres, New-York, Johannesburg…) et en accompagnant les émetteurs dans leurs communications financières.
Tercio, contribuer à l’amélioration de la liquidité. Il s’agit là de l’objectif prioritaire de tout marché des capitaux qui désire d’attirer les investisseurs. Nous allons renforcer les exigences de flottant, améliorer la lisibilité de la cote, (réorganisation des compartiments), enrichir les possibilités de traitement des ordres et assurer le traitement du prêt-emprunt de titres
Dans cette optique, nous allons travailler avec le Comité du marché des capitaux pour revoir par ailleurs le texte du prêt-emprunt de titres, lequel représente un moyen très important pour améliorer la liquidité.
Le troisième axe vise à contribuer au rayonnement national, régional et international de la place financière de Casablanca et du Maroc.
En conclusion ?
M. Hamid Tawfiki :
Comme je le disais tout à l’heure, la démutualisation est un vrai tournant. La Bourse de Casablanca SA a un nouveau modèle de développement qui exprime une véritable transformation. Elle a développé un plan de développement qui souligne l’ambition de mieux servir les besoins en financement des entreprises.
La Bourse de Casablanca 2.0 est en Marche ! Elle a une vision claire de ce qu’elle veut être et une volonté farouche de réussir sa mutation au service du développement du marché.
La Bourse de Casablanca 2.0 va préparer le terrain, construire la bâtisse, sécuriser les lieux pour que les opérateurs, investisseurs, émetteurs fassent du business. A nous de jouer.
Notre objectif commun est de libérer le potentiel du marché en augmentant sa capacité d’innovation pour mieux contribuer au financement durable de notre économie.
Entretien réalisé par Afifa DASSOULI
Focus sur la compensation.
La maîtrise des risques est l’apport principal de la compensation des instruments financiers. La chambre de compensation fait bénéficier le marché de huit principaux apports :
- Maîtrise du risque de contrepartie : la CCP s’interpose entre les contreparties à une transaction (acheteurs / vendeurs, emprunteur / prêteur) dont elle devient la contrepartie directe et assume le risque de contrepartie pour chaque intervenant. Ce mécanisme de novation permet d’effectuer une compensation multilatérale : on calcule uniquement la position nette globale de chaque intervenant avec la contrepartie centrale.
- Mitigation du risque systémique : le risque de contagion est réduit car le défaut d’un membre n’affecte pas directement les autres qui continuent leurs opérations avec la chambre de compensation
- Limitation du risque opérationnel via la standardisation des échanges et des processus : le passage d’un mode de transaction bilatéral à un mode centralisé simplifie les échanges, en effet, chaque participant interagit avec une seule contrepartie, la CCP, au lieu de plusieurs contreparties. La CCP met en place des processus robustes et standards ce qui permet de diminuer les erreurs et le risque
- Garantie de bonne fin des opérations, notamment avec un mécanisme d’auto buy-in en cas de défaut de livraison / paiement d’un membre de la chambre de compensation
- Optimisation du besoin en collatéral en comparaison des opérations bilatérales, et à niveau de risque équivalent, via le mécanisme de netting mis en oeuvre par la chambre de compensation
- Minimisation de la consommation de capital règlementaire : avec les règles de Bâle III, les banques bénéficient d’un taux réduit à 2% pour le calcul du capital à mettre en face de leurs expositions à une contrepartie centrale au lieu de 20% de pondération
- Transparence : la centralisation des opérations au sein d’une contrepartie centrale permet au régulateur d’avoir une vue consolidée et exhaustive des transactions effectuées sur le marché, et ainsi d’effectuer une meilleure surveillance du marché
- Limite de crédit : les membres de la CCP n’ont pas besoin d’établir et suivre des limites de crédit pour chaque contrepartie, une limite de crédit globale étant définie par la CCP pour chaque participant