Hassan Boulaknadal, Directeur de l'Office des changes
Avec la réforme de la flexibilité du dirham entrée en vigueur à la mi-janvier 2018, le Maroc a concrétisé sa politique d’ouverture économique.
En effet, qu’il s’agisse des différents chantiers structurants, de l’amélioration de l’environnement des affaires, de la libéralisation de secteurs économiques clés, ou de la fin progressive des subventions accordées par l’Etat, beaucoup a été fait pour favoriser l’ouverture économique et sa compétitivité. Et la flexibilisation du Dirham va également dans le même sens, car il fallait mettre au diapason notre régime de change avec notre ouverture économique, en renforçant la capacité de résilience de notre pays face aux risques de chocs externes.
Trois mois donc après l’entrée en vigueur de la flexibilité du régime de change, la mise en place d’un marché interbancaire de devises et d’un autre dédié aux adjudications des devises auprès de Bank Al-Maghrib, il nous a semblé légitime de vérifier si cette dernière fonctionnait correctement et de relever d’éventuelles difficultés dans le cas contraire.
Et ce, malgré que M. Jouahri, Wali de la Banque Centrale, ait beaucoup insisté sur la nécessité de donner du temps au processus de passage au flottement du dirham, prévoyant une flexibilisation totale sur 10 ans, voire 15 ans.
Trois mois après son lancement, faire un bilan de la nouvelle cotation du dirham aurait pu être un peu prétentieux si les salles de marchés, qui vivent cette nouvelle expérience, n’étaient toutes enthousiastes et unanimes sur la transparence et la liquidité du marché des changes tels qu’effectifs aujourd’hui dans ces salles avec une influence limitée de la Banque centrale dans la formation des cours de change.
En effet, cette dernière est essentiellement désormais le résultat de la confrontation de l’offre et de la demande sur le nouveau marché des devises entre les « teneurs de marchés » que sont les banques.
Car, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle cotation du dirham, BAM a laissé la main aux opérateurs du marché interbancaire, restant à leur disposition pour répondre à leurs éventuels besoins.
En effet, depuis le 15 Janvier dernier, elle n’est intervenue que dans la moitié des séances (53%) de cotation, avec une injection quotidienne d’à peine 5,6 millions de dollars comme le montre le graphe de BMCE Capital publié dans cet article.
Ainsi, la flexibilité du dirham est déjà une réalité pour le Maroc, et le renforcement des fondamentaux du pays lui sert de socle dans le temps !
C’est ce que nous explique M. Hassan Boulaknadal, Directeur Général de l’Office des Changes, dans l’entretien qui suit.
Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune :
La réforme de la flexibilité des changes a été mise en œuvre avec facilité, le dirham côte chaque jour sur les plateformes des salles de marché comme si cela avait été toujours le cas. Selon vous, qu’est-ce qui a rendu possible une telle fluidité ?
M. Hassan Boulaknadal :
Le comportement post réforme du dirham face aux principales devises de nos échanges commerciaux vient conforter le discours que les autorités n’ont cessé de véhiculer quant à la pertinence du timing de la réforme et quant à solidité des prérequis pour réussir cette étape.
Pour rappel, les trois piliers fondamentaux qui permettent d’aller vers une flexibilité de la monnaie nationale ont été au rendez-vous, à savoir, la résilience du système bancaire et son bon niveau de sophistication qui permettent de faire face aux besoins les plus complexes des opérateurs économiques, une réglementation de changes flexible qui permet d’adopter rapidement les textes réglementaires nécessaires, et enfin, un niveau de réserves de changes suffisamment confortable, ce qui permet d’absorber les chocs nés de la diversité des anticipations des acteurs.
Sur un autre volet, des compagnes de sensibilisation et de formation ont été effectuées par les équipes du ministère des finances, de Bank Aal-Magrib et de l’Office des Changes pour mieux préparer les intervenants dans le marché des changes a cette réforme stratégique.
Ainsi, plusieurs réunions de sensibilisation ont été tenues avec le GPBM, la CGEM, les fédérations professionnelles, les entreprises publiques, les attachés commerciaux des ambassades étrangères, les médias, l’ordre des experts comptables, l’organisation des comptables agréés, les chambres de commerce et d’industrie étrangères, etc…
L’objectif final était d’associer tous les intervenants dans le marché des changes afin d’insister d’une part, sur l’importance de la réforme et ses effets positifs sur l’économie nationale et d’autre part, montrer qu’il s’agit d’une réforme souveraine, bien préparée et surtout progressive.
Enfin, il faut noter que le choix de la date de lancement de la réforme n’était pas fortuit, mais le résultat d’un processus de réflexion, d’études, d’analyses , de concertations qui a conduit à conclure que le Maroc remplissait les prérequis nécessaires pour la réforme de son régime de change à savoir : déficit budgétaire maitrisable, taux inflation maitrisable, politique monétaire efficace, système financier et bancaire solide, niveau de réserves de change suffisant, déficit du compte courant maitrisable etc….
Toutes ces conditions et surtout l’implication de tous les intervenants ont permis un passage facile et souple et dans de bonnes conditions
Techniquement, Bank Al-Maghrib devait intervenir pour arrondir les angles en fournissant des devises au besoin et en en aspirant dans le cas contraire, dans quelle mesure est-ce que sa réserve de devises fluctue-t-elle avec le prix du dirham ?
Le point nodal de la réforme relative à la flexibilité du dirham réside dans le changement dans le fonctionnement du marché des changes. Concrètement, le socle de la réforme est de permettre aux intervenants sur le marché des changes de jouer le jeu. C’est-à-dire les achats et les ventes de devises s’effectueront sur le marché des changes entre les différentes banques de la place (salles de marchés). La banque centrale n’intervient plus comme auparavant en répondant aux besoins des banques, exprimés en volumes. Désormais, les banques doivent aussi s’exprimer en termes de prix lors des phases d’adjudication organisées par la banque centrale.
Depuis le 15 janvier 2018, nous observons un comportant normal du dirham face aux principales devises et ce pour deux raisons :
La première est relative au niveau de liquidité des banques en billets de monnaies étrangères, ce qui a limité le recours de ces dernières à la banque centrale.
La deuxième est relative au bon comportement des indicateurs du commerce extérieur qui ont enregistré des progressions positives quasi généralisées.
Quel est le comportement du dirham par rapport aux deux devises du panier de référence, le dollar et l’euro ? Quels sont les niveaux de variation du dirham par rapport à ces deux monnaies que l’on peut considérer comme avoir été consommés ?
Après une légère hausse de 0,6% depuis le début de la réforme du régime de change du 15 janvier 2018, le cours de change virement moyen de l’EURO par rapport au Dirham marocain fluctue dans un intervalle limité allant de 11,29 à 11,40 (comme illustré par le graphique suivant). Ceci implique plus de stabilité du DH par rapport à l’Euro depuis l’entrée en vigueur de cette réforme.
Concernant le cours de change virement moyen du Dollar par rapport au Dirham marocain, celui-ci a été marqué au début de la réforme par une baisse de 0,5% puis, il a fluctué dans une bande de 9,13 à 9,27.
Depuis la date de l’application du nouveau régime de change la hausse la plus élevée du cours de change EURO/Dirham par rapport à la veille de la réforme est de 1,5%.
Pour le cours de change Dollar/Dirham, la baisse la plus accentuée était de -1,5%.
Qu’en est-il de la tranche de variation de 2,5 % en plus ou en moins, depuis le début de la réforme de cotation de notre monnaie ?
Les niveaux extrêmes de la bande de fluctuations n’ont jamais été atteint depuis l’entrée en vigueur de la réforme. Cet état de fait atteste du bon timing de la réforme et ce malgré une conjoncture internationale marquée par une tension sur les politiques commerciales de plusieurs juridictions avec un impact fort et une volatilité accrue de la parité euro-dollar.
Comment se sont comportés les fondamentaux prérequis de cette réforme à savoir la balance commerciale et celle des paiements de notre pays ? Et quelle est, selon vous, leur tendance à moyen terme ?
Les chiffres disponibles et publiés par l’Office des Changes montrent une évolution favorable des indicateurs des échanges extérieurs depuis le lancement de la flexibilité le 15 janvier 2018.
En effet, durant les deux premiers mois de l’année, il y a une progression des exportations de +8,4% en moyenne tirée surtout par une progression des exportations du secteur automobile de +15% à fin février 2018 par rapport aux deux premiers mois de l’année 2017.
De même, les recettes MRE ont augmenté de +18,1% par rapport à la même période de 2017. Enfin, les recettes de voyages ont augmenté de + 28,4 % par rapport à la même période.
Sur un autre volet, le déficit du compte courant a connu un allégement significatif en passant de 4,2% en 2016 à 3,6% en 2017.
Pour ce qui est des tendances à moyen terme, nous estimons que les indicateurs des échanges extérieurs vont continuer à évoluer globalement d’une manière favorable.
En effet, toutes les politiques publiques (Plan d’accélération industrielle, plan Maroc vert, stratégie énergétique, stratégie touristique, stratégie Halieutis, etc…) convergent vers, la régulation des importations, la promotion des exportations, la promotion du tourisme et l’attraction des investissements étrangers et par conséquent, la maitrise des déficits jumeaux à savoir le déficit du compte courant et le déficit budgétaire.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli