Directeur des Etudes, de la Communication et du développement à la CNSS
M. Benamar, vous êtes Directeur des Etudes, de la Communication et du développement à la CNSS, pouvez vous exposer à nos lecteurs la genèse de la couverture des indépendants à la veille de son application ?
Les deux lois relatives à la couverture des indépendants votées en 2017 par le Parlement, sont aujourd’hui prêtes à l’application !
Il faut pourtant rappeler que cela n’a pas été une mince affaire. En effet, le processus de leur élaboration a pris du temps. Lancé en 2014, un consensus sur le contenu des projets de lois, a été trouvé par un comité interministériel, piloté par un représentant de la chefferie du gouvernement et composé par l’ensemble des parties prenantes concernées par la couverture sociale de la population active. Ce travail de rédaction des textes de lois a duré plus d’un an et demi.
Les principes retenus dans la conception de cette couverture sont les suivants :
- Un régime spécifique à caractère obligatoire, et ce pour ne pas dupliquer l’expérience de l’assurance santé « Inaya » lancée en 2007 au profit des professionnels libéraux, et ayant connu un échec puisqu’elle était facultative.
- Etanchéité financière avec le régime des salariés
- Couverture des risques majeurs maladie et retraite au profit de l’assuré et de ses ayants droits, et ce dans un souci à la fois d’efficacité en matière de protection mais aussi pour que le coût de cette couverture reste acceptable et à la portée de cette population.
- Forfaitisation des contributions par catégorie socioprofessionnelle : sur la base de benchmarks internationaux, des revenus forfaitaires seront appliqués par catégorie ou sous-catégorie socioprofessionnelle, et sur la base desquelles sera calculée la cotisation.
- Subordination du bénéfice des prestations au paiement des cotisations aussi bien pour l’AMO (comme pour les salariés) que pour la retraite.
- Progressivité dans la mise en œuvre de la couverture en commençant par les professions organisées et qui ont des organismes représentatifs ou des départements de tutelle qui centralisent l’information concernant les catégories ou sous catégories professionnelles.
Comment la CNSS appréhende-t-elle la structuration de la population des indépendants ?
Il faut savoir que les travailleurs indépendants représentent 55 % de la population active, contre 45% pour les salariés.
Ceci est une particularité de notre pays par rapport aux pays développés où les salariés représentent généralement la plus grande part de la population active.
Ainsi dans l’objectif d’arriver à une exhaustivité dans l’identification des travailleurs non salariés, gage de réussite du projet de couverture sociale de cette frange de la population active, il est important de connaitre au préalable l’ensemble des travailleurs constituant une catégorie ou sous-catégorie ou groupe de catégories.
A cet effet, les lois précitées identifient les différents organes pouvant représenter cette population. La structure désignée pour représenter une catégorie ou sous catégories des travailleurs non salariés aura pour charge notamment de communiquer la liste exhaustive des personnes actives d’une catégorie ou sous-catégorie professionnelle donnée, à l’organisme gestionnaire de la couverture sociale des travailleurs non salariés en l’occurrence la Caisse nationale de Sécurité Sociale (CNSS).
Quant aux revenus forfaitaires relatives à chaque catégorie ou sous catégorie socioprofessionnelle, et sur la base desquels seront prélevées les cotisations AMO et Retraite, seront arrêtés pour chaque catégorie ou sous catégorie par un texte réglementaire.
Pouvez vous nous présenter le régime de retraite des indépendants dans ses particularités ?
En ce qui concerne la retraite des travailleurs indépendants, le législateur a opté pour un régime de retraite à points, où la cotisation prélevée est comptabilisée en points de retraite que l’assuré continue de cumuler jusqu’à l’âge de départ à la retraite, où ces points cumulés seront convertis en pension de retraite. Alors que pour le régime de retraite des salariés, les droits à la retraite se comptent en nombres de jours.
L’autre caractéristique importante de ce régime de retraite des indépendants est qu’il ne sera pas plafonné comme celui des salariés, et leur permettra de cotiser selon leur volonté et leur capacité d’épargne, en leur donnant la possibilité de faire des rachats de points ou de cotiser sur la base d’un revenu forfaitaire supérieur à celui de leur catégorie socioprofessionnelle.
Toutefois, la loi prévoit un seuil de revenu forfaitaire au-delà duquel l’adhésion au régime de retraite est obligatoire, et en dessous duquel elle est facultative soit 1,5 du SMIG, pour tenir compte de la capacité contributive de ces assurés.
Par ailleurs, des âges différenciés de départ à la retraite sont prévus par la loi instaurant ce régime de retraite pour les indépendants.
L’âge légal de départ en retraite est de 65 ans, la possibilité de partir en retraite anticipée à partir de 60 ans, moyennant une réduction de la rente qui leur sera servie. Comme ils pourront également continuer de cotiser jusqu’à 75 ans, ce qui leur vaudra un bonus pour chaque année retardée de départ à la retraite.
De quoi faire de la retraite des travailleurs indépendants un régime moderne et flexible!
Quand et comment se fera l’entrée en vigueur des couvertures des indépendants ?
Il faut préciser que la loi 98.15 relative au régime de couverture médicale obligatoire des travailleurs non salariés a été adoptée par le Parlement en juin 2017 et publiée au Bulletin Officiel au mois de juillet. Quant à la loi 99.15 concernant le régime des pensions de la même population, elle a été adoptée au Parlement au mois de novembre dernier et elle sera bientôt publiée au Bulletin Officiel.
L’entrée en vigueur de ces deux lois est conditionnée par la publication de l’ensemble des décrets d’application les concernant, qui sont classés en deux catégories : les décrets généraux relatifs au fonctionnement du régime, et les décrets spécifiques à chaque catégorie socioprofessionnelle concernée par la couverture, et qui définissent ces catégories.
Notons qu’aujourd’hui, la majeure partie des décrets généraux prévus sont rédigés et donc prêts. Quant aux décrets spécifiques aux catégories socioprofessionnelles, et qui seront rédigés en concertation avec les représentants de ces professions, le processus est en cours avec les départements ministériels impliqués.
De son coté, la CNSS est prête à assurer la couverture médicale et sociale de cette population dès que le processus législatif sera terminé. En effet, la CNSS a adapté son système d’information et arrêté l’organisation nécessaire pour assurer cette couverture. La formation des ressources humaines est également en cours et l’ensemble des moyens nécessaires ont été mis en œuvre, en vue de mener ce grand chantier national de la couverture sociale des travailleurs non salariés.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli