M. Adil Douiri, fondateur et associé-gérant de Mutandis
La Nouvelle Tribune : M. Douiri vous venez d’annoncer les résultats de l’OPV de Mutandis, pouvez-vous les interpréter en adéquation avec la structure du capital que vous aviez mis derrière les différentes tranches de l’opération ?
Certes ! L’OPV s’est bien passée, compte tenu, surtout, de la conjoncture boursière actuelle plutôt morose avec une économie du Maroc un peu molle !
En septembre dernier, le Conseil de surveillance de Mutandis avait décidé de procéder à cette introduction en bourse, en considérant que l’on n’aurait jamais toutes les étoiles alignées et surtout que rien ne nous permettait de programmer un meilleur moment boursier. Du fait que notre entreprise sera cotée sur le long terme, l’essentiel est que le cours de vente de l’IPO soit attractif.
C’est ce que l’on a proposé, à 180 dirhams l’action avec une décote de 19% par rapport à la valeur juste, « fair value » de la société, qui est supérieure à 220 dhs.
De plus, Mutandis paye un bon dividende de 7,5 dhs pour un nominal de 100 et nous avons décidé de donner aux nouvelles actions une jouissance de début 2018, faisant profiter les nouveaux actionnaires du dividende 2018, alors même qu’ils ne nous rejoignent qu’en décembre.
Je voudrai insister sur le fait que le dividende est un composant significatif de la performance globale d’une action.
Le dividende n’est pas que du beurre sur les épinards !
Par rapport à l’espérance de gain de la bourse de Casablanca qui se situe autour de 9,3% annuels (3.3% pour le taux de l’argent sans risque plus 6% de prime de risque), le dividende de Mutandis de 4,2% sur la valeur d’introduction en bourse, constitue la moitié de cette performance attendue.
Donc, un tel dividende est déjà un bon parachute !
Ensuite, l’opération a permis de lever 1 milliard de dirhams pour 400 MDHS offerts, bien que notre road show n’ait duré que deux semaines.
Et pour cause, on n’a eu le visa de l’AMMC que le 16 novembre et l’on devait clôturer avant le 18 décembre du fait que les investisseurs étrangers ne peuvent plus faire de règlement livraison au-delà du 21 décembre à cause de « la trêve des confiseurs » de fin d’année.
Donc, en faisant un compte à rebours, la période de souscription devait être entre le 3 et le 7 décembre afin de laisser à la bourse une dizaine de jours pour les dépouillements, les allocations et les attributions, avant d’afficher les résultats de l’OPV.
Et malgré tout cela, le succès a été au rendez-vous avec un taux de sur-souscriptions de 2,5 fois.
Comment la demande de souscriptions s’est-elle répartie ?
Il vaut mieux l’analyser par typologie d’investisseurs, sachant que tous pouvaient aller dans les différentes tranches.
Ainsi, 54% de la demande relèvent des institutionnels marocains, les petits porteurs en représentent 23% et les institutionnels étrangers 23%.
Il est important de préciser que Mutandis a attiré 3200 personnes physiques contre environ 1 300 pour Immorente, 2 900 pour Total et 1900 pour AFMA.
Sur les 4 dernières OPV (en excluant la privatisation de Marsa Maroc), Mutandis a mobilisé le plus grand nombre de petits porteurs.
J’attribue personnellement ce succès à la simplicité de nos produits, les gens comprennent parfaitement ce que nous fabriquons parce que nos produits relèvent de leurs propres besoins quotidiens.
En ce qui concerne les tranches de l’OPV, c’était un montage technique qui a été fait pour allouer significativement les investisseurs étrangers, lesquels, dans la perspective d’être écrasés dans l’allocation, ne seraient pas venus et auraient préféré se servir ultérieurement sur le marché.
Or, nous voulions des étrangers dans cette IPO, tout comme, de concert avec l’AMMC, nous voulions également attirer les petits porteurs.
Et donc, pour les servir suffisamment , on leur a consacré une tranche (tranche III) avec deux barrières : 10 MDHS minimum de mise et l’obligation de rester « verrouillés » dans le capital pendant 3 mois.
Cela a marché et le taux de satisfaction des demandes de la tranche III a été de 76% contre seulement 34% pour la tranche II (institutionnels marocains de plus de 10 MDHS verrouillés 3 mois) et 36% pour la tranche grand public (tranche I).
Quelle est la structure du capital après l’OPV ?
Le groupe d’actionnaires stables (« noyau dur ») de Mutandis représente de 34% de son capital, après l’actuelle augmentation de capital.
Les actionnaires concernés sont Adil Douiri, Label’Vie, les entités du groupe FinanceCom et Améthis.
Avec la précision que M. Douiri et Améthis Finance, du groupe Rothschild, ont souscrit lors de l’OPV pour ne pas être dilués.
Le second tiers du capital est détenu par des anciens actionnaires qui sont près de 60 aujourd’hui, nombre qui a crû au gré de plusieurs opérations successives d’augmentation de capital à partir de 2008.
Le troisième tiers du capital appartient aux nouveaux arrivants à l’occasion de l’IPO Et les nouveaux investisseurs étrangers en représentent 8 %.
Mais le principe est de considérer ces deux dernières catégories d’actionnaires comme constituant le flottant de la valeur Mutandis.
Donc 65% du capital de Mutandis cotés à la bourse de Casablanca en constituent le flottant ?
En effet, mais s’il s’agit d’une vraie innovation pour le Maroc, c’est un usage courant sur les autres marchés boursiers développés où on ne garde plus que la minorité du capital pour gouverner.
Partant du principe qu’une vraie société cotée doit avoir un cours liquide qui permet autant d’opérations d’achat et de vente que possible pour que le cours de bourse reflète la réalité de la valeur de la société.
Pour qu’une société soit liquide et qu’elle traite avec fluidité, il faut qu’elle ait un flottant suffisant en dirhams ; dans le cas de Mutandis 65% de flottant signifient 1 milliard de dirhams de flottant.
Il n’y a aucun lien entre l’existence d’un flottant suffisant et l’évolution à la hausse ou à la baisse d’un cours de bourse. Un flottant suffisant garantit simplement qu’un cours de bourse reflète bien les anticipations du marché.
Il garantit aussi que les investisseurs étrangers ne sont pas découragés par avance par l’illiquidité et investissent dans la valeur.
Il faut savoir qu’à la bourse de Casablanca, il y a un indice pondéré par le flottant où Mutandis sera autour de la 20ème place sur 75 sociétés cotées en termes de liquidité, alors qu’en capitalisation, (c’est-à-dire sa valeur globale), elle occupe environ le 40ème rang.
Mais sachez que tout de même dans ce flottant, il doit y a un peu de « faux flottant », à savoir des actions de fond de portefeuille conservées par les institutionnels marocains qui, ayant demandé 540 MDHS sur le milliard levé, ont été alloués à environ 200 MDHS.
Ils sont connus pour être des investisseurs de moyen et long terme qui se rémunèrent par le rendement du dividende.
M. Douiri, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs, pourquoi avez-vous fait le choix juridique de la société en commandite par actions ?
La commandite par actions est la forme juridique qui permet de concilier deux objectifs généralement inconciliables, celui de multiplier les augmentations de capital pour grandir vite et celui de stabiliser la gouvernance, alors que les SA marocaines ont souvent un propriétaire qui est actionnaire à 51% au minimum et qui contrôle.
De ce fait, lui-même, bride, voire ralentit la croissance de sa société pour ne pas perdre la propriété de son capital.
Dans le cas de Mutandis et du fait de sa forme juridique, la croissance a été rapide sans que son fondateur n’ait à mettre plus de capital, grâce à la multiplication des commanditaires (les actionnaires) et de leurs apports.
La commandite permet de réaliser l’objectif de grandir vite par appel de capital régulier.
Sachez que la commandite est extrêmement utilisée dans les pays anglo-saxons où les « Limited partners » sont les commanditaires et les «general partners » sont les commandités/gérants.
Par exemple les OPCI américains, les « Real Estate Investment Trusts » sont le plus souvent des sociétés en commandite cotées en bourse.
En France, il y a de très grandes sociétés en commandite par actions comme Michelin (leader mondial du pneumatique) dont le commandité est la famille Michelin avec quelques pourcents du capital uniquement.
Lagardère, qui possède Hachette et se trouve à la tête de plusieurs médias, est aussi une SCA cotée à la bourse de Paris.
Je recommande cette forme juridique pour les entrepreneurs marocains qui veulent croître, à l’image des familles Michelin et Lagardère qui ont fondé de beaux groupes
Comment la SCA que vous avez fondée en 2007, a-t-elle fait évoluer son portefeuille ?
Je rappelle que l’on a commencé à 15 actionnaires et qu’aujourd’hui nous étions 60 avant l’opération boursière, ce qui nous a permis de réaliser nombres d’acquisitions !
C’est ainsi que Mutandis a acheté des marques comme Maxis de Lesieur ou encore Marrakech de Citruma-Delassus, mais aussi des entreprises en bonne santé dont les héritiers ne voulaient plus et d’autres en difficultés.
Puis, partis des produits de consommation courante, nous sommes allés vers les produits de consommation durables, avec l’acquisition de l’importateur exclusif des marques SEAT et Honda.
Mais, avant l’OPV et pour clarifier et simplifier nos activités, le Conseil de Mutandis a décidé d’opérer une scission de notre SCA en deux entités, tout en maintenant les commanditaires dans les deux.
L’une, Mutandis, garde les biens de consommation courante et l’autre se consacre aux biens de consommation durables, pour n’introduire en bourse que la première.
Pouvez-vous nous exposer les activités de la Mutandis cotée en bourse, et leur évolution ?
Mutandis dispose de 4 lignes de produits que sont les détergents, les produits de la mer, les bouteilles et les bouchons pour boissons alimentaires et les jus de fruits.
Elles sont à des stades de maturité différents les unes des autres.
La moins mature de nos activités, c’est celle des jus de fruits qui est pour nous une start-up.
L’activité est récente, elle a été acquise en février 2017 et a été entièrement transformée, des recettes au packaging. Elle vient d’être relancée dans sa nouvelle mouture en mai 2018 et nous apprenons à la vendre par nos camions de distribution qui regroupent plusieurs de nos produits et les proposent aux épiciers, lesquels constituent 80% des détaillants au Maroc et sont nos principaux clients.
La seconde activité, c’est celle des produits de la mer, acquise en janvier 2016. Elle est en pleine modification et transformation. Elle connait un virage commercial qui consiste à changer progressivement de clientèle en allant vers les pays où les marges et les prix de vente sont plus importants comme le Maroc et l’Arabie Saoudite l’Europe ou les États-Unis, à l’opposé de l’Afrique subsaharienne où le pouvoir d’achat est plus faible, d’autant que le poisson est une denrée rare dans le monde.
Les détergents, pour leur part, ont dépassé leur phase de transformation et sont en phase de croissance assez linéaire par addition de nouvelles gammes et de camions supplémentaires de vente aux épiciers.
Nous produisons à Berrichid dans une usine pour la poudre et une seconde pour les liquides.
La dernière activité, la plus mature, est celle des bouteilles et bouchons, qui est une activité assez lisse depuis 2010, qui grandit au rythme du développement des boissons alimentaires au Maroc.
M. Douiri, quels messages voudriez-vous faire passer en conclusion ?
Premièrement, il est important pour notre pays que les entrepreneurs soient ambitieux et aient la volonté de grandir.
Deuxièmement, pour se développer sans relâche, il faut se constituer un capital solide et il ne faut pas limiter le capital à la profondeur de sa poche personnelle.
Troisièmement, pour ce faire, il faut trouver les montages juridiques adéquats pour satisfaire ses ambitions.
Et quatrièmement, il est très important de s’entourer des meilleures ressources humaines, choisir les personnes à même de faire preuve de compétences sur le terrain, qui n’hésitent pas à retrousser leurs manches, aller dans les usines, travailler pour développer.
Ce sont les principes et les valeurs qui ont guidé Mutandis depuis 10 ans. Et, comme nous l’avons promis au marché, nous continuerons à nous développer dans ces mêmes activités comme un petit Unilever, un petit Nestlé…
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
Les résultats financiers de Mutandis
La SCA abrite les fonctions communes comme la Direction générale et la Direction administrative et financière et ses activités sont filialisées. C’est une holding de pilotage du groupe et de remontée des dividendes.
Pour les résultats financiers qui sont consolidés, pour 2018, l’EBE, (Excédent Brut d’Exploitation), qui est la marge opérationnelle, est attendu autour de 183 millions de dirhams .
Les détergents devraient être les premiers contributeurs avec 82 MDHS sur les 183, les produits de la mer y participeraient pour 63 Mdh, les bouteilles pour 45 Mdhs et les jus de fruits pour 4 Mdhs.
Ces résultats sont tous en hausse par rapport à l’année 2017.
Pour ce qui est du chiffre d’affaires, les prévisions 2018 sont de 564 MDH pour les détergents , 489 Mdh pour les produits de la mer, 245 Mdh pour les bouteilles et autour de 60 Mdh pour les jus de fruits .
A.D
Répartition des résultats de l’OPV :
Les 215 millions de dirhams de l’OPV vont être utilisés essentiellement pour construire de nouvelles usines.
Ce montant permettra de lever de la dette, les 215 Mdh de fonds propres deviendront 300 Mdh de capacité d’investissement supplémentaire qui seront alloués à des usines additionnelles.
Le groupe a besoin de lancer d’autres catégories de produits d’hygiène du fait qu’il ne couvre que 65 % des catégories offertes sur le marché marocain..
Mutandis compte donc créer de nouvelles usines clés en main, une dans l’hygiène, une de valorisation des coproduits de la mer, une pour l’embouteillage et les bouchons parce que l’unité actuelle sature.
Toutes ces unités seront lancées à court terme.
Notons que Mutandis est endetté à hauteur de 40% de son passif, contre 60% de fonds propres.
Une structure de passif stabilisée d’ailleurs, depuis plusieurs années.
A.D