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M. Paul Vermot
Dans le cadre de la Science Week organisée récemment par l’Université Mohammed VI Polytechnique de Ben Guerir, Paul Vermot, enseignant à la Haute Ecole Arc Santé en Suisse, aborde pour nos lecteurs les perspectives de développement que l’Intelligence Artificielle offre au secteur de la Santé, notamment au Maroc.
La Nouvelle Tribune : Quels sont les bénéfices concrets que l’IA pourrait apporter au système de santé marocain ?
Paul Vermot : Pour commencer, l’intelligence artificielle permet de traiter un grand volume de données et de croiser diverses sources d’informations, ce qui peut aider à affiner le diagnostic médical. Par exemple, elle offre aux médecins – quelle que soit leur spécialité – ainsi qu’aux professionnels paramédicaux, un support précieux dans l’analyse des symptômes et le suivi des traitements.
Un autre avantage important concerne la gestion administrative. L’IA peut alléger la charge liée à la tenue des dossiers, la rédaction de résumés de consultations ou la génération de courriers destinés à d’autres professionnels, en apportant ainsi un soutien technique et administratif dans les structures de santé.
Enfin, l’IA ouvre des perspectives d’accompagnement direct du patient. Elle peut fournir, avant ou après une consultation, des réponses préliminaires à des questions générales ou orienter vers des informations complémentaires, améliorant ainsi la relation de suivi.
Quels risques éthiques et réglementaires l’usage de l’IA en médecine soulève-t-il au Maroc ?
L’utilisation de l’IA en médecine implique de repenser plusieurs aspects éthiques et réglementaires. D’une part, la récente évolution législative au Maroc nous oblige à aborder la protection des données personnelles et la souveraineté numérique. Il s’agit notamment de veiller à ce que les informations sensibles des patients ne soient pas stockées dans des data centers situés dans des pays tiers, en assurant une régulation stricte de l’accès à ces données.
D’autre part, il est primordial de garantir un recueil éclairé du consentement, tant pour les professionnels que pour les patients, afin que le traitement de leurs données se fasse en toute transparence. Cela nécessite des réflexions éthiques approfondies, permettant de peser les avantages et les risques de chaque option et d’adopter des stratégies conformes aux exigences de protection et de transparence.
Comment garantir que l’intelligence artificielle reste un outil au service des soignants sans déshumaniser la relation patient-médecin ?
La clé est de maintenir le contrôle humain à chaque étape de l’utilisation de l’IA. Il est essentiel que les décisions critiques ne soient jamais entièrement déléguées à la machine : l’humain doit toujours avoir le dernier mot dans le processus décisionnel.
Par ailleurs, il convient de définir précisément ce que l’on entend par « déshumanisation ». L’objectif est de permettre aux patients de bénéficier d’un contact chaleureux et personnalisé, même lorsque certains aspects du processus de soin s’appuient sur l’IA. Par exemple, utiliser des voix de professionnels connus ou personnaliser les interactions peut contribuer à atténuer l’aspect froid et mécanique de ces outils.
Actuellement, la population reste sensible au maintien du contact humain, et il faudra donc intégrer ces technologies de manière progressive pour préserver l’essence de la relation patient-médecin.
Quels sont les besoins spécifiques en formation pour que les étudiants en santé puissent maîtriser l’IA dans leur pratique future ?
Il est fondamental que les futurs professionnels de la santé acquièrent une compréhension globale de l’intelligence artificielle : comment elle fonctionne, quelles sont ses limites et ce qu’elle peut réellement apporter en termes d’optimisation des pratiques médicales.
Il s’agit notamment de déconstruire les mythes autour d’une machine « magique » qui résoudrait tous les problèmes, et d’apprendre à utiliser l’outil de manière critique et raisonnée. Je compare souvent l’IA au sel dans une recette : elle vient renforcer et optimiser les compétences des professionnels, sans pour autant remplacer leur jugement.
Par ailleurs, la formation doit être progressive et axée sur des compétences transversales, afin de préparer les étudiants à utiliser une gamme d’outils en constante évolution. Actuellement, les solutions spécialisées en santé sont encore en phase de développement, ce qui implique de former les étudiants à tester, évaluer et intégrer ces technologies dans leur pratique future. La peur de l’IA est légitime lorsqu’un outil mal compris ou imposé apparaît comme une menace, mais tout comme un couteau peut être à la fois utile et dangereux selon son usage, c’est notre capacité à l’utiliser de manière éclairée qui déterminera sa valeur.