Les trois principaux groupes bancaires de la place financière casablancaise, Attijariwafa bank, BMCE Bank of Africa et Banque Populaire lancent en même temps des émissions obligataires subordonnées de 1,5 milliard de dirhams pour la première, un milliard pour la seconde et deux milliards de dirhams pour la troisième.
L’importance de ces montants montre que leurs besoins de financement sont stratégiques et qu’il s’agit, pour les banques de notre pays, de renforcer leurs fonds propres.
C’est pourquoi elles recourent à des émissions d’obligations subordonnées assimilées à des quasi-fonds propres, mais aussi à des obligations subordonnées perpétuelles, carrément admises par Bank Al-Maghrib comme des fonds propres.
La nouveauté réside dans le fait que des détenteurs de dettes partagent avec les actionnaires cette catégorie de ressources bancaires qui était jusque-là exclusivement détenue par les actionnaires.
Et pour cause, puisqu’il s’agit pour les banques de minimiser le coût du capital dont la rémunération des actionnaires est très élevée, entre 10 et 15 %, contre un peu plus de 6% pour les obligations subordonnées perpétuelles. C’est là un taux très attractif en période de baisse des taux quand les obligations subordonnées à durée limitée sont assortie uniquement du taux du marché.
Pour mieux comprendre la stratégie de financement des banques, nous avons posé trois questions à M. Ismail Douiri, Directeur Général d’Attijariwafa bank.
La Nouvelle Tribune : M. Douiri, AWB vient de lancer une émission obligataire subordonnée. Cet outil de refinancement bancaire est utilisé de façon récurrente par les trois grandes banques de la place. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs dans quelle mesure les banques ne devraient-elles pas avoir recours à une augmentation de capital ? Que dit la réglementation de BAM en matière de proportion des obligations subordonnées dans les fonds propres compte tenu du coût élevé actuel du risque bancaire ?
Quels sont les ratios mis en place pour la surveillance de la santé financière des banques? La prochaine entrée en vigueur de Bâle III ne viendrait-elle pas chambouler la structure des capitaux propres de nos banques?
M. Ismaïl Douiri :
Les évolutions introduites par le dispositif bâlois ont impacté la quantification des risques encourus par les banques, (élargissement de l’assiette des risques, sophistication des méthodes), mais aussi la composition des fonds propres prudentiels qui devront être mobilisés en couverture de ces risques. En effet, les directives préconisées par le Comité de Bâle et adoptées par Bank Al-Maghrib, couvrent également la nature des instruments qui composent les fonds propres, les critères de leur éligibilité et les seuils miniums exigés. Il faut savoir que le secteur bancaire marocain est d’ores et déjà soumis aux règles de Bâle III dont le dispositif est entré en vigueur depuis janvier 2014 et impose que :
• Les fonds propres éligibles en couverture des risques peuvent être segmentés en 3 catégories :
– Les fonds propres de base, (CET1 : Commun Equity Tier1) sont principalement composés du capital social et des réserves constituées par le cumul des bénéfices non distribués
– Les fonds propres additionnels (AT1 : Additional Tier 1) sont composés des dettes subordonnées perpétuelles (rang inférieur à une dette subordonnée à durée déterminée), avec un mécanisme d’absorption de pertes. La somme de CET1 et d’AT1 constitue les fonds propres de catégorie 1
– Les fonds propres de catégorie 2 (Tier 2) sont composés des dettes subordonnées dont la maturité originale est supérieure ou égale à 5 ans
• Les fonds propres de catégorie 2 (Tier 2) sont limités à 3% des risques pondérés portés par un établissement de crédit, alors que les fonds propres de catégorie 1 doivent être supérieurs à 9% des risques pondérés. Et la somme des trois catégories de fonds propres doit être supérieure à 12% des risques pondérés.
Sachant que le coût de chacun des compartiments dépend à chaque instant de l’environnement de taux, de la prime de risque de l’émetteur et d’une prime liée à la nature de l’instrument. Ainsi le capital (CET1) coûte plus cher qu’AT1, lequel, à son tour, dépasse le coût la dette subordonnée
La politique du groupe Attijariwafa bank consiste à optimiser la structure de capital dans le cadre des limites réglementaires. Les émissions de dettes subordonnées ont été initiées depuis plus de 10 ans et se font à une fréquence régulière pour accompagner la croissance des risques. De la même manière, pendant cette même période, les fonds propres de base (CET1) ont augmenté progressivement à travers le report à nouveau des bénéfices non distribués, et plusieurs augmentations de capital (par conversion optionnelle de dividendes ou réservées aux salariés).
Enfin, en décembre 2016, Attijariwafa bank a été la première banque marocaine à inaugurer la nouvelle catégorie de fonds propres créée par Bâle III : AT1, à travers une émission réussie de 500 MDH sous forme de dette subordonnée perpétuelle avec mécanisme d’absorption de pertes.
• Le dispositif prudentiel mis en place par BAM pour garantir la solidité financière des banques couvre plusieurs aspects dont la solvabilité comme expliqué ci-dessus, mais aussi la liquidité avec une exigence au niveau du ratio LCR (Liquidity Coverage Ratio) minimale de 70% qui convergera vers les 100% à partir de juillet 2019 et la concentration limitant le total des engagements sur un groupe d’affaire à 20% des Fonds propres réglementaires.
Les banques utilisent depuis peu un autre type de mécanisme de refinancement, celui des obligations subordonnées perpétuelles.
Pourquoi cette variante, laquelle s’avère plus coûteuse ? Est-ce parce qu’elles ont épuisé le quota d’émissions subordonnées à durée limitiée? Est-ce parce que celles-ci s’assimilent à une augmentation de capital de part leur stabilité sur le long terme? Ces obligations perpétuelles seraient-elles susceptibles d’être converties en capital ?
Le coût des obligations subordonnées perpétuelles est certes plus élevé que celui d’une émission subordonnée à durée déterminée, mais il est plus faible que le coût du capital, soit le rendement total attendu par l’actionnaire, même s’il ne constitue pas un coût sur le plan comptable pour la banque. Donc, le recours à ce nouveau type d’émission subordonnée perpétuelle n’est pas une conséquence de l’épuisement du quota des émissions subordonnées, il est motivé par la volonté de diversifier les instruments composants les Fonds Propres prudentiels dans le respect des critères d’éligibilité et des seuils fixés par BAM.
Par définition, la dette subordonnée perpétuelle avec mécanisme d’absorption de pertes, est un instrument hybride, qui se comporte comme une obligation le plus souvent, offrant ainsi aux porteurs un rendement connu d’avance et qui peut se transformer en action si les ratios réglementaires de la banque émettrice se dégradent brutalement et significativement.
C’est pourquoi, sur le plan réglementaire, cet instrument entre dans les fonds propres Tier 1 et les obligations subordonnées perpétuelles sont plus proches du traitement réglementaire des actions que de celui de la dette subordonnée. Et c’est ce qui fait son intérêt à la fois pour les porteurs et pour les émetteurs.
Toutefois, les obligations subordonnées perpétuelles ne sont pas assimilées à une augmentation de capital à leur émission, elles ne peuvent être converties en capital qu’en cas de déclenchement d’un évènement de baisse importante du ratio Tier 1.
Le Groupe AWB enchaine une émission perpétuelle et une obligataire subordonnée, le total atteint 13 milliards de dirhams pour un capital de 10 milliards de dirhams à fin 2016, pouvez-vous nous expliquer s’il y a une sécheresse de liquidités bancaires ou si le groupe doit faire face à d’importants investissements, et lesquels ?
S’agissant des 10 milliards, vous faites sans doute référence à la ligne « Capital et Réserves Liées » du bilan consolidé au 31-12-16. Ce chiffre ne capture pas l’intégralité des fonds propres réglementaires. Les Fonds Propres de base (CET1) du groupe AWB, tenant compte des déductions prudentielles, s’élèvent à 36,1 milliards de dirhams à fin 2016 (cf. document Pilier 3, disponible sur http://ir.attijariwafabank.com). Les émissions réalisées par le groupe Attijariwafa bank ont pour objectif d’accompagner la croissance organique du groupe ainsi que sa croissance externe. Elles font partie d’un dispositif complet et permanent de planification de l’évolution des différents types de fonds propres prudentiels, qui tiennent compte de nos anticipations sur les 18 prochains mois de l’évolution de nos risques pondérés ainsi que des changements réglementaires annoncés.
Une telle démarche nous permet d’assurer la conformité de nos ratios réglementaires et de maintenir un dialogue anticipatif, quantifié et rigoureux avec nos régulateurs, nos organes de gouvernance et nos actionnaires.
Tous les instruments discutés sont des instruments de capital. Ils ne sont pas émis dans des objectifs d’amélioration de la liquidité, mais de renforcement des fonds propres réglementaires. Ainsi, le programme des émissions de dettes subordonnées perpétuelles ou à durée déterminée est réalisé dans le cadre du pilotage des fonds propres et non de la liquidité. Celle-ci est pilotée par d’autres mécanismes non éligibles aux fonds propres réglementaires comme les Certificats de dépôt, les dettes séniors non subordonnées, etc…
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli