M. Tarik Senhaji, DG de la Bourse de Casablanca
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
Face au grand enthousiasme créé sur le marché boursier par l’OPV de CFG Bank, la question de comment perpétuer cette dynamique, interpelle les sociétés de bourse, les OPCVM, les institutionnels et les personnes morales et physiques dont les petits porteurs. Le management de la Bourse, fier de cet évènement, en la personne de son directeur général, M. Tarik Senhaji, a accepté de nous exposer son point de vue dans l’interview qui suit.
La Nouvelle Tribune : M. Senhaji, je vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions après le très grand succès de l’introduction en bourse de CFG. Pouvez-vous nous dire comment les appréciez-vous, au-delà de la réussite pour CFG Bank elle-même, en tant que Directeur de la Bourse de Casablanca ?
M. Tarik Senhaji : Le succès de l’introduction en bourse de CFG Bank et ses résultats exceptionnels confirment ce en quoi nous croyons profondément : la Bourse de Casablanca dispose d’une forte capacité à mobiliser massivement et rapidement l’épargne, ainsi qu’à la structurer et à l’orienter vers des secteurs stratégiques de l’économie nationale et des entreprises en quête d’un surplus de croissance.
Pour preuve, depuis 2020, la Bourse de Casablanca a permis de mobiliser des demandes de souscription de plus de 50 milliards de MAD, et des levées de fonds de près de 10 milliards de MAD.
Dans le contexte économique actuel d’un Maroc qui amorce une dynamique d’investissement forte et accélérée dans le cadre des ambitieux objectifs, notamment ceux du Nouveaux Modèle de Développement, il devient plus qu’évident que ce puissant outil de financement pour les entreprises et d’investissement pour le public, doit être priorisé pour permettre à notre pays d’atteindre une croissance économique inclusive, à la hauteur de ses ambitieux.
Les résultats de cette OPV ont révélé des chiffres impressionnants des souscriptions qui atteignent des milliards (23 MMDHs), qui se distribuent presque égalitairement entre les institutionnels et les personnes physiques, démontrant une grande profondeur du marché, pouvez-vous partager avec nos lecteurs vos appréciations de ces derniers ?
Notre marché a toujours été caractérisé par une forte demande de la part des investisseurs.
Les institutionnels et les gestionnaires d’actifs, qui représentent les principaux intervenants sur notre marché, ont toujours accompagné les levées de fonds des entreprises en souscrivant massivement aux opérations.
Depuis 2020, nous constatons un appétit de plus en plus grand de la part des particuliers : TGCC en 2021 a mobilisé près de 12 000 investisseurs avec une demande plus de 22 fois supérieure à l’offre, et CFG Bank en 2023, a doublé ce chiffre avec près de 24 000 souscripteurs et une demande 35 fois supérieure à l’offre.
Sans oublier les investisseurs internationaux qui ne manquent pas de nous rappeler, à chaque fois que nous les rencontrons, qu’ils souhaitent investir dans les projets de croissance du Maroc et qu’ils attendent que le marché boursier leur donne l’opportunité d’y accéder.
Nous ne pouvons pas rester indifférent à cette nouvelle tendance. Notre marché est profond et regorge de liquidités qui ne demandent qu’à rencontrer des entreprises et des projets de croissance, aussi bien privés que publics.
M. Senhaji, l’OPV de CFG Bank n’a-t-elle pas réveillé l’intérêt pour la bourse en tant qu’outil de financement de la croissance ? Comment le management du marché compte-t-il rebondir pour capter cette manne d’argent potentielle et l’orienter vers l’investissement et la croissance des entreprises en général et des sociétés cotées en particulier ?
La confiance actuelle des investisseurs en le marché boursier est le résultat d’un travail que nous avons effectué durant des années : un système d’information résilient, une implication forte dans le domaine de l’éducation financière et la vulgarisation des concepts boursiers, la promotion, la diffusion de l’information, l’accompagnement des entreprises…. ainsi que d’une réglementation favorable.
Cela dit afin que la Bourse devienne une priorité nationale, la mobilisation de l’ensemble de notre écosystème est vitale. D’ailleurs, c’est l’approche que nous avons adopté dans la mise en place, récemment, de notre feuille de route commune avec la CGEM. Cette feuille de route, qui vise à la dynamisation du marché boursier, bénéficie du soutien de l’AMMC et est le fruit d’une approche consultative et fédératrice de l’écosystème lié à l’entreprise et son financement (Association APE, APSB, ASFIM, AMIC et conseillers financiers). Pour y parvenir, il est indispensable de renforcer le soutien institutionnel, développer le cadre incitatif, accompagner les entreprises privées et publiques et déployer une communication pour une meilleure visibilité du marché.
Aujourd’hui, il est question de rebondir sur le succès de cette dernière opération afin d’ancrer le potentiel de financement de la bourse dans l’esprit des chefs d’entreprises et les aider à franchir ce pas.
A cet égard, quelles sont les perspectives du marché pour 2024, avez-vous établi une nouvelle stratégie ?
Nous poursuivrons nos efforts afin de donner une nouvelle dimension à la Bourse de Casablanca. Dans ce sens, nous œuvrons à déployer des projets innovants à fort impact. Parmi ces projets : la création du Marché à Terme et de la Chambre de Compensation afin que le marché dispose d’outils de gestion de risque. Nous œuvrons également à lancer de nouveaux produits cotés tels que les OPCI susceptibles d’intéresser les investisseurs.
Par ailleurs et afin de quadrupler le nombre des entreprises cotées à horizon 2035, comme préconisé par le Nouveau Modèle de Développement, nous poursuivrons la réalisation de plusieurs actions et lancerons plusieurs projets et initiatives destinés à améliorer l’accessibilité de la Bourse. Mais pour pouvoir atteindre ces objectifs, il est nécessaire de mobiliser l’ensemble des parties prenantes de notre écosystème et de faire adhérer le tissu économique national. Il est également vital que les entreprises publiques et les grands chantiers nationaux utilisent le marché boursier pour se financer !
Aujourd’hui, les entreprises cotées à la Bourse de Casablanca contribuent à plus de 15 milliards de MAD d’investissement par an, soit l’équivalent de 25% de l’investissement privé à capital marocain. Nous sommes convaincus que notre forte capacité à mobiliser l’épargne permettra de financer en partie les besoins significatifs d’investissement du Maroc, estimés à 300 milliards de dirhams à l’horizon 2026, ainsi que dont les 2/3 doivent provenir du secteur privé, tel que préconisé par la nouvelle Charte de l’Investissement.
En somme, pour que la Bourse contribue efficacement à la réalisation d’une croissance économique inclusive, durable et génératrice d’emplois et de richesse pour le Maroc, il est essentiel qu’elle soit élevée au rang de véritable priorité nationale.