
Madame Ouafae Mriouah, Directrice Générale de la SCR
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
Madame Ouafae Mriouah est une des rares femmes à la tête d’une entreprise clé du secteur financier national.
Diplômée de l’École Mohammadia des Ingénieurs, Ouafae Mriouah a entamé sa carrière dans les domaines de la transformation organisationnelle et digitale, d’abord à la BMCI, avant de rejoindre le Groupe CDG en 2000.
Elle a ensuite joué un rôle clé dans le projet de création de CDG Capital, la banque d’investissement du groupe, y occupant plusieurs postes de leadership.
En 2013, elle est nommée Directrice Générale de CDG Capital Gestion, filiale spécialisée dans la gestion OPCVM, tout en assumant la fonction de Directrice Générale Déléguée de CDG Capital, supervisant l’ensemble des activités de marchés des capitaux et d’asset management.
En juillet 2023, riche de son expérience diversifiée et de son leadership reconnu, Ouafae Mriouah est nommée Directrice Générale de la Société Centrale de Réassurance (SCR), filiale stratégique du Groupe CDG, avec pour ambition de renforcer son positionnement de leader national et régional dans le secteur de la réassurance.
Administrateur certifié de sociétés, elle combine expertise en gouvernance d’entreprise, gestion des risques et stratégie financière, faisant d’elle une dirigeante de référence dans son domaine.
Dans cet entretien, elle revient sur le rôle essentiel de la réassurance pour la stabilité du marché des assurances, l’ambition du Maroc en Afrique et les défis stratégiques de la SCR.
Elle partage également son expérience en tant que femme dirigeante dans un secteur encore largement masculin et souligne l’importance d’un leadership inclusif et de la diversité pour bâtir des entreprises plus performantes et innovantes.
Qu’est-ce que la réassurance, et pourquoi est-elle essentielle pour le Maroc ?
Madame Ouafae Mriouah : La réassurance joue un rôle fondamental dans l’écosystème assurantiel. Elle consiste à assurer les compagnies d’assurance elles-mêmes, leur permettant ainsi de mieux gérer les risques qu’elles couvrent.
Lorsqu’un assureur souscrit un contrat pour un client – qu’il s’agisse d’un particulier ou d’une entreprise – il prend un engagement financier en cas de sinistre. Mais certains risques sont trop importants pour être supportés seuls, que ce soit en raison de leur fréquence élevée ou de leur sévérité, notamment dans le cas des catastrophes naturelles, des grands accidents industriels ou des crises sanitaires.
C’est là qu’intervient la réassurance : elle permet aux assureurs de transférer une partie des risques à un réassureur, qui mutualise ces engagements à l’échelle internationale. Ce mécanisme garantit la stabilité financière du secteur, assure la continuité du marché et protège l’économie locale.
Au Maroc, renforcer la réassurance locale est un enjeu stratégique. Elle permet de : sécuriser les capacités financières des assureurs nationaux ; de conserver les capitaux dans le pays et les investir dans l’économie marocaine ; de réduire la dépendance aux marchés internationaux et enfin de développer un marché national et régional plus résilient.
En d’autres termes, une réassurance forte signifie un secteur des assurances plus solide et une meilleure protection pour l’ensemble de l’économie.
Quels sont les principaux domaines d’intervention de la SCR que vous dirigez ?
La SCR intervient dans deux grandes catégories de réassurance : la réassurance vie et la réassurance non-vie. La réassurance vie couvre tout ce qui concerne la protection des individus : assurances décès, invalidité, santé, ou encore retraite. L’objectif est de garantir aux assureurs une stabilité financière face aux engagements qu’ils prennent sur le long terme. La réassurance non-vie englobe une large gamme de risques liés aux biens et aux responsabilités : incendies, catastrophes naturelles, risques industriels, transports, et même le secteur agricole.
Nous avons développé une expertise ciblée dans des secteurs stratégiques comme l’énergie et l’industrie, où les risques sont particulièrement élevés, notamment dans les raffineries, les centrales électriques et les usines. La santé également, où nous accompagnons les assurances pour proposer des couvertures adaptées aux besoins croissants de la population.
Ainsi que les grandes infrastructures (ports, aéroports, lignes ferroviaires), qui nécessitent des solutions spécifiques pour couvrir les différentes phases des projets.
Mais notre rôle ne se limite pas à la simple couverture des risques. Nous proposons aussi un accompagnement personnalisé aux compagnies d’assurance en mettant à leur disposition des outils de modélisation des risques, des analyses de marché et des formations spécialisées. L’objectif est d’anticiper les crises plutôt que de simplement réagir après leur survenue.
Quelle est la place du Maroc sur le marché africain de l’assurance et de la réassurance ?
Le Maroc occupe aujourd’hui une place de premier plan sur le marché africain de l’assurance et de la réassurance. Il est le deuxième marché du continent en matière d’assurance, après l’Afrique du Sud. En 2023, le marché marocain des assurances représentait 8,7 % des primes d’assurance totales en Afrique.
Concernant la réassurance, la SCR est l’un des principaux réassureurs africains. En 2023, nous nous sommes classés troisième sur le continent, enregistrant un chiffre d’affaires de plus de 3,5 milliards de dirhams.
Cette position stratégique du Maroc repose sur la solidité de son secteur financier, la présence d’acteurs majeurs à l’échelle régionale et une régulation qui favorise un développement structuré du marché.
Nous œuvrons activement pour renforcer l’intégration du marché africain de l’assurance, notamment à travers des initiatives visant à harmoniser les régulations et à encourager l’innovation.
Quels sont les grands chantiers de la SCR pour les années à venir ?
Notre plan stratégique repose sur trois axes majeurs. Le premier est de se développer au Maroc et en Afrique : nous voulons renforcer notre ancrage local tout en poursuivant notre expansion en Afrique, en étant un partenaire privilégié pour les assureurs.
Nous souhaitons également optimiser notre performance et notre solidité financière : cela passe par une meilleure gestion des risques, une adaptation aux évolutions réglementaires et une optimisation de nos processus internes.
Enfin, il s’agit pour nous d’accélérer la digitalisation par l’exploitation des données, l’amélioration des processus de souscription et la gestion des sinistres, qui sont des leviers essentiels pour renforcer notre compétitivité.
En tant que femme dirigeante dans un secteur encore largement masculin, quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Le secteur de la réassurance, comme l’ensemble du domaine financier et assurantiel, reste encore largement masculin, bien que l’on observe une évolution vers plus de diversité. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes accèdent à des postes de responsabilité, ce qui est un signe positif pour l’avenir.
Diriger une entreprise comme la SCR implique une vision stratégique, une capacité à fédérer et à relever des défis dans un environnement en transformation. Plus que la question du genre, ce sont les compétences et l’engagement qui doivent primer.
Cela dit, cette responsabilité m’a permis de démontrer que la diversité est une force, en apportant une approche du management axée sur la performance et la bienveillance, favorisant ainsi la collaboraion et l’innovation.
Bien sûr, le chemin n’est pas sans obstacles, mais chaque défi représente une opportunité d’apprentissage et de dépassement de soi. Mon engagement est de continuer à faire évoluer la SCR vers l’excellence, tout en contribuant à la transformation du secteur avec une vision inclusive du leadership.
L’un des enjeux majeurs est d’inspirer et d’accompagner l’émergence de nouveaux talents, sans distinction de genre. Mon rêve est que, demain, la présence des femmes à des postes de direction générale ne soit plus une exception, mais une réalité naturelle.