
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
Forte d’une vision stratégique et d’un engagement marqué en faveur du développement économique et social, Madame Nadia Fettah, ministre de l’Économie et des Finances, met en lumière, dans cet entretien, les avancées du Maroc en matière de gouvernance économique et de protection sociale.
À travers ses réponses, elle insiste sur le rôle déterminant des femmes dans la transformation du pays et les encourage à s’affirmer pleinement dans les sphères économiques et politiques. Pour elle, l’inclusion des femmes et des jeunes est un pilier incontournable du nouveau modèle de développement, garant d’un Maroc plus fort, plus résilient et plus équitable.
En tant que ministre de l’économie et des finances du gouvernement marocain, comment évaluez-vous les avancées et réalisations du Maroc en matière de gouvernance économique au cours des dernières années ?
Le Maroc a réalisé des progrès significatifs en matière de gouvernance économique au cours des dernières années. Ces avancées portées par une vision stratégique, marquent une étape clé dans la transition vers le nouveau modèle de développement. Elles s’inscrivent dans une dynamique de modernisation du cadre institutionnel, de stimulation de l’investissement et de promotion d’une croissance plus inclusive et durable.
L’un des chantiers majeurs concerne le renforcement de l’État social, conformément aux Hautes Orientations de Sa Majesté le Roi que Dieu L’Assiste. Nous avons ainsi mis en œuvre des réformes clés dans les domaines de l’éducation et de la formation, de la santé, de la généralisation de la protection sociale et de soutien au pouvoir d’achat des ménages.
Sur le plan économique, notre priorité a été d’assurer la stabilité de notre cadre macroéconomique et la soutenabilité de nos finances publiques. La réduction progressive du déficit budgétaire, passant de plus de 7 % en 2020 à 3,9% en 2024 puis à un objectif de 3 % en 2026 en est la parfaite illustration. Face aux chocs exogènes, notre souci était également de préserver le pouvoir d’achat des ménages, nous avons ainsi mobilisé plusieurs mécanismes à l’image du maintien des subventions sur certains produits de première nécessité, de la stabilisation des prix de l’eau, de l’électricité et des transports, ainsi que le grand chantier de l’aide sociale directe… Ces efforts ont permis de maîtriser l’inflation, qui est retombée à 0,9 % après avoir atteint un pic de 10 %. Les équilibres externes demeurent confortables, avec des réserves dépassant 5 mois d’importations, grâce à la forte résilience de nos secteurs exportateurs.
Toujours en matière de gouvernance économique, un accent particulier a été mis sur l’efficacité des institutions et la transparence de la gestion publique. La refonte en cours de la loi organique relative à la loi de finances, ainsi que la création de l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État, illustrent cette volonté de renforcer la performance de nos institutions.
En parallèle, des réformes majeures ont été engagées pour améliorer l’environnement des affaires et renforcer l’attractivité du pays. Parmi les initiatives phares, on peut citer l’opérationnalisation de la nouvelle Charte de l’Investissement, la mise en place du Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, la réforme des marchés publics, l’amélioration des délais de paiement et la simplification des procédures administratives.
Ces avancées qui contribueront sans nul à la modernisation de l’économie, à l’amélioration de l’environnement des affaires et au renforcement de la compétitivité de notre économie, ne brident pas pour autant nos ambitions qui restent grandes et intactes. Elles ne doivent pas non plus occulter les défis dont nous sommes très conscients. La consolidation de l’État social demeure un enjeu crucial, nécessitant des efforts soutenus dans des domaines névralgiques tels que l’emploi, qui est désormais notre priorité. Parallèlement, l’intensification des effets du changement climatique souligne l’impérieuse nécessité de renforcer la sécurité hydrique et énergétique du pays, véritables clés de voûte pour la pérennité du modèle de développement marocain.
Quels ont été selon vous, les différents tournants pris par notre pays sur les plans économique et sociétal ? Quelles sont les grandes orientations de la politique économique et budgétaire qui caractérisent la solidité des fondamentaux du Maroc ?
Comme vous le savez, ces dernières années ont été marquées par une succession de crises mondiales qui ont profondément bouleversé les équilibres économiques et entraîné des transformations majeures à l’échelle internationale. Le Maroc n’a pas été épargné par ces défis, mais il y a répondu, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi que Dieu L’assiste, par une vision stratégique fondée sur des réformes structurelles et des choix économiques audacieux.
Sur le plan social, la transformation a été tout aussi marquante. Notre pays a amorcé une nouvelle phase de réformes d’envergure pour consolider les piliers de l’État social. Cela se traduit par la généralisation de la protection sociale, des réformes des secteurs de l’éducation et de la santé, ainsi que le lancement du Programme d’Aide Sociale Directe et le Programme d’Aide Directe au Logement qui profitent d’un ciblage précis grâce à la mise en place du Registre Social Unifié (RSU). Ces initiatives s’accompagnent également d’un dialogue social renforcé avec les salariés des secteurs public et privé pour favoriser une meilleure inclusion et cohésion sociale.
Sur le plan économique, en parallèle des stratégies sectorielles ambitieuses en cours de mise en œuvre, une attention particulière a été portée au soutien de l’investissement privé, avec l’objectif de porter sa part à deux tiers des investissements à l’horizon 2035. Plusieurs initiatives structurantes ont été lancées à cet effet, telles que la nouvelle Charte d’Investissement, le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, et la réforme de la politique actionnariale de l’État. Nous avons également intensifié l’investissement public, qui atteindra 340 milliards de dirhams en 2025, pour accompagner les grands projets d’infrastructures dans des secteurs stratégiques tels que le transport, l’eau, l’énergie et le sport. D’ailleurs, l’organisation de la CAN 2025 et de la Coupe du Monde de Football 2030 est perçue comme une opportunité pour accélérer la croissance et favoriser la création de l’emploi.
Toute cette dynamique exige, bien évidemment, des financements conséquents, tout en préservant la soutenabilité des finances publiques. C’est pourquoi nous avons engagé des réformes majeures, notamment celle de la Loi Organique relative à la Loi de Finances et la réforme fiscale, visant à renforcer l’équité et à élargir l’assiette fiscale. Par ailleurs, une attention particulière a été accordée à la rationalisation des dépenses publiques et à la mobilisation des ressources de l’État, en s’appuyant sur les partenariats public-privé (PPP), les financements innovants et la réforme du dispositif de compensation. Nous avons également entrepris une rationalisation de la gestion du portefeuille public, dans le cadre de la réforme des Établissements et Entreprises Publics.
Cette approche réformatrice et prudente a permis une réduction progressive du déficit budgétaire qui est passé de 7,1 % en 2020 à 3,9 % en 2024, illustrant notre orientation de conjuguer financement des grandes réformes et préservation des équilibres macroéconomiques fondamentaux.
Madame la ministre, le Maroc est un pays ouvert sur le monde, mais la mondialisation et le multilatéralisme sont remis en cause, comment voyez-vous son actuel positionnement ? Quels sont les leviers essentiels dont il dispose pour conforter son image et sa position à l’international ?
Comme vous l’avez évoqué, le processus de mondialisation et du multilatéralisme traverse ces derniers temps une période de tensions. Le Maroc, terre de dialogue et d’échanges depuis des siècles, réaffirme son ouverture stratégique et inclusive tout en préservant sa souveraineté. Sa stabilité politique et institutionnelle, fruit d’une Vision Royale orientée vers le progrès et soutenue par des réformes profondes, constitue un socle solide, inspirant confiance aux partenaires et renforçant son attractivité auprès des investisseurs. Notre stratégie repose sur plusieurs leviers essentiels et complémentaires.
D’abord, la diversification économique a été érigée depuis des années en tant que priorité. Le Maroc valorise ses secteurs traditionnels – agriculture, industrie et tourisme – tout en investissant dans des filières d’avenir comme les technologies de l’information, les énergies renouvelables et l’hydrogène vert. L’industrialisation à forte valeur ajoutée, notamment dans l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, ainsi que la transition énergétique, sont des piliers stratégiques de son développement. Notre pays se distingue aussi comme hub économique et logistique grâce à des infrastructures de haut niveau qui contribuent activement à faciliter les échanges entre l’Europe, l’Afrique et le reste du monde.
Parallèlement, la modernisation du système financier, la digitalisation de l’administration et l’amélioration continue du climat des affaires envoient un signal fort : le Maroc anticipe les mutations mondiales et transforme les défis en opportunités.
Ensuite, la diversification des partenariats est un axe majeur. Le Maroc a élargi ses alliances au-delà de l’Europe, terre de partenariat historique, pour tisser des liens solides avec l’Afrique surtout, mais aussi le Moyen-Orient, l’Asie et les Amériques. En particulier, le Maroc a renforcé son intégration africaine à travers son adhésion à la ZLECAF et le lancement de grands projets structurants dans les infrastructures, visant à renforcer la connectivité et la coopération économique entre le Royaume et les autres pays africains. En parallèle, des accords de libre-échange avec des acteurs clés comme les États-Unis, la Turquie, les Émirats arabes unis ou l’Egypte ouvrent de nouveaux marchés, favorisant des synergies et consolidant l’intégration mondiale et régionale.
Par ailleurs, notre diplomatie économique adopte une approche proactive et tournée vers l’avenir. Nous ne nous contentons pas de signer des accords, nous bâtissons des partenariats gagnant-gagnant, renforçant ainsi le rôle de notre pays comme trait d’union entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.
En somme, face aux défis que vous avez mentionnés, le Maroc s’impose par sa stabilité, sa diversification économique, son innovation et sa diplomatie agile. Plus qu’un acteur clé sur la scène internationale, il incarne un modèle de résilience et de progrès. En cultivant ces atouts, notre pays œuvre à transformer chaque défi en opportunité de rayonnement et de croissance partagée, affirmant son engagement en faveur d’un développement durable et d’une coopération internationale renforcée.
Le Maroc est un acteur économique reconnu en Afrique, un continent qui fait l’objet de convoitises économiques et commerciales, l’économie occidentale est de plus en plus atone, les taux de croissance stagnent, nos partenaires économiques régionaux ne créent plus autant de richesse pour la partager, pensez-vous que cette ouverture sur notre continent constitue une importante alternative pour notre économie ?
Effectivement, l’Afrique est un continent plein de promesses et de potentiel. Sa démographie dynamique et jeune constitue un atout majeur avec un marché intérieur en pleine expansion (1,5 milliard de consommateurs), une urbanisation rapide et l’émergence d’une classe moyenne qui transforme ses modes de consommation. Egalement, le continent, en abritant 30% des réserves minérales mondiales, dispose d’un énorme potentiel de développement dans des secteurs clés tels que les énergies renouvelables, les technologies et les infrastructures.
Le continent africain est parmi les rares régions qui enregistrent une croissance économique soutenue, avec des taux souvent supérieurs à ceux des économies développées (4,2% en moyenne par an au cours des deux dernières décennies).
Dans cette dynamique de transformation continentale, le Maroc, sous la Vision éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, s’érige en tant qu’acteur clé pour l’émergence du continent africain. Le Royaume se positionne comme un leader régional en matière d’investissements en Afrique qui représentent plus de la moitié des investissements marocains à l’étranger au cours de la dernière décennie. Sur le plan commercial, les échanges commerciaux du Maroc avec le continent africain restent, certes, bien en deçà de leur potentiel. Ils n’en demeurent pas moins que ces échanges enregistrent une dynamique prometteuse en progressant de 45% sur la dernière décennie.
L’ouverture du Maroc sur le continent africain constitue donc une alternative stratégique et prometteuse pour son économie, qui devrait non seulement nous permettre de diversifier nos partenaires économiques, mais aussi de contribuer à une intégration régionale croissante. Notre Royaume, fort de son expertise multisectorielle et de sa position géostratégique privilégiée, incarne un pont naturel entre les différentes régions du continent, notamment grâce à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) qui constitue une voie privilégiée pour consolider les partenariats sud–sud dans des secteurs clés comme l’agriculture, l’énergie, les infrastructures, la finance, …
Dans ce sens, l’Initiative Atlantique de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI pour favoriser l’accès des États du Sahel à l’Océan Atlantique et le projet de Gazoduc Maroc-Nigéria constituent des exemples très éloquents de chantiers continentaux stratégiques qui permettront la mise en place d’un modèle prometteur d’intégration et de complémentarité au sein de la communauté économique africaine.
Quelle est votre vision pour le Maroc de demain ? Quels messages voudriez-vous transmettre aux jeunes générations, et particulièrement aux femmes, pour les inspirer à prendre part à la construction du Maroc de demain ?
Avant d’évoquer ma vision pour le Maroc de demain, il me semble essentiel de souligner que les réformes engagées par Sa Majesté, que Dieu l’Assiste, depuis plus de vingt-cinq ans ont profondément transformé notre pays. Elles ont renforcé ses bases sociales et économiques tout en lui permettant de se repositionner stratégiquement sur les plans régional et international. Ces avancées constituent le socle sur lequel nous devons bâtir l’avenir, en consolidant les acquis et en ouvrant de nouvelles perspectives pour les générations futures.
Ma vision s’inscrit naturellement dans cette trajectoire, avec la responsabilité de contribuer à bâtir un Maroc encore plus résilient, économiquement fort et innovant et socialement inclusif et équitable.
Mon message aux jeunes générations, et particulièrement aux femmes, est clair : vous êtes les architectes du Maroc de demain qui doit pouvoir reposer sur une jeunesse dynamique, audacieuse et bien formée, capable de saisir les opportunités et d’innover. Les femmes, Quant à elles, jouent un rôle central dans notre stratégie de développement et continueront d’en être un pilier important. Leur engagement actif dans l’économie et leur autonomisation sont des leviers indispensables pour bâtir une société plus équitable et prospère.
Je m’adresse tout particulièrement aux jeunes filles, aux jeunes femmes, et à toutes les femmes de notre pays : osez, engagez-vous et contribuez pleinement à la construction du Maroc de demain. Prenez conscience de votre potentiel, de votre talent et de l’héritage que vous portez. Croyez en vos idées et en vos ambitions. Le Maroc de demain, que nous voulons prospère et équitable, ne peut se bâtir sans vous. Il est impératif que chaque femme, quel que soit son âge, soit présente, visible, et audible. Vous êtes les piliers de notre avenir commun et notre pays ne peut pas se passer de l’engagement et de l’implication de la moitié de sa population.